"Paco de Lucía, légende du flamenco", l'indispensable témoignage
Un limage méticuleux des ongles, un accordage de guitare, un avion qui s'envole au-dessus de la statue de Paco de Lucía dans sa ville natale d'Algésiras, en Andalousie... Ainsi débute un documentaire qui nous embarque dans un grand voyage : voyage dans le temps, voyage dans l'univers d'un génie du flamenco.
D'emblée, une confidence dans un document en noir et blanc nous interpelle : "Sans la guitare, j'aurais été introverti toute ma vie, je n'aurais pas pu m'affirmer, parce que la guitare est ma seule forme d'expression." Dès lors, le documentaire retrace le cheminement qui fit de Francisco Sánchez Gómez, petit garçon timide, un géant de la guitare mondiale : l'apprentissage auprès du père, guitariste sans le sou, les débuts avec son frère aîné Pepe, chanteur, la rencontre avec le grand Camarón, la gloire à la faveur d'une rumba improvisée, l'ouverture vers d'autres musiques, les liens compliqués avec le monde du flamenco... On notera que l'univers musical décrit dans ce film est presque exclusivement masculin.
La force du documentaire, c'est son principal narrateur : Paco de Lucía en personne, sa voix grave, son visage buriné, fil conducteur parmi les autres témoignages. Saisis tantôt dans sa maison à Majorque, tantôt en tournée, souvenirs et anecdotes nous sont offerts sans fausse modestie ni complaisance. Il y a la tristesse d'un artiste nostalgique de l'enfance, usé par la pression : "Depuis que la vie me sourit, que je suis connu dans le monde, que je gagne de l'argent, qu'on m'appelle maestro, je suis aigri, parce qu'on a placé la barre tellement haut que si que je redescends un peu, on me critique. Et avec ce caractère perfectionniste, transmis par mon père, ce besoin d'être toujours à la hauteur de ce qu'on attend de toi, ce n'est pas agréable, c'est un supplice."
Paco de Lucía n'élude rien de son rapport à la célébrité, à l'argent, à la scène, au public, à ses pairs du flamenco. Que d'angoisses, que de culpabilités, que de peurs. Paco le virtuose doute même de sa capacité à improviser. "Je ne crois pas aux génies. Je crois aux gens qui travaillent beaucoup et qui ont du talent. Ces personnes ont en commun la sensation de ne rien savoir."
Et pourtant. Au fil du documentaire, ce qui fait le génie du guitariste s'impose comme une évidence, dans les splendides extraits musicaux comme dans les témoignages des artistes - parmi lesquels son frère Pepe - qui l'ont côtoyé : le soin obsessionnel du rythme, la vélocité, la profondeur narrative... "Sa musique me fait penser à Don Quichotte", sourit le chanteur Alejandro Sanz. Loin des frontières ibériques, d'autres géants de la musique témoignent : John McLaughlin, avec qui Paco de Lucía joua en trio, Carlos Santana, Chick Corea.
Fenêtre entrouverte sur l'âme d'un créateur qui a révolutionné son art, le film de Curro Sánchez Varela est captivant, saisissant, indispensable à quiconque s'intéresse à Paco de Lucía, au flamenco, à la musique tout simplement. Le destin a voulu qu'il prenne des airs de testament. La fin, qui nous révèle une face cachée de l'artiste, nous laisse seuls et émus. Et ravive la tristesse de l'avoir vu partir trop tôt.
Paco de Lucía, légende du flamenco
De Curro Sánchez Varela (Espagne), avec : Paco de Lucía, Pepe de Lucía, John McLaughlin, Carlos Santana... - 1H32 - Sortie : 28 octobre 2015
Synopsis : Ce documentaire en hommage au génie de la guitare disparu en février 2014 a été réalisé par son propre fils. L'occasion de revivre une carrière et un destin hors-norme relatés par l'intéressé lui-même, et de découvrir les artistes d'exception que Paco de Lucía a croisés, de Chick Corea à John McLaughlin.
Ce film a été distingué par le Goya (l'équivalent espagnol du César) du meilleur documentaire.
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