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"Le Labyrinthe du silence" : quand l'Allemagne affrontait son passé génocidaire

Pour son premier long métrage, Giulio Ricciarelli s'attaque à du lourd, en mettant à plat le processus qui conduisit l'Allemagne au premier procès en 1963 de cadres nazis du camp d'Auschwitz. Le film retrace la détermination du procureur Radman à traquer ces responsables, au grand dam de l'Etat allemand qui préfèrerait oublier et tirer un trait sur un passé culpabilisant. Edifiant.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Alexander Fehling dans "le Labyrinthe du silence" de Giulio Ricciarelli
 (Sophie Dulac Distribution.)
La note Culturebox
4 / 5                  ★★★★☆

De Giulio Ricciarelli (Allemagne), avec : Alexander Fehling, André Szymanski, Friederike Becht, Hansi Jochmann, Johann von Bülow - 2h03 - Sortie : 29 avril 2015

Synopsis : Allemagne 1958 : un jeune procureur découvre des pièces essentielles permettant l’ouverture d’un procès contre d’anciens SS ayant servi à Auschwitz. Mais il doit faire face à de nombreuses hostilités dans cette Allemagne d’après-guerre. Déterminé, il fera tout pour que les Allemands ne fuient pas leur passé.


Traumatisme

Cette histoire peu connue de ce côté-ci du Rhin (mais peut-être aussi en Allemagne) étonne par les révélations sur la méconnaissance du génocide durant la seconde guerre mondiale par les populations qui, treize ans après la fin du conflit, ne soupçonnaient pas ce qui s'était passé sur leur propre sol et les pays occupés. Manipulation étatique, obscurantisme, refoulement… Les langues peinent à se délier, même de la part des victimes rescapées, cloîtrées par la "honte", écrasées par la chape de plomb sur un pays qui ne pense qu'à la réconciliation et à la reconstruction.

Giulio Ricciarelli décortique le travail de fourmi engagé par Radman (personnage de fiction, synthèse de trois vrais procureurs) à partir de 1958, les forces hostiles à son enquête et à ses révélations, ainsi que ses difficultés à faire parler des témoins quasi-autistes. Le procès de 1963 eût un effet traumatique en Allemagne, qui aura du mal à faire son deuil, le peuple vivant dans sa chair une culpabilité incommensurable qui, si elle a mis du temps à être digérée, avec l'arrivée de nouvelles générations, n'en reste pas moins présente. Aussi, la mémoire doit-elle rester vive.


Friederike Becht et Alexander Fehling de Giulio Ricciarelli
 (Universal International Pictures Germany / Heike Ullrich )

Sobriété

Le film insiste notamment sur la traque obsessionnelle qu'engage le procureur Radman contre Josef Mengele, médecin de la mort à Auschwitz. En vain, vu le peu de zèle que mettent en œuvre les autorités pour l'arrêter, alors qu'il fait de constants allers-retours entre l'Amérique du Sud, où il s'est réfugié, et l'Allemagne. Il cherchera également à prendre dans ses rets Adolph Eichmann, mais les services israéliens le devanceront, ne voulant pas laisser échapper ce gros poisson, administrateur de la "solution finale". Ce qui conduira à son procès à Jérusalem en 1961 et à son exécution en 1962. Radman se rabattra donc sur des cadres patentés d'Auschwitz, dont le procès aura le mérite de mettre au jour une logistique de la banalisation génocidaire : comment l'on transforme en monstres des hommes ordinaires.

La Shoah pose toujours problème dans son évocation au cinéma. Même Spielberg n'en est pas sorti totalement indemne avec sa "Liste de Schindler". Giulio Ricciarelli s'en sort par le haut en ne filmant aucune reconstitution des camps et des exactions commises. Les atrocités sont seulement transmises par les témoignages oraux. Ce qui n'enlève rien à leur puissance évocatrice. L'amour entre Johann Radman et Marlène Wondrak (Friedericke Becht) alourdi un peu le récit, mais il n'est pas inutile pour démontrer les conséquences sur la vie personnelle d'un homme épris de justice, entièrement tourné vers sa cause. La conclusion du film est également un peu longue à venir, alors que l'on en connaît l'issue et que l'on s'attend au carton final décrivant les destins des protagonistes. Mais "Le Labyrinthe du silence" n'en recèle pas moins des qualités fortes, servies par une forme classique, sans être d'un didactisme appuyé, mais éclairant. 

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