"Il reste encore demain" : le film féministe qui a secoué l'Italie est aussi un hommage au néoréalisme

Avec son histoire aujourd'hui labélisée comme féministe et son noir et blanc, le premier film de l'actrice Paola Cortellesi a littéralement fait exploser le box-office transalpin à la fin de l'année dernière. Il sort mercredi dans les salles françaises.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
Paola Cortellesi (au centre de l'image) actrice et réalisatrice du film "Il reste encore demain", en salles le 13 mars 2024. (TOBIS FILM GMBH)

Mercredi 13 mars, les Français peuvent enfin découvrir Il reste encore demain de Paola Cortellesi, un film qui a constitué un véritable phénomène en Italie depuis sa sortie en octobre dernier. D'abord en raison de son succès en salles pour le moins inattendu : avec 5,3 millions d'entrées, c'est le film le plus vu dans le pays en 2023, le neuvième de son histoire en termes de recettes et le cinquième parmi les films de production italienne.

Ensuite pour son contenu, ayant participé, avec son histoire d'émancipation des femmes dans l'immédiat après-guerre, au réveil du féminisme outre Alpes. Et il faut dire que le film a trouvé pour "alliée", le mois suivant sa sortie, une sordide affaire de féminicide, le 105e de l'année, qui a particulièrement ému l'Italie : le meurtre à Padoue de l'étudiante Giulia Cecchettin, tuée à coups de couteau par son ex-compagnon, lui aussi étudiant.

Douloureux après-guerre italien

L'histoire d'Il reste encore demain fait tout naturellement écho à cette violence. Dans un quartier populaire de Rome, peu après la Libération, Delia est une mère de famille qui vit dans la pauvreté, sous le joug d'un mari violent et autoritaire et d'un beau-père tout aussi ignoble.

Si elle tente de sauver les apparences avec les voisines dans la cour de l'immeuble, la vie est franchement rude pour Delia qui a pour seuls réconforts les conversations avec son amie intime Marisa, et l'espoir d'un avenir meilleur pour sa fille aînée, promise à un jeune homme petit-bourgeois. Pourtant, dans ce sombre tableau, un air de changement semble poindre en ce printemps 1946. D'où viendra-t-il ?

En Italie, Paola Cortellesi n'est pas une nouvelle venue. Célèbre d'abord comme humoriste, elle a une longue carrière au théâtre, à la télévision et au cinéma, comme actrice, autrice et scénariste. Une expérience dont elle a su tirer le meilleur pour ce premier film à la mise en scène subtile. Elle a su en effet emprunter à la fois au traitement et à l'esthétique en noir et blanc du néoréalisme et aux codes de la comédie à l'italienne dont elle est en partie héritière, au même titre qu'un Roberto Benigni (dont le film La vie est belle est une référence).

Ainsi, ce qui frappe d'abord, c'est la description implacable de cette vie acerbe de Delia, faite de travail (mille petits travaux de réparation de vêtements ou de parapluies), de privations, et surtout d'humiliations et de violences physiques. Situation somme toute "banale", selon les propos de la réalisatrice, pour une femme dans l'Italie sortie exsangue de la guerre et encore dominée par le patriarcat. Mais avec Paola Cortellesi, le drame peut en un instant se transformer en poésie, comme cette scène de gifles portées par le mari contre Delia qui se mue en un mémorable pas-de-deux. Le drame traité avec une certaine légèreté, le Charlie Chaplin du Dictateur est passé par là. 

Une musique délicieusement anachronique

Autre astuce de mise en scène, Paola Cortellesi accompagne son récit, à la manière d'une Sofia Coppola dans Marie Antoinette, d'une musique délicieusement anachronique. Et nous mène de la variété italienne des années 1950 au flow effréné des rappeurs américains d'Outkast, en passant par la célèbre chanson de Lucio Dalla La sera dei miracoli ("Le Soir des miracles") dans lequel l'artiste évoque une grande joie partagée à Rome. Il en résulte un effet décalé et des scènes où l'horizon peut enfin s'ouvrir. Mais on n'en saura pas davantage, la réalisatrice a voulu ménager sa narration tout au long du récit, installant ainsi un savoureux suspense.

La réalisatrice incarne elle-même Delia dans un jeu tout en retenue qui n'est pas sans rappeler un autre personnage de mère de famille abîmée, Sophia Loren dans Une journée particulière d'Ettore Scola. On notera également la performance du fabuleux Valerio Mastandrea (trop peu connu en France) dans le rôle du mari autoritaire et rustre, mais également celles du très efficace Giorgio Colangeli (dans le rôle du beau-père) et d'Emanuela Fanelli (l'amie Marisa).

Il reste encore demain est une histoire de résilience rondement menée, une belle surprise dans un cinéma italien où Paola Cortellesi prendra désormais place aux côtés de Matteo Garrone ou de Paolo Sorrentino.

Affiche du film "Il reste encore demain" (UNIVERSAL PICTURES INTERNATIONAL FRANCE)

La fiche

Genre : Comédie
Réalisatrice : Paola Cortellesi
Acteurs : Paola Cortellesi, Valerio Mastandrea, Romana Maggiora Vergano, Giorgio Colangeli, Emanuela Fanelli, Vinicio Marchioni
Pays : Italie
Durée : 1h59
Sortie : 13 mars 2024
Distributeur : Universal Pictures International France

Synopsis : Mariée à Ivano, Delia, mère de trois enfants, vit à Rome dans la seconde moitié des années 1940. La ville est alors partagée entre l’espoir né de la Libération et les difficultés matérielles engendrées par la guerre qui vient à peine de s’achever. Face à son mari autoritaire et violent, Delia ne trouve du réconfort qu’auprès de son amie Marisa avec qui elle partage des moments de légèreté et des confidences intimes. Leur routine morose prend fin au printemps, lorsque toute la famille en émoi s’apprête à célébrer les fiançailles imminentes de leur fille aînée, Marcella. Mais l’arrivée d’une lettre mystérieuse va tout bouleverser et pousser Delia à trouver le courage d’imaginer un avenir meilleur, et pas seulement pour elle-même.

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