Festival Off d'Avignon 2023 : rencontre avec Benjamin Voisin qui joue "Guerre" de Louis-Ferdinand Céline, "oral dans l'écriture, mais écrit dans l'oral"
Enfant de la balle, rarement présent sur les planches, Benjamin Voisin estime que c’est pour lui une "première" d’être "vraiment" sur scène cette année. Il est venu à Avignon, plus jeune, avec "une bande potes" pour jouer. Cette année, sa carrure lui permet à 26 ans d’endosser le rôle de Ferdinand, l'alter ego de Céline, dans l’adaptation de son roman posthume, Guerre, jouée seul en scène, au Chêne noir dans le Off d’Avignon jusqu’au 29 juillet.
Écrit en 1934, Guerre de Louis-Ferdinand Céline, a été découvert en 2021, et publié chez Galimard en 2022. Comme dans Voyage au bout de la nuit, le roman fait le récit de Ferdinand. Il est maintenant sur le front en 1915, quand il est blessé, retrouvé dans le coma, hospitalisé, puis en convalescence. Il se rappelle sa blessure volontaire passée pour échapper à la guerre, ses rencontres de fortunes et ses femmes, puis rencontre Cascade, un autre poilu, dont il envie la belle Angel.
C’est dans la discrète cour du Chêne noir, institution du Off avignonnais, que Benjamin Voisin, à la sortie de sa représentation de Guerre, nous reçoit.
Franceinfo Culture : Ce n’est pas votre première à Avignon, que représente le festival pour vous ?
Benjamin Voisin : Je suis venu il y a sept ans, avec des potes. On avait inauguré le Théâtre du Train Bleu (institution du Off). C’était bien, mais ce n’était pas aussi professionnel. Depuis, j'ai essayé de m'améliorer un peu (rire). Avignon c’est de la folie en grâce et de la folie en boucherie. On peut y trouver le meilleur spectacle de l’année, mais aussi le pire. Tout cela au même endroit, avec des gens qui n’ont pas besoin de tracter, et d’autres qui ne peuvent plus jouer parce qu’ils ont trop tracté. C’est de la folie dans le même espace. Et je ne parle pas du In, je ne pense que Off. Comme spectateur, c’est génial, en tant qu’acteur, c’est éreintant. Cela me désole pour eux. La première semaine, ils ne font que tracter des heures et des heures, et s’ils y sont encore, c’est que les salles ne sont pas remplies.
Comment avez-vous choisi d’interpréter Guerre de Céline ?
C’est Benoît Lavigne, l’adaptateur, auteur de la pièce, qui m’a contacté pour un casting, c’était une audition. Au cinéma, j’en fais de moins en moins de castings, mais au théâtre c’est différent. Personne ne sait que j’ai fait du théâtre, que j’ai une formation théâtrale. J’ai monté quelques pièces, ou dans des collectifs de débutants. Mais depuis qu’il me faut payer le loyer, je n’ai plus fait de théâtre, c’est maintenant que j’y reviens, c’est la première fois que je remonte vraiment sur les planches.
Vous jouez seul en scène, le genre explose cette année à Avignon après une montée en flèche depuis au moins cinq ans, quel regard avez-vous sur ce phénomène ?
Économiquement, c’est sûr que cela coûte moins cher, donc ça aide à rembourser les salles, puisqu’on fonctionne sur les recettes. C’est plus facile que de payer dix comédiens. Mais personnellement, c’est un exercice que je trouve extraordinaire. Quand on est rythmé, c’est un voyage, c’est comme faire l’amour, c’est facile. Quand on est "dérythmé" c’est une guerre pour aller chercher le tempo, parce qu’on n'a pas le partenaire pour le retrouver. C’est lui qui nous rattrape : "Non, non, tu n’es pas (il claque des doigts), sens le rythme", clac et en deux secondes on reprend. On s’appuie sur l’autre. Seul sur scène, là, il n’y a personne. Que le regard du public. Soit enthousiaste, soit apathique.
Vous avez un très beau plateau, cela aide ?
La scène est belle oui, je l’aime beaucoup. Ce sont deux Lyonnais qui ont conçu l’espace scénique et sonore, Raphaël Chambouvet pour la musique et Seymour Laval pour les lumières et la scénographie. Donc, c'est lui qui éclaire sa scénographie, c'est un gros atout. Par exemple, la toile de fond, que je trouve magnifique, est valorisée par l’éclairage, il projette sur ce ciel orange, apocalyptique, des ombres qui suggèrent d’autres espaces, comme la devanture d’un bar, une fenêtre, l’espace de l’hôpital…
Il y a dû y avoir un gros travail d’adaptation pour passer du roman à la pièce ?
