"Memories of Murder", le film qui a révélé le réalisateur d’"Okja", Bong Joon-Ho
Glauque
Bong Joon-Ho se distinguera, après "Memories", avec "The Host", formidable film de monstre écologique ; "Mother", portrait bouleversant d’une femme se sacrifiant pour son fils ; "Snowpiercer", dystopie brillante d’après la BD française de Benjamin Legrand et Jean-Marc Rochette sur une idée de Jacques Lob ; jusqu’à "Okja" qui a défrayé la chronique à Cannes.S’il y a des meurtres de femmes à répétition et une enquête dans "Memories of Murder", ce sont les rapports entre policiers qui priment. Hormis leurs polars urbains implacables, les cinéastes coréens filment souvent la ruralité. On sent la campagne profonde, même si Bong Joon-Ho la réduit à un seul et même décor. Une plaine agricole, cadre des meurtres et scènes de crime, avec son chemin perdu entre deux champs cultivés… et son fossé d’épandage.
Le théâtre des opérations prend le dessus des viols et assassinats abjectes. La violence n’est jamais explicite, mais suggérée dans sa résultante, comme les enquêteurs la découvrent. "Se7en" (1996) faisait la même chose. Seule incartade : le récit d’un témoin oculaire qui visualise une scène de "bondage" (ligotage à connotation sexuelle). La nuit domine tout le film. De jour il est imprimé d’une dominante gris-coloré, jaune-verdâtre, autrement dit "glauque", devenu synonyme de sordide.
Le flic des villes et les flics des champs
Ces contexte et partis pris de mise en scène servent la rencontre entre un flic de province avec un autre de Séoul, catapulté sur place, à sa demande. Les méthodes sont différentes, mais ils ont affaire tous deux à un cas inédit et sont, ensemble, novices en la matière. Ce qui va les rapprocher dans le labyrinthe d’une enquête indicible.Leurs méthodes dénoncent les violences policières, les enquêteurs ayant recours à la torture pour faire avouer leurs suspects. Car si la violence visuelle habite "Memories of Murder", elle est du côté de la police. C’est le thème majeur du film. Elle fait l'objet de recadrage hiérarchique, de dénonciations médiatiques et de manifestations urbaines. A travers elle, est dénoncée la violence d’une société coréenne gouvernée par un pouvoir militaire depuis 1979, renversée en 1987, mais dont les répercussions se font sentir encore aujourd’hui.
Bong Joon-Ho parle de son pays, à travers un fait-divers qui a traumatisé la Corée. Il métaphorise l’assassinat du président Park Chung-Hu qui a conduit à la dictature de Chun Doo-hwan. Les assassinats en série, les tortures, le ligotage des victimes, renvoient au traitement des Coréens par le régime. Mais une autre dimension surnage. Celle d’une nature coréenne qu’incarne merveilleusement l’acteur phare du cinéma coréen, Song-Khan-ho, fidèle de Bong Joon-Ho et de cet autre maître du cinéma coréen, Park Chan-wook ("Old Boy", "Mademoiselle"...) Il incarne une nonchalance, peu commune en Asie, toute méditerranéenne, avec un humour et une couleur locale incomparable. "Memories of Murder" transcende le film de genre en partant d’une enquête policière pour s'ouvrir au politique et à l'anthopologie. Remarquable.
LA FICHE
Thriller de Bong Joon-Ho (Corée du Sud), Avec : ong Kang-Ho, Kim Sang-kyung, Hie-bong Byeon - Durée : 2h10 - Reprise : 5 juillet 2017
Synopsis : En 1986, dans la province de Gyunggi, le corps d'une jeune femme violée puis assassinée est retrouvé dans la campagne. Deux mois plus tard, d'autres crimes similaires ont lieu. Dans un pays qui n'a jamais connu de telles atrocités, la rumeur d'actes commis par un serial killer grandit de jour en jour. Une unité spéciale de la police est ainsi créée dans la région afin de trouver rapidement le coupable. Elle est placée sous les ordres d'un policier local et d'un détective spécialement envoyé de Séoul à sa demande. Devant l'absence de preuves concrètes, les deux hommes sombrent peu à peu dans le doute...
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