"La Porte du paradis" : le chef-d'oeuvre de Cimino à nouveau sur les écrans
De Michael Cimino (Etats-Unis), avec : Kris Kristofferson, Christopher Walken, Isabelle Huppert, John Hurt, Jeff Bridges - 3h36 - Reprise en version restaurée : 27 février
Synopsis : Deux anciens élèves de Harvard se retrouvent en 1890 dans le Wyoming. Averill est shérif fédéral tandis que Billy Irvine, rongé par l'alcool, est membre d'une association de gros éleveurs en lutte contre les petits immigrants venus pour la plupart d'Europe centrale. Averill s'oppose à l'intervention de l'association sur le district et tente de convaincre son amie Ella, une prostituée d'origine française, de quitter le pays.
Les projections de presse furent tellement catastrophiques en 1980, que le film fut amputé de plus de 300 coupes, le ramenant à une durée de 2h30, au lieu des 3h39 initiales. L’échec n’en sera pas moins retentissant et reste un des plus grands fiascos de l’histoire du cinéma. En effet, à l’époque, « La Porte du paradis » n’engrangea qu’un million et demi de dollars de recettes, pour un investissement trente fois supérieur. Cimino est alors la bête noire du tout Hollywood et ne pourra tourner un autre film que cinq ans plus tard, « L’Année du dragon », qui sera aussi assassiné par la critique américaine. Il faudra attendre 1989, pour qu’une première version intégrale sorte sur les écrans. Le film en est transfiguré et acquiert son statut de véritable fresque épique sur un des épisodes les plus noirs de l’histoire des Etats-Unis naissant. Aucun doute que la presse assassine du début des années 80 résulte de ce choix consistant à rouvrir des plaies mal fermées. Celle de « la bataille du comté de Johnson » en 1890, dans le Wyoming, où de riches éleveurs levèrent une milice afin d’exterminer des immigrés d’Europe de l’est, accusés de vol de bétail, et d’entraver leur expansion. Gênant, en cette ère reaganienne naissante, au triomphalisme libéral et patriotique. Après s’être auto flagellés sur le génocide indien dans les « westerns crépusculaires » des années 70, le massacre d’Occidentaux par les descendants d’autres immigrés avant eux, était insupportable pour la bonne conscience étasunienne, forte de son étendard de la libre entreprise.
Slavité
Michael Cimino fut traité de marxiste, accusé d’être l’auteur du plus grand gâchis de l’histoire du cinéma, avec un scénario incompréhensible, à la mise en scène dispendieuse, et à la maniaquerie mégalomaniaque. Si le film visualise effectivement l’assassinat des plus pauvres par les plus riches, « La Porte du paradis » traite en filigrane de la perte des illusions, des utopies perdues de la jeunesse, du passage du temps : « James, te rappelles-tu le bon vieux temps d’antan ? » demande le personnage de Billy Irvine (John Hurt), à son ancien compagnon de chambrée à Harvard, James Averill (Kris Kristofferson). Le film s’imprègne d’une profonde mélancolie, née du magnifique prologue universitaire, où les étudiants de la promotion 1870 prennent conscience de la fin d’un temps, d’une époque, de leur jeunesse, désormais irrémédiablement perdue.
Des lambris de Harvard et des robes de crinoline virevoltantes au rythme des valses viennoises, l’on passe à la boue du Wyoming, au lynchage d’un voleur de bétail, préambule à l’extermination à plus grande échelle d’autres migrants fraîchement débarqués. La reconstitution est remarquable à plus d’un titre, avec son arrivée d’un train en gare d’une ville pionnière, la scène du drugstore, celle du bal en patins à roulettes, emblématique du film… le tout auréolé de la splendide photographie du grand Villmos Zsigmond. Kris Kristofferson campe un sheriff charismatique, Christopher Walken, un éleveur pragmatique et violent, néanmoins bouleversé par le charme d’Ella Watson, qu’interprète tout en finesse Isabelle Huppert, et John Hurt endosse le rôle d’un aristocrate décadent, perclus d’alcool, désabusé par un monde qui lui échappe.
« La Porte du paradis » est habité de slavité, thème récurrent chez Cimino, avec sa communauté russophone, comme dans « Voyage au bout de l’enfer », ou le personnage de Stanley White (Mickey Rourke) d’origine polonaise dans « L’Année du dragon ». La profusion et la complexité des personnages, l’ampleur du sujet et son traitement passant de la fresque à l’intime, le thème de la fin d’un monde sans l’ébauche d’un autre meilleur, renvoient tout autant à cette sensibilité. « La Porte du paradis », c’est un peu Tolstoï en Amérique.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.