Cet article date de plus de cinq ans.

"Suspiria" : la relecture du chef-d'oeuvre de Dario Argento par un cinéaste fan

Ceux qui ont découvert "Suspiria" en 1977 en garde un souvenir ému. Son réalisateur Dario Argento, qui venait de réinventer le "Giallo" (film noir italien) en digne successeur de Mario Bava ("Le Masque du démon", "Six femmes pour l’assassin"), reformulait le cinéma fantastique à l’aube des années 80. Luca Guadagnino ("Call Me By Your Name") en offre plus qu'un remake, la refonte totale du film.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 3 min
"Suspiria" de Luca Guadagnino
 (Amazon Studios)

Lutte de pouvoir

Dès sa projection au mythique Festival du film fantastique de Paris en 1977, "Suspiria" s’est imposé comme un film phénomène. Dario Argento avait déjà quatre films derrière lui et entrait désormais dans le club des cinéastes cinéphiles qui revendiquaient leur amour pour le fantastique et qui vont le propulser vers un nouvel âge d’or dans les années 80, auprès de Steven Spielberg, Brian De Palma, ou John Carpenter. "Suspiria" est un cas dans son inventivité visuelle, conçu comme le premier film d’une trilogie qui n’arrivera jamais vraiment à terme. Luca Guadagnino, né seulement 6 ans avant la sortie du film, ne s’en est pas remis lors de sa découverte et en offre la relecture assumée et talentueuse, avec un regard politique absent de l’original.
Le réalisateur prend pour cadre de son film le Berlin d'avant la chute du mur, alors qu’Argento situait l’action à Fribourg dans un contexte sans référence au rideau de fer. Suzie (Dakota Johnson), une jeune ballerine américaine, vient approfondir son art dans une des plus grandes académies européennes. Repérée pour son talent par Madame Blanche (Tilda Swinton), la chorégraphe du ballet lui octroie le premier rôle, alors qu’elle découvre que l’institut est dirigé par des sorcières en pleine lutte de pouvoir…

Innocence perdue

La mise en scène de Luca Guadagnino se démarque en tout du baroque et de l’expressionnisme de son prédécesseur. Alors qu’Argento se situait en droite ligne du cinéma allemand des années 20 regénéré par les éclairages colorés de Mario Bava, et de décors Art Nouveau irréalistes et théâtraux, son successeur joue de camaïeux de gris très berlinois et d’environnements réalistes. Comme s’il soulignait la perte d’une innocence. Si celle de Suzie était au cœur de "Suspiria" 1978, elle rejaillit désormais sur toute notre époque. D’une "fantaisie" horrifique, l’on passe à une métaphore politique.
Dakota Johnson dans "Suspiria" de Luca Guadagnino
 (Amazon Studios)
Luca Guadagnino retrouve toutefois le style baroque et bariolé de rouge de Dario Argento dans la dernière partie, où le fantastique et l’horreur prennent le dessus. Signé Thom Yorke, le leader de Radiohead, la musique, comme dans l’original, est au cœur du film. Signée par Goblin (groupe de rock progressif italien), la musique du "Suspiria" original fait date dans son baroquisme instrumental et sonore extrême. Le cinéaste a trouvé un équivalent contemporain dans un tout autre style, plus planant et atmosphérique, moins brutal, à l’image de son film.

D’un conte à l’autre

Le contexte berlinois de cette nouvelle version de "Suspiria" voit le basculement d’un monde vers un autre. Les luttes intestines des directrices/sorcières sont celles de l’Est et de l’Ouest, de la réforme contre le conservatisme. Argento se situait sur le terrain d’un ésotérisme assumé, qu’il connaît. Ses sorcières se nourrissaient de la souffrance des êtres. L’institut de danse est aussi celui de l’apprentissage de la souffrance pour la dépasser dans l’art. Comme si souffrir était un passage obligé pour se transformer, évoluer.
Dakota Johnson dans "Suspiria" de Luca Guadagnino
 (Metropolitan FilmExport )
Luca Guadagnino transpose ce qui relevait d’un destin individuel, dans un sous-texte politique, collectif. Il garde cependant le parti-pris d’un récit plein de mystères, dans des ellipses et non-dits dont le réalisateur originel est friand. Il lui est également fidèle dans son usage d’une violence graphique, gore. Mais au rêve horrifique originel d’Argento, succède un cauchemar réaliste, comme pour élargir la perte d’innocence de son héroïne à toute notre époque. Une adaptation élégante et justifiée, au-delà de l'hommage et du simple remake.
"Suspiria" (2018) : l'affiche
 ( Metropolitan FilmExport )

LA FICHE

Genre : Fantastique
Réalisateur : Luca Guadagnino 
Pays : Italie / Etats-Unis
Acteurs : Dakota Johnson, Tilda Swinton, Mia Goth, Chloé Grace Moretz, Sylvie Testud, Ingrid Caven, Elena Fokina, Jessica Harper, Agela Winkler
Interdit aux moins de 16 ans
Durée : 2h32
Sortie : 14 novembre 2018

Synopsis : Susie Bannon, jeune danseuse américaine, débarque à Berlin dans l'espoir d'intégrer la célèbre compagnie de danse Helena Markos. Madame Blanc, sa chorégraphe, impressionnée par son talent, promeut Susie danseuse étoile. Tandis que les répétitions du ballet s’intensifient, les deux femmes deviennent de plus en plus proches. C’est alors que Susie commence à faire de terrifiantes découvertes sur la compagnie et celles qui la dirigent… 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.