Cet article date de plus d'un an.

"Star Wars", "Indiana Jones", "Jurassic Park"... John Williams, le compositeur qui a changé la façon dont vous écoutez les films

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le légendaire compositeur John Williams, le 31 mai 2012 lors d'un concert à Boston (Massachusetts, Etats-Unis). (PAUL MAROTTA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)
A l'occasion de la sortie de "The Fabelmans" de Steven Spielberg, mercredi, franceinfo dresse le portrait de ce vieux complice du réalisateur, qui a composé les bandes originales iconiques des plus grands succès du cinéma hollywoodien.

"Je le revois encore, avec une montagne de papier à musique entre les mains. A chaque pause, il se penchait sur une table et corrigeait au crayon ses partitions, ajustait une note par-ci, une autre par-là, pour que sa composition colle au plus près à ce qui apparaissait sur l'écran." Maxine Kwok se souviendra toute sa vie de ses débuts au sein du prestigieux London Symphony Orchestra. En 1999, la violoniste aux cheveux roses participe à l'enregistrement de la bande originale du nouveau Star Wars, La Menace fantôme, sous la baguette d'une légende : le compositeur américain John Williams, auteur de musiques de films parmi les plus connues au monde.

L'orchestre d'une centaine de musiciens joue devant un écran de cinéma. Le secret le plus absolu est gardé sur les partitions, que les musiciens découvrent au dernier moment. "On devinait quand on jouait la musique d'une scène de bataille ou une poursuite dans l'espace. Quand on avait un petit temps sans être sollicités, on jetait un coup d'œil en coin à l'écran pour voir le film", raconte la musicienne, un regard espiègle à l'évocation de ce souvenir. Enregistrer une musique d'un film avec un orchestre prend en général une journée. Avec John Williams, c'est minimum une semaine. Le maestro lâche alors à la débutante cette phrase, gravée dans sa mémoire : "Vous me trouvez tatillon ? C'est parce qu'il y aura plus de gens qui entendront cette musique que de spectateurs à vos concerts durant votre vie entière."    

Cette scène est un condensé de ce que représente John Williams. Un artisan. Le dernier compositeur à Hollywood à refuser les logiciels pour écrire sa musique. Un ouvrier qui rédige lui-même les partitions pour tous les instruments, sans déléguer cette tâche à un sous-fifre. Un maître dont les compositions sont devenues aussi célèbres que les films qu'elles accompagnent depuis un demi-siècle. Star Wars, c'est lui. Indiana Jones, idem. Les Dents de la mer, Rencontres du troisième type, E.T., Jurassic Park, Harry Potter... Tous ces airs qui vous sont restés dans la tête en sortant de la salle de cinéma. Ou la musique que vous sifflotez sous la douche le matin. Et maintenant, une nouvelle bande originale pour The Fabelmans, le dernier film en date de son vieux complice Steven Spielberg, qui sort en France mercredi 22 février, avant un reboutiquage de la musique d'Indiana Jones pour le cinquième volet des aventures de l'archéologue au fédora. Sa place est dans un musée. Tiens, on ne l'aurait pas déjà dit à Indy, justement ? Un peu, hélas.

L'aventurier de la musique perdue

A quoi reconnaît-on une musique de John Williams ? Le compositeur n'a pas vraiment de style propre, n'en déplaise à Ennio Morricone – sans doute le seul compositeur de musiques de films ayant pu lui faire de l'ombre –, qui l'accusait de "photocopier" les marches de Richard Wagner. "C'est vrai qu'il aime beaucoup les marches militaires, s'amuse le chef d'orchestre allemand Frank Strobel, l'un des pionniers du ciné-concert en Europe. Rien que dans Star Wars, même le thème d'ouverture en est une. Sans parler de la musique associée à Dark Vador : La Marche impériale…" On pourrait citer parmi ses influences Debussy, Ravel, pour les classiques, ou Korngold, chez les compositeurs de l'âge d'or hollywoodien.

"Il a synthétisé toute la musique du XXe siècle", s'enflamme Alexandre Desplat, qui lui a succédé à la musique de la saga Harry Potter. Une synthèse, mais tout sauf une simplification. "Ça vous paraît simple, mais ça m'a pris des jours pour trouver un leitmotiv pour le personnage d'Indiana Jones", expliquait le maestro lui-même dans une interview à la Philharmonie de Berlin*. "C'est très contraignant et très frustrant d'écrire pour le cinéma", confiait-il à Classic FM*. "C'est le plus haut niveau de la musique de film, renchérit le compositeur et chef d'orchestre Laurent Petitgirard, qui a dirigé La Marche impériale. Certes, on n'est pas sur un niveau de complexité digne d'un concerto de Bartók [réputé difficile d'accès]. Mais sa musique supporte largement d'être dissociée de l'image."  

Le compositeur a le souci de faire participer tous les musiciens, pointe Erwann Chandon, jeune compositeur français se revendiquant de John Williams (allez écouter la BO de La Dernière Vie de Simon) : "Personne ne s'ennuie, tout le monde a quelque chose à jouer, tout s'imbrique parfaitement, sans être trop dense. C'est une préoccupation constante chez moi : si j'étais le tromboniste de l'orchestre, je serais content d'avoir plus à jouer qu'un pouet toutes les deux minutes." Sans doute un héritage du passé de musicien de studio de John Williams et de sa formation de jazzman dans les années 1950.   

