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Le kimono se raconte au Musée du Quai Branly : un vêtement japonais traditionnel et fascinant, source d'inspiration pour les créateurs

Le kimono, vêtement iconique du Japon s'il en est : son statut symbolique et sa forme, demeurée inchangée au fil des siècles, lui confèrent une image d’habit traditionnel hors du temps. Et pourtant, il n'a cessé de se réinventer.

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6 min
Exposition Kimono au musée du quai Branly-Jacques Chirac à Paris en novembre 2022 (CORINNE JEAMMET)

Le kimono - littéralement "ce qui se porte" - incarne aux yeux des Japonais la culture et la sensibilité nationales. Il est au coeur d'une exposition sobrement intitulée Kimono, conçue par le Victoria and Albert Museum de Londres et présentée à Paris au Musée du Quai Branly. Au fil d’un parcours regroupant 200 kimonos et objets associés, dont certains sont exposés pour la première fois en France, l’exposition revient sur l'histoire d’une tenue emblématique, intimement liée à l'histoire du Japon, tout en dressant le portrait d’un vêtement résolument moderne, à travers les siècles et les continents.

Mettant en lumière son importance esthétique, sociale et vestimentaire, l'exposition souligne le dynamisme d’un vêtement, trop longtemps perçu comme traditionnel et immuable, dont l’influence sur la mode contemporaine et mondialisée est majeure depuis le 17e siècle. C'est l'emblème d’un Japon qui influence le monde et se laisse influencer par lui.

Artisanat de luxe

"C'est un vêtement qui a une place unique dans l'histoire de la mode", explique Anna Jackson, responsable du département Asie au musée Victoria and Albert à Londres et commissaire de l'exposition Kimono au Musée du Quai Branly.

Le parcours débute par une très riche approche historique avec une profusion de modèles exposés derrière des vitrines de la mezzanine. La mode des kimonos s’épanouit au Japon durant l’ère Edo (1603-1868), période marquée par une stabilité politique, une croissance économique et une expansion urbaine. Kyoto devient le centre d’un artisanat de luxe du kimono et l’esprit créatif qui l’anime se conjugue au dynamisme commercial de sa voisine Osaka, faisant de cette région le berceau d’un style et d’un raffinement nouveaux. À l’orée du 18e siècle, l’attention se déplace sur Edo, actuelle Tokyo, où règne "une bouillonnante culture entremêlant divertissements, glamour et érotisme, désignée sous l’appellation de ukiyo ou monde flottant", explique la commissaire d'exposition.

Pendant cette période, la mode constitue une force sociale et économique majeure. Ainsi la plupart des kimonos conservés de l'époque Edo correspondent à des tenues de luxe, vendues dans des boutiques spécialisées. Si les clients ont la possibilité de se procurer des tissus afin de coudre eux-mêmes leur kimono, les somptueux vêtements portés par l’élite fortunée correspondent eux à des commandes spécifiques comme ceux des samouraïs de l'aristocratie militaire. Nous découvrons également les tenues des courtisanes et des acteurs du théâtre kabuki, qui seront copiées par la classe marchande - au bas de la hiérarchie sociale japonaise - et vont favoriser le développement de la production. 

Accessoires

Hormis les vêtements, des estampes et des objets ponctuent le parcours. Comme le kimono n'a pas de poches, "les hommes accrochent leurs objets usuels à leur ceinture (obi) avec des bourses et des petites boîtes compartimentées", explique la commissaire d'exposition en nous montrant ces objets dans les vitrines.

Exposition Kimono au musée du quai Branly-Jacques Chirac à Paris en novembre 2022 : trois femmes élégantes se retrouvent devant un magasin. Les estampes comme celles-ci représentent une excellente source de publicité pour les marchands de kimonos.  (Victoria and Albert muséum, London)

L'exposition offre une profusion de modèles dont un a retenu notre attention : présenté déconstruit (photo suivante), il  permet de réaliser que ce vêtement est confectionné à partir d'une seule pièce d'étoffe. Les longueurs de tissu sont drapées sur les épaules et retombent jusqu'aux ourlets à l'avant et à l'arrière du vêtement. Sur les côtés, d'autres longueurs forment les manches tandis que des pièces plus étroites sont utilisées pour le col et l'ouverture frontale. 

Exposition Kimono au musée du quai Branly- Jacques Chirac à Paris : un kimono déconstruit datant de 1800-1850 en satin de soie  (Leo Delafontaine)

Et pour encore mieux comprendre le processus, un petit film montre l'assemblage des différentes pièces. 

