"La Couleur pourpre" de Blitz Bazawule : les voix éternelles de l'émancipation

La comédie musicale de Blitz Bazawule revisite la sensation littéraire publiée par l'écrivaine afro-américaine Alice Walker en 1982, après "La Couleur pourpre" de Steven Spielberg découvert en 1985. Emmenés par un cinéaste inspiré et nourri, Fantasia Barrino, Danielle Brooks et Taraji P. Henson font résonner, à travers leurs chants, les aspirations intimes de leurs personnages.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Scène du film "La Couleur pourpre" avec Celie, incarnée par Fantasia Barrino, au premier plan. (WARNER BROS)

La Couleur pourpre du Ghanéen Blitz Bazawule a débarqué sur les écrans français le 24 janvier, un mois après sa sortie aux Etats-Unis où elle a établi des records. 1909, dans le sud des États-Unis, deux adolescentes juchées sur un immense arbre quelque peu décharné, au bord de la mer, offrent le tableau de l'insouciance. Une image à laquelle le spectateur de cette nouvelle proposition cinématographique de La Couleur pourpre, après celle homonyme de Steven Spielberg sorti en 1985, ne devrait pas se fier.

Celie et sa sœur Nettie, inséparables, vivent dans le souvenir de leur mère disparue. La première est devenue depuis le souffre-douleur de leur père qui abuse régulièrement d'elle. Ses enfants, Olivia et Adam, lui ont été arrachés. Tout comme le sera sa sœur, son unique consolation et consolatrice, quand son père l'oblige à épouser "Monsieur". Chez lui, les violences physiques et verbales se perpétuent.En l'absence de Nettie, exilée en Afrique – continent des origines et de la dignité retrouvée – pour fuir son père, Celie accède auprès de la farouche Sofia et de la pétillante chanteuse Shug Avery, la maîtresse de Monsieur, à de nouvelles perspectives. Ce qui lui donne la force de se libérer de cette emprise masculine qui gouverne sa vie depuis des années.

Double ségrégation

La Couleur pourpre est formellement adaptée de la comédie musicale homonyme, les décors reconstitués en témoignent. Cependant, Blitz Bazawule rappelle que sa vision est puissamment nourrie par le célèbre roman épistolaire d'Alice Walker, inspiré de sa vie. Le dispositif musical permet d'entrer dans la tête des protagonistes de cette fresque sur le statut de la femme afro-américaine oppressée socialement et politiquement. Une thématique qui reste d'actualité aux États-Unis.

Celie est une femme soumise dont l'attitude corporelle et le visage hébété traduisent la peur qui l'habite constamment. Les rares, mais larges sourires de Fantasia Barrino et de Phylicia Pearl Mpasi, qui incarne la jeune Celie, chassent les ombres entourant un personnage que la joie a beaucoup fui. Lorsqu'elles chantent, le sentiment de liberté auquel Celie goûte, de temps à autre, semble atteindre son paroxysme. Comme quand la tirade mémorable de la Sofia de 1985 devient une ode à la liberté entonnée par la Sofia de 2023. Elle vient d'apprendre que Celie a suggéré à Harpo, son beau-fils, de la battre pour la mâter, elle, l'indomptable Sofia. Alors, cette dernière explique à sa jeune belle-mère comment elle s'est battue toute sa vie pour échapper à ce patriarcat, synonyme de violence et d'anéantissement. Seul le pouvoir dominateur de l'homme blanc, du moins d'une femme blanche dans l'Amérique ségrégationniste, aura quelque peu raison de sa pugnacité et de sa résistance.

Les dialogues et les scènes musicales se répondent parfaitement et font réellement avancer le récit. L'émotion est partout : dans la voix cristalline de Fantasia Barrino, dans la fermeté vocale de Danielle Brooks, dans l'exubérance des prestations de Taraji P. Henson. Outre ce trio, le film jouit d'une exceptionnelle distribution où l'on retrouve Coleman Domingo, Corey Hawkins ou encore Halle Bailey. 

Et quand Blitz Bazawule fait référence à l'Afrique où Nettie a trouvé la paix, ce sont les codes vestimentaires et folkloriques de son Ghana natal qu'il semble convoquer. Les images du continent prennent alors le pas, comme un rêve, sur les images du quotidien. De quoi nourrir les aspirations de Celie. Selon Monsieur, "moche, noire, pauvre et femme" sont les entraves auxquelles elle ne devrait jamais pouvoir se libérer.

Nouvel écho de l’œuvre d’Alice Walker

Sur près de quatre décennies, dans un épique maelstrom, La Couleur pourpre retrace le voyage initiatique vers l'émancipation d'une femme que seule sa foi en Dieu et l'amour inconditionnel de sa sœur, dont elle ne reçoit aucune lettre depuis leur séparation, préserve de l'effondrement. Le réalisateur a mis au service de son long métrage sa qualité d'artiste complet – écrivain, musicien et cinéaste – pour composer des tableaux somptueux où la richesse et le dynamisme des chorégraphies donnent une exceptionnelle vitalité à son récit. Son intrigue suit le fil de cette nouvelle sororité, qui se construit autour de Celie et se nourrit d'affection et d'amour. La version 2023 de La Couleur pourpre, à l'instar du livre et de la comédie musicale, s'étend davantage sur la relation amoureuse qui lie Celie et Shug Avery, alors qu'elle était suggérée dans le film de Steven Spielberg. Autre temps, autres mœurs.

La fiction de Spielberg révélait une jeune comédienne du nom de Whoopi Goldberg, qui recevra le Golden Globe de la meilleure actrice pour son interprétation de Celie. La nouvelle version de La Couleur pourpre lui rend d'ailleurs un hommage appuyé. Pour Oprah Winfrey, qui interprète Sofia, ce rôle sera également fondateur. Au point de produire en 2005, à Broadway, la comédie musicale adaptée du lauréat du prix Pulitzer et de l'American Book Award en 1983. Tout comme elle coproduit l'œuvre de Bazawule avec Steven Spielberg et Quincy Jones, respectivement réalisateur et coproducteur du long-métrage de 1985.

Ceux qui ont vu et aimé La Couleur pourpre de Spielberg aimeront aussi la version de Bazawule, dont les accents sont, certes, plus gospel. Les émotions ressenties sur les scènes clés du film restent les mêmes. Une preuve supplémentaire de la grande fidélité des cinéastes aux fondamentaux de l'œuvre d'Alice Walker. La Couleur pourpre, version 2023, est un spectacle dont on se délecte.

L'affiche du film "La Couleur pourpre". (WARNER BROS)

La fiche

Genre : Drame, Comédie musicale
Réalisateur : Blitz Bazawule
Distribution : Fantasia Barrino, Taraji P. Henson, Danielle Brooks, Colman Domingo, Corey Hawkins, Halle Bailey, Phylicia Pearl Mpasi et Louis Gossett Jr.
Pays : États-Unis
Durée : 2h21
Sortie : 24 janvier 2024
Distributeur : Warner Bros

Synopsis : Séparée de sa sœur Nettie et de ses enfants, Celie mène une vie difficile, subissant même les coups d’un mari violent, simplement désigné "Monsieur". C’est grâce au soutien de la chanteuse Shug Avery, à la sensualité débordante, et à sa belle-fille Sofia, d’une volonté inébranlable, que Celie puise une force extraordinaire. Une solidarité féminine hors du commun dont les liens qu’elle tisse avec ses "sœurs" sont désormais indestructibles.

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