Cet article date de plus de dix ans.

"Mouton" : un premier film dans la lignée de Bruno Dumont

"Mouton" de Gilles Deroo et Marianne Pistonne a remporté le Prix spécial du jury et celui du Premier film au dernier Festival de Locarno. Un film âpre, rugueux, exigeant, dans la droite ligne du cinéma d’un Bruno Dumont.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 3min
David Merabet et Cindy Dumon dans "Mouton" de Gilles Deroo, Marianne Pistonne 
 (Shellac Distribution)
La note Culturebox
3 / 5                  ★★★☆☆

De Gilles Deroo et Marianne Pistonne (France), avec : David Merabet, Michael Mormentyn, Cindy Dumont, Audrey Clément - 1h40 - Sortie : 11 juin 2014

Synopsis : Il était dit que le jeune Mouton vivrait sa vie simple d'employé au restaurant de la mer pendant trois ans et qu'il serait arraché à cette vie après une nuit tragique au bal Sainte-Anne. Voici l'histoire résiduelle de ses potes restés dans une ville désormais peuplée de chiens et d'espoirs contenus dans de minuscules gestes.

Coupé en deux
La référence à Bruno Dumont rebondit sur celle à Robert Bresson : l’épure d’une image non esthétisante, la priorité donnée au cadrage précis sans être flatteur et à des acteurs non professionnels, la précision d’une recherche sonore dénuée de musique. Cette cinématographie "brute de décoffrage" sert un naturalisme ancré dans la chronique d’un petit groupe vivant dans une bourgade du littorale de Basse-Normandie, Courseulles. Ethnologique ? Plutôt au croisement du documentaire et de la fiction.

En son centre : un post-adolescent, surnommé Mouton, récemment émancipé d’une mère qui n’a pas toute sa raison, apprenti dans un restaurant de poissons. Appliqué à la tâche, amical, apprécié par son patron et ses collègues, il fait partie d’une petite bande familiale, et quand arrive une nouvelle serveuse, l’amour est au rendez-vous.  Jusqu’ici, tout va bien. Puis lors d’une fête locale, c’est le dérapage. Une agression à son encontre fait basculer sa vie… et le film. Il en disparaît complètement. Gilles Deroo et Marianne Pistonne se concentrent dès lors sur le petit groupe d’amis pour observer les conséquences de cette absence.

David Merabet dans "Mouton" de Gilles Deroo et Marianne Pistonne
 (Shellac Distribution)

Rites païens
L’absence de Mouton au sein du petit groupe semble d’abord éludée. Chacun vaque à ses occupations, un futur mariage est annoncé, Audrey, la petite amie de Mouton, est bien là mais rien n’en émane. De longs plans, vides, muets, signifient l’absence. Jusqu’à ce que Louise rappelle Mouton dans les mémoires. Mais sa présence ne sera pas ravivée. Cette absence, cet oubli apparaît comme l’insignifiance d’une présence, désormais absente, pourtant appréciée, sinon aimée. Louise tente bien de la rappeler. Rien n’y fera finalement. Triste.

"Mouton" montre d’autre part des rites locaux extrêmement curieux, comme cette séance de crachats au visage de Mouton par ses amis, jusqu’au plus petit enfant d’environ trois ans, comme pour célébrer son émancipation et son insertion dans la communauté grâce à son emploi. Mais rien n’est explicite et assez dérangeant. Puis vient la cérémonie de la Sainte-Anne qui ressemble plus à une cérémonie païenne qu’à une fête religieuse et qui déclenchera la chute de Mouton. Des scènes étranges, curieuses, pour un film qui recoupe dans son ensemble ces qualificatifs. Dans son naturalisme quasi ethnologique, il n’en émane pas moins une poésie, due en grande partie à son filmage, mais aussi ses acteurs, surtout David Merabet dans le rôle-titre, très touchant et plein de sensibilité. Mais il faut s’accrocher. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.