Le kimono dans le monde

L'exposition poursuit sa route hors de l'archipel. Durant la plus grande partie de l’ère Edo, le Japon avait instauré une politique de fermeture du pays, qui a restreint les relations avec l'international. Mais la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales, autorisée à établir des liens commerciaux avec le Japon, y introduit des tissus tout en exportant des kimonos vers l'Europe durant l'époque Meiji (1868-1912). Le Japon s’ouvre peu à peu sur le monde, l’industrie textile se modernise et le commerce se développe. Résultat : l’engouement pour le kimono se répand dans le monde et pour répondre à la demande, les Japonais réalisent des tenues destinées à l’exportation. 

Au début du 20e siècle, les formes droites et le drapé du kimono commencent à influencer les stylistes européens. En forme de T, le kimono ne suit pas les courbes du corps et ne tient pas compte des différences anatomiques entre hommes et femmes, contrairement aux habits occidentaux. Les modèles exposés sont somptueux et les tissus aussi dont beaucoup sont savamment fleuris. Il ne faut donc pas rater l'espace tactile intitulé obi à toucher du bout des doigts. Comme les vêtements sont trop fragiles pour être manipulés, quatre échantillons d'anciennes ceintures obi peuvent, eux, être effleurés le plus délicatement. Une occasion d'examiner de près les décors, la matière et les différentes techniques de tissage...

Exposition Kimono au musée du quai Branly - Jacques Chirac à Paris : l'espace tactile présente des échantillons de tissus   (CORINNE JEAMMET)

Le kimono métamorphosé 

Moins historique, la dernière partie de l'exposition n'en est pas moins passionnante car beaucoup plus axée sur la création. Elle montre que depuis plus d’un demi-siècle, nombreux sont les stylistes qui s’inspirent du kimono : sa capacité à être déconstruit et restructuré, traduit ou modifié, en fait un fleuron de la mode.

Au Japon, le port du kimono connaît d'abord "un déclin spectaculaire" après les années 50, devenant un vêtement réservé aux femmes gardiennes de la tradition et aux cérémonies. S’il est de moins en moins porté, il’affirme cependant après la Seconde Guerre mondiale comme un symbole et devient un emblème de l’identité nationale et culturelle du pays. Il est alors révéré. Beaucoup le portent comme un costume de cérémonie réservé aux grandes occasions. En 1955, le gouvernement japonais, s’efforçant de préserver les pratiques ancestrales, donne aux créateurs le statut de "trésor national vivant". Après la guerre, le monde du spectacle au Japon comme en occident s’en empare.

Exposition Kimono au musée du quai Branly- Jacques Chirac à Paris : à gauche kimono de femme (1990), au milieu un kimono de fillette en brocart de soie (1978), à droite un kimono de garçon (1970-1990) (CORINNE JEAMMET)

C’est à une véritable renaissance de cette tenue qu’assiste aujourd’hui le Japon, d’abord dans la rue, avec des kimonos anciens stylisés par les jeunes, puis avec l’émergence d’une nouvelle vague de créateurs qui se l’approprient de façon innovante et parfois subversive. "Celles et ceux qui l'arborent aujourd’hui l’apprécient non pas tant comme un produit de la tradition que comme un objet de mode", comme le souligne Anna Jackson. La mode est revenue ces dernières décennies sous l'impulsion de jeunes Japonais qui rejettent la culture "fast fashion" occidentale. Le kimono se vend dans des boutiques vintage, se loue ou s'achète dans ses versions modernes. "Les jeunes stylistes japonais veulent que tout le monde le porte. Ils veulent que le secteur survive", précise-t-elle.

L’exposition présente des pièces rares, dont un kimono créé par Kunihiko Moriguchi, "trésor national vivant" au Japon mais aussi des tenues célèbres associées à la culture populaire comme les costumes originaux des films Star Wars par Trisha Biggar ou portées par des chanteurs : en 1997, Björk pose en kimono pour la couverture de son album Homogenic, tout comme Freddie Mercury qui en porte sur scène mais aussi dans l'intimité.

Enfin on appréciera de voir des créations de Paul Poiret, de Yohji Yamamoto et de John Galliano qui révèlent son importance comme source d’inspiration pour les plus grands couturiers. 

Exposition "Kimono" jusqu’au 28 mai 2023. Musée du quai Branly - Jacques Chirac. 37, quai Branly. 218 et 206, rue de l’université. 75007 Paris. 

Affiche de l'exposition Kimono qui se tient jusqu’au 28 mai 2023 au musée du quai Branly-Jacques Chirac à Paris  (Courtesy of Musée du quai Branly)

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