"Les Proies" de Sofia Coppola : remake décoratif d’un grand western
Tétralogie
Dans "Les Proies", Sofia Coppola creuse sa thématique de prédilection, avec l'irruption d'un soldat blessé dans un pensionnat de jeunes filles pendant la guerre de Sécession. Ces jeunes filles ou femmes déstabilisées étaient déjà le sujet de son premier film, "Virgin Suicides" (1999), de "Marie-Antoinette" (2006) et de "The Bling Ring" (2013). Sa nouvelle adaptation du roman éponyme de Thomas P. Cullinan (1966, Rivages/Noir), après celle de Don Siegel avec Clint Eastwood de 1971, apparaît comme la conclusion d’une tétralogie. Ouverte sur les questions existentielles du passage de l’enfance à l’adolescence ("Virgin Suicides"), enchaînée sur la prise de conscience des responsabilités à l’âge adulte ("Marie-Antoinette", "The Bling Ring"), "Les Proies" met en perspective ces trois âges conjugués au féminin, confrontés à une masculinité attirante, mais brutale.Pris dans son ensemble, le projet est séduisant, surtout exprimé avec un point de vue de femme, et plutôt réussi. De plus "Les Proies" rassemble tous les âges précédemment évoqués séparément par Sofia Coppola, dans chacun de ses films. La réalisatrice n'hésite pas non-plus à faire usage d'une violence qui ne vient pas forcément de là où on l'attendrait, avec des effets gore inattendus pour Sofia Coppola.Mais cela serait oublier que le sujet a déjà été traité par Don Siegel, avec une autre puissance émotionnelle que la sienne. Il est pourtant étonnant d’observer que le réalisateur de "L’Inspecteur Harry" (1971), plutôt identifié à des films virils, se soit emparé du roman de Thomas P. Cullinan, reflet métaphorique de la révolution féministe des années 60-70.
Reportage : E. Cornet / N. Hayter /L. Palmer
Décorum
On peut difficilement s’affranchir de la comparaison, tant le film de 1971 a marqué et reste un des plus aboutis de la collaboration entre Don Siegel et Clint Eastwood. Mais il faut aussi s’en affranchir pour tenter de déceler les différences entre deux adaptations à 46 ans de distance. Paradoxalement, la version Coppola se démarque peu de l’original, tout en assumant une forme plus classique, ce qui n’est pas un grief, mais tranche par rapport aux audaces de Siegel. Fidèle à son approche esthétique, Sofia Coppola soigne à l’extrême ses images avec une magnifique photographie du Français Philippe Le Sourd ("The Grandmaster" de Wong Kar Wai), dans la lignée des lumières rasantes de Vilmos Zsigmond ("La Porte du paradis"). Sa passion pour les costumes est toujours à l’œuvre, peut-être un peu trop, avec ces crinolines blanches, rubans et autres broderies, raccord avec une mode actuelle très florale.Ce décorum ne dessert pas le film, mais peut prendre le dessus d’un sujet fort, en le mettant au second plan. Colin Farrell ne dégage pas la puissante virilité teintée de perversité d’Eastwood, alors que Nicole Kidman est toujours impeccable, tout en surjouant quelque peu avec ironie ; Kristen Dunst s’amuse d’un côté matrone, et s’il y a perversité elle serait du côté d’Elle Fanning ; les autres jeunes actrices sont toutes aussi bien distribuées. Ces nouvelles "Proies" participent d’un film des plus agréables, mais perdent de la puissance originelle d’un Siegel. La cinéaste joue la carte d'un thriller psychologique dans une atmosphère gothique Toutefois, un sentiment mitigé s’en dégage, un entre-deux qui frise l’exercice de style esthétisant.
LA FICHE
Genre : Thriller, drame historique
Réalisateurs: Sofia Coppola
Pays : Etats-Unis
Acteurs : Colin Farrell, Nicole Kidman, Elle Fanning, Kirsten Dunst, Angourie Rice
Durée : 1h31
Sortie : 23 août 2017
Synopsis : La vie d’un pensionnat de jeunes filles dans l’Etat de Virginie en 1864. Alors que la guerre civile fait rage, le pensionnat pour jeunes filles de Miss Martha Farnsworth reste totalement coupé du monde – jusqu’à ce qu’à proximité, soit découverte un soldat blessé que le pensionnat va héberger.
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