 

 

Quand bien même recette il y aurait, le chef vétéran – il vient de fêter ses 91 ans –  en a imperceptiblement modifié les ingrédients au fil des années. Du style pétaradant de L'Empire contre-attaque à des partitions plus intimistes comme celle de Pentagon Papers, en passant par le ton jazzy d'Attrape-moi si tu peux ou les chants de Noël de Maman, j'ai raté l'avion. Oui, ils sont aussi de lui, et ce n'est pas sa partition la moins intéressante, entre fugues et références à Tchaïkovski. "Quand on regarde son œuvre sur la durée, on observe qu'il utilise un orchestre moins chargé en cuivres qu'au début, avec davantage de bois et de sonorités délicates, à la harpe par exemple, appuie la musicologue Chloé Huvet. La couleur de l'orchestre change. Il donne de plus en plus de place aux percussions aussi. Certains morceaux de Minority Report ou du Monde perdu en sont presque entièrement composés." 

Le Superman des musiques de films

Le New-Yorkais a pourtant passé outre le principe absolu de la musique de film, édicté, entre autres, par Bernard Herrmann (PDF), légendaire compositeur attitré d'Alfred Hitchcock : "Une bonne musique de film est celle qui passe inaperçue." La patte John Williams, c'est tout le contraire. George Lucas a eu cette phrase fameuse* : "Les films de la saga Star Wars sont en fait presque des films muets. Dans la plupart des films, l'histoire est portée par le dialogue ; dans Star Wars, la musique porte l'histoire." Au point qu'il existe une version de l'épisode 8*, Les Derniers Jedi, sans dialogues, uniquement avec la musique de John Williams.  

L'exemple le plus éclatant demeure la scène de l'arrivée en hélicoptère sur l'île de Jurassic Park. "Ce morceau est absolument fascinant, s'enflamme Frank Lehman, auteur d'un livre sur les musiques de scènes d'action de John Williams. Il impose l'attention au spectateur, et même d'un point de vue musical pur, en faisant abstraction du film, ça va bien au-delà d'un simple bonus à ce qu'on voit sur la pellicule. Répétitions, climax, leitmotivs, on y trouve tout ce que vous attendriez d'un morceau de classique qui tient tout seul." A étudier dans toutes les écoles de musique, selon lui. "Heureusement qu'il y a encore des réalisateurs qui autorisent John Williams à partir dans de telles envolées."  

 

Car aujourd'hui à Hollywood, un morceau de huit minutes relève presque autant de la science-fiction que de voir des extraterrestres disgracieux faire du vélo au clair de lune. "Le nombre de films qui se prêtent à une musique symphonique avec un orchestre s'est raréfié, avance Emilio Audissino, auteur d'un livre sur l'œuvre de John Williams. Avec le montage numérique, et le fait qu'on retravaille le film presque jusqu'à sa sortie, en enlevant 10 secondes sur une scène, c'est compliqué de devoir ajuster un morceau symphonique. D'où l'émergence d'un 'sound design' façon Hans Zimmer. Comparez la partition du premier Superman de 1978 à celle du Man of Steel de 2013, quarante ans après. Toute l'évolution de la mode à Hollywood est résumée là." Pour ne rien arranger, si vous voulez vous offrir l'Orchestre symphonique de Londres et les mythiques studios d'Abbey Road, au son incomparable, il va falloir dépenser sans compter. Il se murmure que la bande originale de La Menace fantôme a coûté la bagatelle de 10 000 euros la minute.

Le sorcier sans école

C'est sans doute pour cela que son style n'a pas tant fait école. "C'est le dernier survivant de la musique hollywoodienne", a joliment écrit son homologue français Bruno Coulais dans un livre qui lui est consacré, John Williams : Un alchimiste musical à Hollywood (éd. L'Harmattan, 2011). Même pas, selon le principal intéressé. Quand Steven Spielberg lui a proposé d'écrire la musique de La Liste de Schindler, John Williams a alors argué qu'il lui faudrait trouver "un meilleur compositeur" pour un film aussi grave, traitant de l'Holocauste, raconte le musicien à Vanity Fair*. "Je sais... Mais tous les autres sont morts", avait ironisé le cinéaste. Là encore, John Williams s'est réinventé, en s'appropriant des airs yiddish au violon pour écrire une bande originale entrée dans la légende. "C'est plus facile de pasticher du Hans Zimmer que du John Williams", souligne Erwann Chandon. Alexandre Desplat appuie : "Hollywood a été envahi par des musiciens moins doués pour écrire des mélodies."

 

Question héritage, John Williams a réussi à donner un incroyable coup de jeune à la musique classique. Comme lors du concert qu'il a donné, en décembre 2022, à la prestigieuse Scala de Milan. "J'ai vu des spectateurs d'une vingtaine d'années dégainer leur téléphone pour filmer quand on a joué le thème de Harry Potter, raconte Raphaël, qui a fait le voyage depuis Nantes pour assister au concert. Pour les films comme Indiana Jones ou Star Wars, les gens battaient la mesure, sans danser, mais presque. On entendait des cris de joie !"        

 

 

Bien loin de l'image un rien guindée qu'on pourrait avoir du public de la musique classique. "C'est le seul qui a réussi à faire le lien avec la musique de concert, appuie Alexandre Desplat, deux Oscars de la meilleure musique de film sur sa cheminée. Les musiciens aiment la jouer, les programmateurs des salles mythiques en veulent aussi. C'est devenu de la musique populaire, dans le sens le plus noble possible, au même titre que le Boléro de Ravel." 

* Les liens suivis d'un astérisque mènent vers des contenus ou articles en anglais.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.