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Est-ce vraiment une bonne idée d'offrir une liseuse à Noël ?

Vous croyez avoir trouvé le cadeau idéal pour votre mère ? Halte là, malheureux(se) ! 

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Parmi les principales contraintes des liseuses : une offre de livres numériques encore chère et trop limitée. (THOMAS LOHNES / DDP / AFP)

A première vue, la liseuse a tout pour plaire : transportable partout, elle est enfin passée cette année sous le seuil des 100 euros. Mais avez-vous pensé aux conséquences avant de la glisser au pied du sapin ? Francetv info s'est penché sur le cadeau star de ce Noël 2012, et vous dit pourquoi il vous faudra peut-être réfléchir à deux fois.

Les livres numériques coûtent (trop) cher

Si vous voulez acheter une liseuse à votre mère (père), c'est parce qu'elle (il) appartient a priori au public cible de cet écran dédié à la seule lecture. Des amateurs de livres plus âgés que les "digital natives" nés avec un smartphone ou une tablette au bout des doigts, adeptes du zapping, de la couleur et des usages multiples.

L'idée n'est pas saugrenue et la qualité de lecture de plus en plus proche de celle du papier (voir ici le comparatif de Lyoncapitale.fr). Jean-François Kitten, de la société Bookeen, vante ainsi un "écran d'encre électronique, qui a fait de gros progrès en cinq ans en terme de vitesse de changement de page" et un contraste noir et blanc qui se rapproche de celui de l'imprimé.

Mais il faut ensuite nourrir l'animal. Et là, il y a de quoi se frotter les yeux en voyant les prix pratiqués. La Fnac propose le plus célèbre des romans d'Hervé Bazin, Vipère au poing, en format numérique pour 6,99 euros. Best-seller publié en 1948 et amorti depuis des lustres, le roman est disponible en poche à 3,90 euros. Même étonnement en voyant  L'Américain, de Franz-Olivier Giesbert, vendu à 6,49 euros en numérique et 6,18 euros en Folio.

Difficile d'incriminer la TVA, puisqu'au lieu des 19,6% réclamés à cor et à cri par Bruxelles, comme l'explique Le Point, la France applique une TVA réduite à 7% sur le prix du livre numérique, soit un taux identique à celui du livre papier (qui va passer à 5,5% en 2013). Faut-il y voir la volonté de préserver la filière poche, "vache à lait des grands groupes", selon Hervé Bienvault, ex-responsable de la cellule numérique chez Albin Michel ? Alban Cerisier, secrétaire général chez Gallimard en charge de la stratégie numérique, s'en défend et affirme que les prix du poche et du numérique sont "les plus proches possibles". L'arrondi supérieur est "dû à l'opérateur" (ici, Apple), qui exige des prix se finissant par 49 ou 99 centimes. Gageons que le lecteur préfèrerait l'arrondi inférieur.

L'offre est (encore) insuffisante

Au-delà du prix, reste la question de l'offre. Grande première passée relativement inaperçue, mais soulignée dans Le Monde (article payant) : "Plus de 90% des 646 titres de la rentrée littéraire 2012" étaient "disponibles en numérique, en même temps qu'en version papier, et ce de manière concomitante." Les intervenants, jeudi 13 décembre, à la journée du livre numérique organisée par le Centre national du livre s'accordaient toutefois à dire que, sur 600 000 livres français qu'un client peut commander en librairie, à peine un sixième est disponible en version numérique.

Les éditeurs renâcleraient-ils à numériser leur fonds ? Là encore, Alban Cerisier s'insurge. Pour lui, le marché du numérique est tout neuf en France : "On a toujours l'impression que les éditeurs français ont le pied sur le frein, mais aux Etats-Unis le marché de la liseuse existe depuis 2007 alors qu'en France, l'arrivée du Kindle d'Amazon date d'un an à peine. On vit une séquence récente. L'interpréter comme une réticence est une erreur."

Il faudra néanmoins encore "trois à quatre ans" à Gallimard pour numériser son fonds, tout Camus, tout Saint-Exupéry, tout Steinbeck, tout Gary ... Et sur 3 000 ou 4 000 titres, seuls quelques centaines de Folio sont accessibles en version numérique.

Le manuel de piratage n'est pas fourni

Conséquence logique : avec une offre chère, limitée, caractérisée par des systèmes propriétaires (comme le Kindle d'Amazon) et largement verrouillée par la gestion numérique des droits, qui contrôle l'utilisation du fichier, tout possesseur de liseuse (même votre mère) devient adepte d'une consommation bon marché. Mieux encore : gratuite ....et/ou pirate.

Une étude de l'institut GfK citée par Libération l'affirme : 81% des personnes qui lisent des livres numériques ne les achètent pas. Ils se servent de l'abondante offre gratuite légale (plus de 400 000 livres sur le site Gallica de la BNF à titre exemple) et puisent aussi dans l'offre illégale, mieux fournie en produit frais.

Le Motif (observatoire du livre et de l'écrit en Ile-de-France), qui a publié en mars 2012 sa troisième étude annuelle (PDF) sur le piratage des livres, a identifié "entre 11 000 et 14 000 titres piratés dont 8 000 à 10 000 BD". Parmi les auteurs plébiscités, Frédéric Beigbeder côtoie Bernard Werber, Agatha Christie ou ... Gilles Deleuze. Et l'étude constitue un mode d'emploi (gratuit) assez parfait du petit pirate de livres, à offrir avec un reader.

A l'arrivée liseuse or not liseuse ? A vous de choisir, mais retenez que le livre arrive en tête des intentions de cadeaux en France (selon l'étude de Noël 2012 du cabinet Deloitte). Et rappelez vous qu'il incarne, lui aussi, une révolution technologique, comme l'explique cette vidéo humoristique d'un collectif espagnol qui promeut la littérature sur internet :

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