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"Massacre à la tronçonneuse", 40 ans après, le retour de l'original : terrible !

Sorti aux Etats-Unis en 1974, interdit sept ans en France, sujet à la censure, objet de scandale lors de sa projection à Cannes en 1975, puis à Avoriaz, "Massacre à la tronçonneuse" est un film à part à plus d'un titre. Il ressort aujourd'hui sur les écrans en version remasterisée, puis en DVD et Blu ray le 29 novembre dans des coffrets aux bonus et "goodies" exclusifs. Vous n'y réchapperez pas.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8min
Gunnar Hansen est "Leatheface" dans "Massacre à la tronçonneuse" de Tobe Hooper
 (VORTEX INC. / KIM HENKEL / TOBE HOOPER © 1974 VORTEX INC. Tous droits réservés)
La note Culturebox
5 / 5                  ★★★★★

De Tobe Hooper (Etats-Unis), avec : Marilyn Burns, Allen Danziger, Teri McMinn, Paul A. Partain, William Vail, Gunnar Hansen, Edwin Neal, Jim Siedow - 1h23 - Réédition restaurée : 29 octobre 2014
Interdit aux moins de 16 ans

Synopsis : Au fin fond du Texas, des habitants font une découverte macabre : leur cimetière vient d'être profané et les cadavres exposés sous forme de trophées. Pendant ce temps, cinq amis traversent la région à bord d'un minibus. Ils croisent en chemin la route d'un auto-stoppeur et décident de le prendre à bord. Mais lorsque les jeunes gens s'aperçoivent que l'individu a un comportement inquiétant et menaçant, ils finissent par s'en débarrasser. Bientôt à court d'essence, le groupe décide d'aller visiter une vieille maison abandonnée, appartenant aux grands-parents de deux d'entre eux. Chacun leur tour, les cinq amis vont être attirés par la maison voisine. La rencontre avec ses étranges habitants va leur être fatale...

"Citizen Kane" des films d'horreur
Si tout le monde ne l’a pas vu, tout le monde connaît le titre, tant le film a défrayé la chronique. "Massacre à la tronçonneuse", "The Texas Chainsaw Massacre" en V. O., a été vilipendé par les néophytes et est adulé par les aficionados du fantastique. Projeté au Festival du Rex avant sa sortie officielle en France, "Massacre" rassemble 2800 spectateurs avides, alors que 5000 autres attendent à l’extérieur ! Le film est aujourd’hui inscrit à la Study collection du musée d’Art moderne de New York, au panthéon du cinéma, au côté d’un "Citizen Kane", pour sa contribution au renouvellement du cinéma. Tobe Hooper, qui signait là son premier long métrage avec trois dollars, six pence, avec des acteurs inconnus qui en ont vraiment bavé sur le tournage, n’en espérait pas tant. Quarante ans plus tard, "Massacre à la tronçonneuse" n’a rien perdu de sa force.

Terri McMinn dans "Massacre à la tronçonneuse" de Tobe Hooper
 (VORTEX INC. / KIM HENKEL / TOBE HOOPER © 1974 VORTEX INC. Tous droits réservés.)

Film sale
Un malentendu veut que le film baigne dans le sang. Ce qui est totalement faux, quelques égratignures seulement apparaissant subrepticement. Ce qui confirme combien les spectateurs peuvent ajouter des images, voire des scènes entières, dans un film où elles n’existent pas. Un étrange phénomène dont le cinéma est le seul détenteur. Tobe Hooper revendique cette suggestibilité, préférant rester "discret" pour favoriser l’imagination du public. Ce qui est bien plus puissant qu’une simple monstration. Il n’en reste pas moins que "Massacre à la tronçonneuse" est imprégné d’une violence et d’une tension inédites, jamais égalés, en raison de plusieurs facteurs liés à une mise en scène savamment travaillée, pour piéger l’audience.

Le film est avant tout dérangeant. Dès son introduction, des images éphémères de cadavres décomposés, éclairés par de fugaces flashes photographiques, indisposent. L’on en connaîtra la justification plus tard. La musique, essentiellement composée de percussions, dissonantes, tribales, participe du malaise. Le générique montre des images astronomiques du soleil en éruption. Il introduit le thème solaire qui ne quittera plus le film, situé dans un Texas écrasé de chaleur. La texture des images, tournées en 16 mm, puis volontairement gonflées en 35, apporte du grain et d’étranges couleurs délavées, pour transmettre l’atmosphère caniculaire et claustrophobe du film. "Massacre à la tronçonneuse" est un film sale.

