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"Pasolini" : Abel Ferrara met en scène le dernier jour du cinéaste italien

Après sa mini tempête cannoise avec "Welcome to New York", sur l’affaire DSK, sorti seulement en VOD, qui a fait pschitt, Abel Ferrara a projeté à la fois à Venise et à Deauville son biopic sur la dernière journée vécue par Pier Paolo Pasolini, avant son assassinat le 2 novembre 1975. Encore un sujet qui frise le scandale, mais moins polémique, sinon moins opportuniste, que le précédent.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Willem Dafoe, acteur fétiche d'Abel Ferrara, dans le rôle de Pier Paolo Pasolini.
 (Capricci Films)
La note Culturebox
4 / 5                  ★★★★☆

De Abel Ferrara (Belgique, Italie, France). Avec Willem Dafoe, Riccardo Scamarcio, Ninetto Davoli, Valerio Mastandrea, Maria de Medeiros - 1h26 - Sortie : 31 décembre 2014

Synopsis : À Rome, la nuit du 2 novembre 1975, le grand poète italien et réalisateur Pier Paolo Pasolini est assassiné. Pasolini, le symbole d'un art aux prises avec le pouvoir. Ses écrits sont scandaleux, ses films persécutés par les censeurs, beaucoup l'aiment, beaucoup le détestent. Le jour de sa mort, Pasolini passe ses dernières heures avec sa mère adorée, puis avec ses amis proches et part enfin, au volant de son Alfa Romeo, à la quête d'une aventure dans la cité éternelle. Au lever du jour, Pasolini est retrouvé mort sur une plage d'Ostie, aux abords de la ville. Dans un film onirique et visionnaire, entre réalité et fantasme, Abel Ferrara reconstruit le dernier jour de la vie de ce grand poète avec son acteur fétiche, Willem Dafoe, dans le rôle de PPP.
Provoquer
En ouverture de son film, Abel Ferrara reprend à son compte une citation de Pasolini qui lui sied fort bien : "Scandaliser est un droit, être scandalisé, un plaisir." Poète, romancier, dialoguiste, intellectuel, cinéaste, Pier Paolo Pasolini a scandalisé tout au long de sa vie d’artiste, et par ses prises de position tranchées. Persécuté par la censure et la justice, le cinéaste a dû subir quelque 34 procès dans le cadre de ses activités, décidément dérangeantes.

Que Ferrara parvienne à évoquer avec justesse cette vie riche, pluridisciplinaire et engagée en 1h26, évoquant la dernière journée de l’artiste, relève du miracle. C’est sans doute parce que l’Américain se sent en osmose avec l’Italien. Si Ferrara n’est pas Pasolini, loin s’en faut, il y a quelque chose de symbiotique entre les deux hommes, par leur radicalité commune. Souvent excessif dans ses mises en scène, Abel Ferrara fait preuve d’une belle sobriété dans la majeure partie de son film. Les images les plus difficiles proviennent de "Salo, les 120 journées de Sodome" qui font l’ouverture, où l’on voit le cinéaste italien diriger la postproduction de son dernier long métrage, la veille de sa mort.
Willem Dafoe dans "Pasolini" d'Abel Ferrara.
 (Capricci Films)
La famille Pasolini
L’interprétation de Willem Dafoe dans la peau de Pasolini est exceptionnelle. Par le mimétisme, tant physique, que la posture, la démarche, jusqu’à la voix, d’une étonnante véracité. Même si les dialogues se partagent entre l’anglais et l’italien, comme si Ferrara n’arrivait jamais à trancher, pour des raisons commerciales regrettables. Sans doute imposées. Les apparitions de Maria de Medeiros en Laura Betti sont tout aussi troublantes. L’intervention de l’ancien amant et acteur fétiche du cinéaste, Ninetto Davoli, Pierrot lunaire irrésistible de jovialité, dans un film dans le film, est un moment de bonheur. La reconstitution d’une partie de football, où Pasolini tape dans la balle au temps de son arrivée à Rome en 1950, déduite de photographies d’époque, n’est pas moins touchante.

Ferrara traduit toute l’attention des proches autour de lui, et combien il les aime. Sa mère, au premier chef, chez qui il passa cette dernière journée quand il ne retrouvait pas ses amis dans Rome. Les interviews accordées à deux journalistes, dont l’une le dérange et le trouble, jusqu'à y mettre court, argumentant préfèrer y répondre par écrit… Toutes ces scènes sont incroyablement évocatrices de l’homme, de l’artiste, de sa teneur intellectuelle et de sa sensibilité.
Ninetto Davoli dans "Pasolini" d'Abel Ferrara
 (Capricci Films)
Jusqu’à cette dernière nuit, où il embraque un "giton" vers la plage d’Ostie, où l’attend la mort. Si le mystère n’est pas encore élucidé sur son assassinat, le cinéaste choisit une version des plus plausibles, avançant que Pasolini aurait été tué par trois jeunes voyous qui lui seraient tombés dessus, sans savoir qui il était, le rouant de coups à mort. Il est d’ailleurs question de la réouverture d’une enquête en Italie sur cette mort sordide. Mais cette version, pour Ferrara, se justifie aussi en renvoyant aux vieux démons pasoliniens.

Dès son arrivée à Rome, il se passionna pour ces jeunes désœuvrés des faubourgs et du sous-prolétariat romain tombés dans la délinquance. Il écrivit son premier roman sur ce milieu, "Ragazzi di Vita", qui lui valut son premier scandale, mais lui a aussi ouvert un début de notoriété qui allait le lancer dans le monde des arts. Pasolini ne quittera jamais tout à fait ce milieu interlope qui, dans la version Ferrara, l’aurait finalement rattrapé. Une vision tant réaliste que métaphorique, qui ferme la boucle d’une destinée tragique sans équivalence aucune. Le cinéaste avait fait de sa vie une oeuvre d'art. Magnifique.

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