Oui, énorme. Bérangère Gallot et Benoît Lavigney y ont passé des heures. Quand je suis arrivé, ils avaient déjà abattu un travail monstre et on a continué pour voir ce que moi, j’avais dans la bouche. D’autres comédiens proposaient des choses plus violentes. Non, moi, je voulais ramener la juvénilité du personnage. On l’avait déjà entendu crade, Céline, vieux, dur, et je voulais que sa grossièreté devienne légère. Quand il parle du "bitard" (argot sexuel), je voulais que ce soit avec des gros yeux, que ce soit mignon. Voilà, il va apprendre ce que c’est que la vie. La pièce s’appelle Guerre, mais ça parle beaucoup de sexe. Ferdinand est adolescent. Physiologiquement, puisqu’il est jeune, et deuxièmement, parce qu’il renaît à l’hôpital après son coma. Chaque chose devient nouvelle. Quand il ressort dans la rue après des semaines, il devient dingue.
Vous avez participé à l’adaptation ?
Non. Mais j’ai beaucoup lu Céline toute ma vie. J’ai donc mon idée sur lui, comme Dostoïevski, sur Kundera, Huysmans… Par contre je n’ai pas beaucoup d’idées sur Corneille. Mais Céline, j’étais assez sûr de moi, dans le sens où si Benoît (l’auteur) me prenait, je savais comment faire, la gouaille de Céline je savais comment la rendre. Céline, c’est la culture la plus oratoire qui puisse exister, mais dès qu’elle est lue à haute voix, elle devient écrite. Tout le monde l’aplatit, tout le monde endort ses phrases. Alors que Proust, à voix haute peut vivre, mais quand tu le lis, c’est plat. Cette contradiction dans l’écriture est folle. Comment retranscrire à l’oral la phrase écrite de Céline ? Oratoire, sa langue perd de son oralité une fois qu’elle est dite. Paradoxale ! Son écriture est tellement parlée qu’on peut s’y perdre. Ce qui est important, c’est d’entendre les mots écrits.
Et entre le théâtre et le cinéma, votre cœur balance ?
Je vais bien appuyer le théâtre maintenant, pour voir comment je me sens. J’adore ce contact avec le public, ce partage, et en même temps, travailler le rôle chaque jour différemment en fonction de l’audience, est extrêmement épuisant. J’aime beaucoup au cinéma l’idée de me dire : " Ok, j’ai fait ça lundi, c’est là, je peux dormir pour aller à mardi. Mardi, maintenant que j’ai fait ça, ce que j’avais prévu, c’est moins intéressant." J’aime bien fixer les choses. J’aime bien me dire à la fin, le rôle est comme je l’ai voulu. Au théâtre, le rôle évolue selon le public, selon la fatigue de la journée, au cinéma il n’y a pas de fatigue. Si je suis fatigué je me pose trois minutes et je reviens en forme. C’est impossible sur scène de dire "ok, restez là, je vais la reprendre." C’est ce que j’aime le moins au théâtre, mais je crois que c’est l’insécurité du débutant, je ne viens que de reprendre les planches. Par contre, au théâtre, dès que tu tournes la tête, tu vois le public, qui te regarde, qui t’écoute, qui sourit avec toi, qui pleure avec toi, qui s’ennuie avec toi, c’est magnifique. Même un public qui dort, j’adore. À ma première à Avignon, il y avait un spectateur au premier rang, qui s’est mis à ronfler illico. À la fin, il était le premier levé pour la standing ovation, puis il est venu me voir pour me dire des choses très précises. C’est fou, il avait entendu pendant son sommeil, comme concentré autrement, il avait son écoute à lui. Oui, j’ai deux approches différentes du jeu, au cinéma et pour le théâtre. C'est très différent.
Guerre
De Bérangère Gallot et Benoît Lavigne, d'après Louis-Ferdinand Céline
Mise en scène : Benoît Lavigne
Avec : Benjamin Voisin
Du 7 au 29 juillet à 17h20 - Relâches : 10, 17, 24 juillet
Théâtre du Chêne noir (salle Léo Ferré)
8bis, rue Sainte-Catherine, 87 000 Avignon
Tél : 04 90 86 74 87
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