"In the fade" : magistrale Diane Kruger dans un thriller de Fatih Akin primé à Cannes
Drame humain
Katja, une jeune femme allemande de Hambourg, voit sa vie anéantie le jour où elle découvre que son fils, Rocco, et son mari Nuri ont été tués dans un attentat à la bombe qui les visait directement. Une atrocité qui lui tombe dessus, "d’un coup", et de "nulle part", pour reprendre les mots qui traduisent au mieux le titre allemand, "Aus dem nichts" (en anglais "In the fade"). Peu de temps après, les présumés coupables sont identifiés comme étant des néonazis qui ont pris pour cible, avec Nuri et Rocco, deux membres de la communauté turque. Commence alors un procès durant lequel Katja, aidée de son avocat Danilo Fava (lui aussi d’origine étrangère), doit non seulement vivre avec le deuil, mais aussi affronter la violence d’un discours qui devient presque accusateur à son encontre. La découverte de stupéfiants lors d’une perquisition à son domicile n’arrange rien.Le film de Fatih Akin ("De l’autre côté", "Soul Kitchen", "The cut"), dépeint un drame humain, l'intimité bouleversante de l’horreur qui survient du jour au lendemain, sans prévenir. Peu à peu "In the Fade" prend la forme et les codes du film de procès puis du thriller, mais sans jamais se départir de cette dimension humaine. Au coeur, portant le drame : la femme, forte et fragile à la fois, abattue. Mue, ensuite, par un désir de justice, et de vengeance aussi, sans doute.
Diane Kruger est Katja
Diane Kruger est cette femme, pleinement. Dans son premier rôle en allemand (sa langue maternelle). C’est elle, la comédienne d’"Unglorius Bastard" de Tarantino, qui a exprimé, il y a quelques années, le souhait de travailler avec le réalisateur allemand d’origine turque. Lui l’a choisie ensuite quand il cherchait une femme blonde, "aryenne aux yeux bleus", disait-il lors de la conférence de presse de présentation du film à Cannes. Et elle : "Fatih m’a demandé de sauter dans le vide les yeux fermés. On s’est trouvés ! J’ai vécu avec Katja bien avant le début du tournage", dit-elle d’un air grave. Pendant un mois et demi, la star d’Hollywood a vécu, comme son personnage, à Hambourg, fréquentant les lieux du drame.
L'actrice a notamment séjourné dans les quartiers turcs de la ville. Car Katja - et c’est l’autre particularité de ce rôle - est au centre d’un environnement familial multiculturel (germano-turc) qu’elle a créé sans même s’en rendre compte. Elle est étonnée lorsque l’inspecteur, tout de suite après l'attentat lui demande : "votre mari était-il musulman pratiquant ? Kurde ?" Fatih Akin brosse avec précision la coexistence de deux familles, de deux mondes qui, au moment des obsèques, par exemple, révèle des incompréhensions, cette incommunicabilité entre deux communautés. C’est d’ailleurs ce multiculturalisme qui a été visé par les néonazis.
Thriller haletant
Enfin, Katja/Diane Kruger incarne le rôle de femme-mère de prime importance dans le cinéma de Fatih Akin : "Dans le village au bord de la mer où nous nous rendions dans mon enfance, la mère était le symbole de l’attente du pêcheur et de l’angoisse de la mort. Depuis, pour moi, la mère a à la fois un côté poétique qui console et aussi l’image de la mort", explique le réalisateur.
"In the fade" possède une narration vivante, dynamique, et haletante. Son rythme s’accélère à mesure que l’enquête et le procès avancent, puis inexorablement s’emballe dans une progression pleine de suspense. Akin, on le sait, maîtrise ses mises en scène. Cette dernière est sobre, presque classique mais d’une redoutable efficacité. D’autant que la photographie est très soignée. Quelques plans atisent l’attention du spectateur pour transmettre la tension, comme cette plongée au ralenti au moment où Katja est appelée à la barre pour témoigner. On est presque dérouté, comme elle, en suspension.
Film politique ?
Les attentats à répétition donnent inévitablement une résonance particulière au film. 'Ce pourrait être aussi un attentat de Daech', admetait Fatih Akin à la conférence de presse cannoise. Pendant la préparation du projet, l’Europe vivait les drames du Bataclan, de Nice et d’Istamboul, et l'on sortait tout juste de celui de Manchester. "Nous vivons un temps de guerre mondialisé", ajoute-t-il. Mais lui s’est inspiré des meurtres commis en Allemagne, entre 2000 et 2007 contre des personnes d’origine turque par des membres du groupuscule néo-nazi NSU (Clandestinité Nationale-Socialiste). "L’enquête a fait scandale", explique-t-il. "Non à cause du fait que neuf personnes aient été tuées. Mais parce que la police a d’abord soupçonné les victimes elles-mêmes, forcément liées à des mafieux turcs, au trafic. C’est ce qui m’a fait écrire le film. C’est un film sur le chagrin. Ce qui m’a poussé à l’écrire est politique, mais j’ai mis ensuite de côté cette dimension pour rester dans le drame humain".
La mer est présente comme dans tant d’autres films de Fatih Akin . "Dans mes films, la surface de l’eau reflète ce qui se passe à l’intérieur", dit-il. "Je suis pris par la colère. Et ça pénètre mon travail". Diane Kruger le rejoint : "Je partage ce propos. Je suis une citoyenne et combien de fois je n’ai pas réussi à dormir à cause de ces actes de terrorisme. Voilà pourquoi je joue ce rôle".
LA FICHE
Genre : Thriller, fiction, drame
Réalisateur : Fatih Akin
Pays : France, Allemagne
Acteurs : Diane Kruger, Denis Moschitto, Numan Acar, Ulrich Brandhoff, Siir Eloglu, Jessica McIntyre
Durée : 1h40
Synopsis : La vie de Katja s’effondre lorsque son mari et son fils meurent dans un attentat à la bombe. Après le deuil et l’injustice, viendra le temps de la vengeance.
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