Gunnar Hnasen est Leatherface dans "Massacre à la tronçonneuse" de Tobe Hooper 
 (VORTEX INC. / KIM HENKEL / TOBE HOOPER © 1974 VORTEX INC. Tous droits réservés.)

La maison du cauchemar
Les premières scènes dramatiques ne sont pas moins dérangeantes. Avec ces étudiants en goguette qui accueillent dans leur van un auto-stoppeur crasseux au visage défiguré. Rapidement, il va s’avérer agressif.  La proximité d’un abattoir désaffecté, la conversation autour de l’abattage des bêtes, un tatou anachronique retourné sur la route, la scène dans la station-service insalubre qui fait office de boucherie aux viandes avariées, les "red necks" qui la tiennent… : le malaise continue. Le cauchemar peut commencer.

Une fois arrivé à la maison de l’horreur, le groupe est séparé. Les deux premières victimes sont vite exécutées, après la découverte d’une bâtisse labyrinthique, où les trophées macabres, des ossements humains et d’animaux, ou une poule enfermée dans une cage trop petite sont enfermés dans une pièce. C’est le royaume du colosse Leatherface (peau de cuir), ainsi dénommé pour le masque de peau humaine qui recouvre son visage, et exécuteur des hautes œuvres, armé d’une masse, puis d’une tronçonneuse.

Affiche pour "Massacre à la tronçonneuse" de Tobe Hooper
 (DR)

Une violence brutale envahit le film dans un crescendo dément, hystérique au son assourdissant de la tronçonneuse. Il est ponctué par un repas délirant de cette famille cannibale qui fait office de torture pour la seule survivante du groupe. Mais au cœur de ces horreurs, l’humour, paradoxalement, n’est pas absent. Des plus noirs, bien sûr. Un message sur l’Amérique du temps transparaît aussi. Celui d’un chaos idéologique, bousculé par la guerre du Vietnam, de l’éclatement de la famille, de la perte des repères avec la fin de la société de consommation. A lire à ce sujet l’excellent ouvrage de Jean-Baptiste Thoret, "Une expérience américaine du chaos", chez Dreamland.

Vrai faux fait divers
Un carton au début du film assure que "Massacre" est adapté d’un fait réel. C’est vrai et faux à la fois, effet de réel coutumier, tant en littérature qu’au cinéma. Leatherface fait référence à Ed Gein, l’un des pires tueurs en série des Etats-Unis, arrêté à la fin des années 50 et qui a inspiré "Psycho" de Robert Bloch, adapté par Hitchcock. "Le Silence des agneaux" s’en inspire également, d'autres aussi. Tous se retrouvent autour du fait que Gein, hormis sa nécrophilie (symptôme tenu par l’auto-stoppeur dans "Massacre"), repose sur la confection d’objets en peau humaine, comme le masque de Leatherface. Un autre fait divers est lié au film. Celui lié à un taxidermiste vivant près d’Austin qui assassinait des passants près de sa propriété. Il les moulait menu pour fertiliser sa terre et revendait les restes chez des recycleurs destiant leur production à l’alimentation pour animaux. Charmant.

Photo promotionnelle pour "Massacre à la tronçonneuse" de Tobe Hooper
 (VORTEX INC. / KIM HENKEL / TOBE HOOPER © 1974 VORTEX INC. Tous droits réservés.)

Hormis toutes ces horreurs,  "Massacre à la tronçonneuse" demeure un film unique et novateur, même expérimental. Le cinéma fantastique est parsemé de plusieurs films ayant révolutionné le genre. "Dracula" de Tod Browning inventait le cinéma fantastique gothique en 1931 ; "Le Cauchemar de Dracula" de Terence Fisher réinventait le genre en couleur en 1958, avec du sang et de l’érotisme à l’écran ;  "La Nuit des morts vivants" de George A. Romero redynamisait le film de zombies, message politique à la clé en 1968 ;  "Massacre à la tronçonneuse" inventait le film d’horreur moderne en 1974. Deux suites, très oubliables, toujours signées Hooper viendront, puis un remake, assez réussi en 2003, mais plus "soft", puis un "prequel" (film racontant ce qui a précédé l’histoire originelle) en 2006. Suite à l’original, "Evil Dead" de Sam Raimi, apportera sa contribution au genre en 1981.

Il n’est plus possible aujourd’hui de faire un film aussi dérangeant que "Massacre", ou "La Grande Bouffe" (1973) de Marco Ferreri, "Salo, les 120 jours de Sodome" (1975) de Pier Paolo Pasolini. Le film de Tobe Hooper tient bonne place auprès d’eux. Pour sa subversion, sa cinématographie, son impact sur le cinéma. Pour toutes ces raisons, "Massacre à la tronçonneuse" est un chef-d’œuvre.

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