"Khibula", vision christique du premier président géorgien élu et destitué
Martyr démocratique
Les films géorgiens sont rares, tout comme la veine d’un cinéma politique quasi disparu. "Khibula", en continuité avec les deux précédents longs métrages de George Ovashvili, parle de la Géorgie, pays devenu indépendant de l’Union soviétique en 1990, dont la situation n’a jamais cessé de se complexifier, avec coup d’Etat, guerre civile, intervention russe armée… La figure de Zviad Gamsakhourdia demeure fondatrice de cette indépendance. Le cinéaste ne cache pas ses sympathies pour celui qu’il considère comme le martyr d’une démocratie impossible à atteindre, aux résonnances chrétiennes enracinées.L’identification au Christ traverse le film. Le petit groupe d’une dizaine de fidèles mené par Zviad Gamsakhourdia à travers les paysages caucasiens, renvoie à Jésus et ses apôtres traversant la Galilée tels des clochards célestes, allant à la rencontre de convertis ou de nouveaux adeptes. Les motifs du repas, du pain et du vin se rattachent à une Cène qui se répète jusqu’au dernier dîner. Gamsakhourdia va jusqu’à périphraser le Christ quand il dit qu’il n’est pas un pourvoyeur de paix, mais de conflit ("Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive" – Saint-Mathieu)…
Partir
L’image chrétienne est cohérente avec Zviad Gamsakhourdia. Adepte revendiqué de l’Eglise Orthodoxe de Géorgie, ses convictions religieuses le mènent vers un militantisme fervent en faveur des Droits de l’Homme. Politique et religion se mélangent dans le dissident, puis le leader politique et enfin le président très majoritairement élu en 1991. Si un nationalisme certain le caractérise, c’est en réaction à une politique soviétique qui, depuis Staline, s’est évertuée à faire peser son joug sur une Georgie stratégique et fortement identifiée. Gamsakhourdia n’a-t-il pas de plus un destin identifiable à celui du Christ, porté par le peuple et rapidement destitué, puis mort, peut-être supprimé ?"Khibula" exalte ce portrait dans un film nomade, où les personnages ne cessent de marcher, d’auberges en chalets où ils trouvent refuge pour s’en enfuir sitôt arrivés. "Partir" est le maître mot du film, imprégné d’intemporalité. L’on passe sans transition de montagnes neigeuses à des collines verdoyantes, comme si les saisons se fondaient les unes aux autres. Les paysages merveilleusement photographiés, évoquent les contes, avec des forêts non pas hantées, comme celle de Blanche-Neige, mais protectrices, propices à se cacher, même si les loups rôdent, sans jamais être vus.
Les personnages féminins sont rares mais emblématiques d’une jeunesse prometteuse d’un futur nourri d’espoir, malgré la soumission au pouvoir russe dominant (la brutale scène de sexe pratiquée par un soldat russe). L’espérance est brandie comme une force majeure, que l’on retrouve dans les chansons qui évoquent une Georgie contrainte, mais dont la force de résilience ne fait aucun doute. George Ovashvili filme une ode à son pays et à Zviad Gamsakhourdia qui en serait l’incarnation. Ce que d’aucuns pourront reprocher au cinéaste. Mais c’est sa thèse, dans un film politique assumé, à la forme poétique achevée.
LA FICHE
Genre : Drame
Réalisateur : George Ovashvili
Pays : Géorgie / Allemagne / France
Acteurs : Hossein Mahjub, Qishvard Manvelishvili, Nodar Dzidziguri, Zurab Antelava, Galoba Gambaro, Lika Babluani
Durée : 1h38
Sortie : 15 novembre 2017
Synopsis :Le Président déchu, qui incarnait autrefois l’espoir d’une nation nouvelle, tente de reconquérir le pouvoir. Escorté par une poignées de fidèles, il traverse clandestinement les paysages majestueux de la Géorgie, tour à tour accueillants et inquiétants.
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