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Les Choses : le Louvre revisite l'histoire de la nature morte dans une exposition très vivante

Comment les artistes représentent-ils les choses et qu'est-ce que ça nous dit de nos rapports aux objets ? Réponse au Louvre dans une exposition réjouissante.

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5 min
Sam Taylor-Wood, "Still-Life", 2001, vidéo, Bath (© Sam Taylor-Johnson)

Quoi de commun entre la scène finale du film Zabriskie Point (Michelangelo Antonioni, 1971) où des tas d'objets sont propulsés dans les airs par une explosion, et une stèle funéraire égyptienne pleine de représentations de viande, de pain, de parfum ? Elles nous parlent des "choses" et du rapport que nous avons avec elles. Le musée du Louvre nous propose une nouvelle histoire de la nature morte des origines à nos jours, qui convie la peinture, la sculpture, la photo, le cinéma, l'art numérique.

"J'ai imaginé cette exposition non pas sur les choses mais plutôt sur notre dialogue avec les choses", explique la commissaire de l'exposition, l'historienne de l'art Laurence Bertrand Dorléac. Et rien de "mort" ou de statique dans cette exposition de 170 œuvres sur la nature morte (le terme français de "nature morte" a été inventé tardivement, au XVIIe siècle, alors que l'anglais préférait le plus joli "still life", vie immobile).

Memento mori, Mosaïque, Naples, Museo Archeologico Nazionale di Napoli (© Su concessione del Ministero della Cultura - Museo Archeologico Nazionale di Napoli - foto di Giorgio Albano)

De la préhistoire à l'Antiquité

On est accueilli en préambule par cette fameuse scène de Zabriskie Point. Puis, dans la première salle, par La Madeleine à la veilleuse de Georges de La Tour (1642-1644) dialoguant avec la jeune fille qui dans Stalker de Tarkovski (1979) déplace un bocal par la force de son regard. Un extrait de Buster Keaton où les objets utilitaires sont suspendus au plafond côtoie un relevé de dessins de la sépulture de Gavrinis (Morbihan) représentant des haches.

Ces dessins datent de 3 500 ans avant notre ère et sont "la première nature morte connue de l'histoire de l'humanité", raconte Laurence Bertrand Dorléac, qui s'est demandé "quand et comment était né le dessin des choses", et qui a voulu, avec cette exposition, "franchir les frontières du temps et de l'espace, partant de notre sensibilité présente pour aller vers le passé".

Peintures murales d'Herculanum ou stèle égyptienne nous montrent que la représentation des choses était bien présente dans l'Antiquité, alors qu'une mosaïque de Pompéi nous révèle la première "vanité" de l'histoire de l'art, rappelant sous la forme d'un grand crâne que nous allons tous mourir et que la vie est courte. Un thème qui traverse toute l'histoire de l'art.

Vincent Van Gogh, La Chambre de Vincent Van Gogh à Arles, 1889, Paris, musée d’Orsay (© RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski)

Dialogue entre art ancien et contemporain

Si la nature morte est réputée connaître une "éclipse" de 1000 ans en Occident après la chute de Rome, la commissaire a "voulu savoir ce qu'étaient devenues les choses" entre le VIe et le XVIe siècle. Une annonciation de l'atelier de Rogier van der Weyden datant de 1435-1440 nous montre une aiguière suggérant la purification, un fruit défendu sous la forme d'une orange et un lis qui symbolise la pureté de la Vierge : "Le dessin des choses ne s'était pas perdu mais il était instrumentalisé par le religieux", souligne-t-elle.

Le XVIe siècle marque le grand retour des choses : avec l'essor du capitalisme et un certain changement dans les idées religieuses, elles "prennent le pouvoir" en particulier dans le nord de l'Europe, dit Laurence Bertrand Dorléac. Légumes et autres produits laitiers se retrouvent à l'avant des tableaux. Une Boutique du boucher délirante de Joachim Beuckelaer (Anvers, 1566) côtoie un Foodscape d'Erró (1964) saturé de denrées alimentaires aux couleurs vives.

Car art contemporain et art ancien dialoguent dans l'exposition. Des têtes d'animaux de boucherie montrent le surgissement de l'intérêt pour le bien-être animal. Une tête de vache coupée du photographe Andrès Serrano nous regarde d'un air accusateur, c'est la première fois, souligne la commissaire, alors qu'une tête de bouc attribuée à José de Ribera (1646-1650) attire plutôt la pitié.

"Quand on peut mettre en scène ce dialogue, qui est en permanence dans l'esprit des artistes vivants, il y a quelque chose qui redonne vie à l'histoire de l'art", estime la commissaire.

Balthasar van der Ast, "Fruits et coquillages", 1623, Lille, palais des Beaux-Arts (© RMN-Grand Palais / René-Gabriel Ojeda)

Vanité et pourrissement

Une vanité contemporaine de la photographe britannique Sam Taylor-Johnson, sous forme de film accéléré (Still Life, 2001), nous montre la moisissure, le pourrissement de fruits qui finissent par se ratatiner. A côté, une toile du Néerlandais Balthasar van der Ast met en scène un arrangement luxueux de Fruits et Coquillages (1623) qui, si on regarde de plus près, commencent à se gâter.

La chambre toute simple de Van Gogh côtoie un Intérieur hollandais (1655-1662) de Samuel van Hoogstraten : une porte s'ouvre sur une pièce déserte où une bougie, des clés, des pantoufles suggèrent la présence de ses habitants. Artichauts inquiétants de Giorgio de Chirico (Mélancolie d'une après-midi, 1913), chaussures dans le désert en fantômes de la guerre par la photographe Sophie Ristelhueber (Fait # 31, 1992), pots et bols dépouillés de Giorgio Morandi, ces choses isolées renvoient à la solitude des hommes.

Art moderne et contemporain dominent la fin de l'exposition, qui se fait jubilatoire quand Fernand Léger anime les objets, que Dali les fait voler. Quand, sous les paroles de La Complainte du progrès de Boris Vian, la parodie d'émission culinaire de l'Américaine Martha Rosler dérape, un couteau ou un pic à glace se faisant menaçants dans les mains de la ménagère comme il faut (Sémiotique de la cuisine, 1975).

Nan Goldin, 1st day in quarantine, Brooklyn, NY, 2020, Paris, Marian Goodman Gallery (© Nan Goldin - Courtesy of the artist and Marian Goodman Gallery © Nan Goldin)

Des objets habités

Dans une œuvre toute récente de Miquel Barceló (Grisaille à l'espadon, 2021), les fleurs, fruits, poissons, têtes d'animaux et animaux sont puissamment habités, un espadon semblant prêt à s'élancer de la table tandis qu'une cruche prend des traits humains.

Une scène hilarante de Playtime (1967) nous montre Jacques Tati perplexe devant un siège en skaï à la mode qui fait "couic" quand il s'assied dessus et se regonfle quand il se lève. Pour finir, la photographie floue d'un bouquet de fleurs prise par Nan Goldin en 2020 pendant le confinement, entre intérieur et lumière extérieure morose, nous dit l'incertitude de l'existence.


Les Choses, une histoire de la nature morte
Musée du Louvre
Tous les jours sauf le mardi, 9h-18h, nocturne le vendredi jusqu'à 21h45
Tarifs : en ligne 17 € / sur place 15 €, gratuit pour les moins de 18 ans et pour les moins de 26 ans résidents des pays de l'Espace économique européen
Du 12 octobre 2022 au 23 janvier 2023

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