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"Le Redoutable" : Michel Hazanavicius offre un réjouissant biopic sur Godard

Célébré à Cannes, aux Oscars et aux Césars avec "The Artist" et pour ses deux opus d'"OSS 117" avec Jean Dujardin, Michel Hazanavicius était pour la troisième fois en compétition à Cannes cette année, là où on ne l'attendait pas, avec "Le Redoudable". Louis Garrel y interprète Jean-Luc Godard à un moment charnière de sa vie d’homme et de cinéaste, sa "période Mao". Un drôle de pseudo Biopic.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Louis Garrel dans "Le Redoutable" de Michel hazanavicius
 (Philippe Aubry – Les Compagnons du cinéma)

68

Dans la famille Biopic, je demande Godard ! En voilà un que l’on ne s’attendait pas à voir dans ce registre. Monstre sacré du cinéma qui a révolutionné la grammaire cinématographique en 1960 avec "A bout de souffle", il fait l’objet d’une fiction biographique, genre oh combien en vogue, signée Michel Hazanavicius, réalisateur "mainstream".

Une provocation ? Le réalisateur de "The Artist" est également l'auteur du scénario de cette adaptation d’"Un an après" d’Anne Wiazemsky, deuxième épouse de Godard. Elle y raconte la vie du couple à la ville comme au cinéma de mai 1968 à mai 1969. "Le Redoutable" déborde de cette période puisqu’il commence à la préparation et à la sortie en 1967 de "La Chinoise", film considéré comme prémonitoire des événements de 68.

Reportage : D. Wolfromm / D. Dahan / G.Liaboeuf
Pas évident de s’engager sur une telle voie, pas évident non plus d’interpréter le réalisateur suisse. Le choix de Louis Garrel est opportun, puisqu’il se fait plaisir depuis longtemps à imiter en privé le chuintement et le phrasé inimitables de Godard . Au-delà de l’anecdote, son interprétation est au diapason d’un film fidèle aux événements (dixit Anne Wiazemsky). Le personnage, mythique s'il en est, est pris à un instant T de sa vie, dans un film d’une drôlerie constante, et qui pastiche, sans le parodier, le style "godardien" (chapitrage, texte à l’écran, jeu sur les mots, couleurs pures…). Respect.

Seul contre tous

Le choix d’Hazanavicius de traiter une période précise de la vie de Jean-Luc Godard rejoint la tendance vue récemment dans "Django" (Django Reinhardt sous l’Occupation), ou "Jackie" (Jackie Kennedy sur les trois jours après l’assassinat de JFK). Aussi, le raccourci devient emblématique du personnage réel, et les événements évoqués aussi importants que sa personne. Si Michel Hazanavicius prend 1967-69 dans la vie de Godard comme sujet, c’est parce que cette période correspond à un moment charnière de sa carrière et de sa personnalité.

Le Redoutable : photo du film avec Louis Garrel et Stacy Martin
 (Philippe Aubry – Les Compagnons du cinéma)

Film sur la pensée maoïste et la Révolution culturelle instaurée en Chine en 1966, "La Chinoise" prône le renversement de la politique gaullienne de la France, selon les préceptes marxistes-léninistes, en préfigurant d’un an mai 68. Engagé et militant lors des événements, Godard se met à dos les cadres du mouvement, les étudiants et ses proches pour sa vision romantique de la lutte sociale, son radicalisme, et sa paradoxale appartenance à une classe privilégiée.

Par cette politisation extrême Godard dénonce son propre milieu bourgeois. Il se justifie en clamant que lui, au moins, est clairvoyant et a la liberté de le condamner. Alors qu'il s'engage dans le mariage au même moment, Godard se retrouve en contradiction avec sa critique du modèle social dominant. Cette contradiction est source de conflits avec l’extérieur (les huées lors de son discours à la Sorbonne, sa revendication des "devoirs conjugaux" dédiés aux femmes, sa violence verbale…) et avec lui-même : il fera plusieurs tentatives de suicide.

 Louis Garrel et Stacy Martin dans "Le Redoutable" de Michel Hazanavicius
 (StudioCanal)

Figure pittoresque, avec son parlé, ses associations mentales, verbales, et son humour pince-sans-rire, son radicalisme et ses contradictions, Godard alimente "Le Redoutable" d’un humour constant. Ce sont les parti pris et pari tenus par Hazanavicius, teintant son film de légèreté, alors que le réalisateur du "Mépris" a plutôt une image austère. Le titre du film, en référence au lancement du célèbre sous-marin du même nom en 1967, lui est destiné, tout comme il qualifie le moment de l’Histoire dans lequel il est plongé. Une époque "redoutable". Sur un sujet qui se prêtait à tous les écueils, Michel Hazanavicius s’en tire avec tous les honneurs, comme par une pirouette dont il a le secret.

"Le Redoutable" ; l'affiche
 (StudioCanal)

LA FICHE

Genre : Biopic
Réalisateur : Michel Hazanavicius
Pays : France
Acteurs : Louis Garrel, Stacy Martin, Bérénice Bejo
Durée : 1h42

Synopsis : Paris 1967. Jean-Luc Godard, le cinéaste le plus en vue de sa génération, tourne "La Chinoise" avec la femme qu'il aime, Anne Wiazemsky, de 20 ans sa cadette. Ils sont heureux, amoureux, séduisants, ils se marient. Mais la réception du film à sa sortie enclenche chez Jean-Luc une remise en question profonde. Mai 68 va amplifier le processus, et la crise que traverse Jean-Luc va le transformer profondément, le faisant passer de cinéaste star en artiste maoiste hors système aussi incompris qu'incompréhensible.

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