"Jeunesse (Le printemps)" : le dernier documentaire de Wang Bing sur les usines textiles en Chine, à double tranchant
Multi-récompensé en France pour ses documentaires et lauréat du Léopard d'or au Festival de Locarno en 2017 pour Mrs Fang sur la maladie d'Alzheimer, Wang Bing traite dans son dernier film de la main-d'œuvre chinoise à bon marché qui permet à l'Empire du Milieu de dominer le secteur de la confection dans le monde. Jeunesse (Le printemps) sort dans les salles françaises le 3 janvier.
Liesse générale
La ville de Zhili, à 150 km de Shanghai, est dédiée à la confection textile, et attire les jeunes de toutes les régions rurales pour y faire fortune. Jeunes femmes et hommes d’une vingtaine d’années partagent les ateliers et les dortoirs, ils mangent dans les coursives encombrées de détritus, et se défoulent dans des soirées festives. Tous partagent les mêmes rêves : se marier, avoir un enfant, devenir propriétaire ou créer leur propre atelier. Des amitiés et des amours se créent et se défont, sous la pression de la productivité et des tensions familiales.
Caméra portée et sans commentaire aucun, Wang Bing suit au plus près ouvrières et ouvriers rivés à leur machine. Ils travaillent souvent en binôme masculin-féminin, ce qui facilite les rencontres. En dépit des pressions et des petits salaires, une incroyable légèreté habite ces ateliers : musique, blagues, rires, chamailleries, drague ne cessent du matin au soir. Tout semble se passer pour le mieux dans le meilleur des mondes, puisque les cadences infernales et les salaires a minima n'empêchent pas de vivre heureux au service de la plus rentable des productivités. Mais dans sa démonstration, Wang Bing ne dénonce-t-il pas en abyme la manipulation gouvernementale chinoise de ses citoyens ?
À double tranchant
Il ne faudrait donc pas tomber dans le panneau de cette liesse apparente à l'écran. Si elle semble vraiment vécue par les protagonistes, elle n'en est que plus inquiétante sur le plan politique, où un système pernicieux parviendrait à imposer et à faire intérioriser un système économique et social – une idéologie – à la population. Les idéaux de ces ouvriers et ouvrières rejoignent ceux d'une frange des populations occidentales, comme celui de posséder le smartphone dernier cri, par exemple. Ou bien, recoupent-ils les paroles d'une chanson populaire : "Je t'aime, je veux t'épouser, avoir un enfant et une maison avec toi, ça serait la Lune pour nous deux". Des objectifs idéalisés qui justifieraient les efforts et sacrifices à réaliser pour les atteindre.
La démonstration du film n'en est pas moins dangereuse, puisqu'elle peut être prise au premier degré et servir un système bien ancré dans les mentalités chinoises. L'insistance sur les négociations salariales toujours possibles vante également l'ouverture d'esprit des patrons, mais celles-ci restent très paternalistes et a minima. L'épisode dans lequel une ouvrière est poussée par l'autorité et sa famille à ne pas avorter, montre de son côté l'intrusion du système dans la vie personnelle, même si sur les 3h30 du long métrage, le propos est un peu liminaire. De ce point de vue, la durée et la temporalité du film (tourné sur cinq années), entraînent une répétitivité certaine. Si elle va dans le sens de la dénonciation de l'aliénation à la tâche (comme dans Les Temps modernes de Chaplin de 1936), on peut trouver le temps long.
La fiche
Genre : Documentaire
Réalisateur : Wang Bing
Pays : Chine
Durée : 3h32
Sortie : 3 janvier 2024
Distributeur : Les Acacias
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