"Vaurien" : portrait d'un tueur en série filmé à l'heure de #MeToo par le jeune réalisateur Peter Dourountzis
Au cinéma dès le 9 juin, le film, marqué par le mouvement #MeToo, remplace les scènes de meurtres par des situations d'harcèlements ordinaires qui touchent les femmes dans leur quotidien.
Un tueur en série de femmes, hâbleur, propre sur lui et dérangeant à souhait : première oeuvre d'un réalisateur qui se veut résolument post-#MeToo, le film Vaurien, en salles le 9 juin, décortique le regard et la domination masculine.
Djé, interprété par Pierre Deladonchamps (qui s'était déjà glissé dans la peau d'un pédocriminel pour Les Chatouilles) est un quadra d'apparence soignée, enjôleur et sûr de lui, qui charme avant de tuer. La caméra suit ce prédateur qui parcourt la France en quête de victimes, abordant sans gêne toutes les jeunes femmes qu'il rencontre, au bar, dans la rue ou dans un train.
Un film d'après #MeToo
Mais dans Vaurien, les crimes ne sont pas montrés à l'écran. "On ne peut plus faire un film de tueur en série comme on le faisait avant #MeToo", explique à l'AFP le réalisateur Peter Dourountzis. "J'avais envie d'être le premier d'une série de films de genre qui seraient conscients de leur époque". Car Vaurien a été tourné après le grand mouvement de libération de la parole des femmes, dans le cinéma en particulier, et ses répliques en France, lorsque l'actrice Adèle Haenel a brisé une certaine omerta autour du sujet.
L'actrice Ophélie Bau, qui joue une proie dans le film, venait de faire état de son profond malaise par rapport à un tournage avec Abdellatif Kechiche (pour Mektoub My Love : Intermezzo), rappelle le réalisateur, qui lui-même s'est senti "mal à l'aise" avec la position de "toute-puissance" que peut avoir un cinéaste sur un plateau.
Peter Dourountzis, qui a grandi dans un HLM du XVe arrondissement de Paris, explique avoir voulu aussi éviter l'écueil du "male gaze", ce regard masculin sur le corps des femmes notamment, prégnant dans des films réalisés par des hommes. Il a donc choisi d'enlever "les meurtres, l'exceptionnel", pour garder "les situations ordinaires que tout le monde vit, un mec pesant dans le métro, le bus, qui te suit dans la rue...". Plutôt que de montrer des crimes, "regarder celui qui regarde mal les femmes", résume-t-il.
"Regards malsains"
Une démarche que la spécialiste de ces questions Iris Brey estime "novateur", alors que "les figures de tueurs en série ont toujours fasciné". En ne filmant pas le passage à l'acte, la caméra de Peter Dourountzis a un rôle "protecteur", explique-t-elle à l'AFP.
Peter Dourountzis a 23 ans et un diplôme d'école de cinéma en poche lorsqu'il commence à travailler à ce film : à l'époque il se fait embaucher au Samu social avec l'idée de "consulter les fiches de tueurs en série qui appellent le 115". Il y restera finalement des années au service des sans-abri, et ne tournera son film (en Sélection Officielle Cannes 2020) que quinze ans plus tard.
"On avait envie de montrer qu'on était conscients", "de plonger le spectateur (...) dans la position de victime, qu'il se sente mal à l'aise" souligne le réalisateur, pour qui Pierre Deladonchamps "très bourgeois, les dents blanches, beau garçon" avait le profil idéal pour incarner "l'archétype de la domination masculine".
Plus largement, le cinéaste veut montrer qu'en tant qu'homme, "c'est un permis qui nous a été donné très jeune de faire ce qu'on veut et de ne jamais se sentir en danger". "Dès 14 ou 15 ans, je m'efforçais de nepas regarder une femme dans le bus, pour ne pas que mon regard pèse sur elle. Ce faisant je détourne mon regard sur les gars qui la regardent ostensiblement. En fait, j'ai fait un film sur ces gars-là, sur ces regard malsains, pesants, décomplexés".
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