"Harmonium" : une inquiétante étrangeté japonaise
Celui par qui le scandale arrive
Le passé obsède le japon. Ce n’est pas pour rien que l’archipel s’est longtemps refermé sur lui-même, réfractaire à toute incursion extérieure, pour protéger son ancestralité, sa civilisation, sa culture. Comme pour rester figé, dans ce qui pourrait être un âge d’or. Un âge d’or perpétuel. Jamais nommée à l’écran, la famille d’"Harmonium" composé d’un couple et d’une petite fille, vit en toute quiétude. L’épouse est plus volubile que son mari, taciturne, plongé dans son journal au moment des repas, alors que la fillette babille avec sa mère. Jusqu’à l’arrivée de Yasaka, celui par qui le scandale arrive.L’intrus est connu de Toshio, l’époux, qui n’avait pas de nouvelles de lui depuis 10 ans. Et pour cause : il sort tout juste de prison. Etrangement, Toshio lui offre du travail dans sa petite entreprise et de l’héberger chez lui le temps qu’il trouve un appartement. Akié, sa femme s’en étonne, puis l’accepte rapidement constatant que leur fille Hotaru l’apprécie, en lui donnant des leçons d’harmonium dont elle apprend à jouer. Ce portrait idyllique va devenir un cauchemar.
Le cri
Le thème de l’intrus dans la maison est récurrent au cinéma, son plus beau fleuron étant sans doute "Théorème" de Pier Paolo Pasolini. Yasaka, surgi du passé de Toshio, est comme un fantôme. Il en a toutes les apparences ; stoïque, droit comme un I, toujours vêtu de blanc (couleur du deuil en Asie), peu loquace, mais avenant. Trop avenant ? Après avoir découvert ce qui le lie à son mari, Akié va tomber sous son charme, ce qui va faire vaciller l’équilibre du foyer, jusqu’à l’irréparable. Leur fille Hotaru, devient hémiplégique. Son rictus facial figé rappel "Le Cri" d’Edward Munch. Cette bouche béante, ce hurlement muet, transmet une horreur. Celle de la vraie nature de Yasaka ? Du lien qu’il entretient avec son père ? De leur passé commun ?...
Koji Fukada filme l’énigme, tout en dévoilant les étapes progressives de cette intrusion, dans l'espace intime et les esprits, sans rien nous cacher en fait, tout en entretenant le mystère. Une ambigüité constante, un malaise persistant, une violence rentrée, parcourent cet étrange "Harmonium" qui n’a d’harmonieux que le nom, pivot au centre du récit. Le film rappelle le cinéma de Kyoshi Kurosawa ("Kaïro", "Vers l’autre rive", "Le Secret de la chambre noire " qui sort le 22 février). Une filmographie hantée par des fantômes et qui flirte avec un fantastique diffus, aux frontières entre deux mondes. Prix du jury de la sélection Un certain regard à Cannes, "Harmonium" distille l’étrangeté d’un quotidien bousculé, perturbé jusqu’au trauma.
LA FICHE
Drame de Kôji Fukada (Japon/France), Avec : Tadanobu Asano, Mariko Tsutsui, Kanji Furutachi, Taiga, Momone Shinokawa, Kana Mahiro - Durée : 1h58 - Sortie : 11 janvier 2017
Synopsis : Dans une discrète banlieue japonaise, Toshio et sa femme Akié mènent une vie en apparence paisible avec leur fille. Un matin, un ancien ami de Toshio se présente à son atelier, après une décennie en prison. A la surprise d'Akié, Toshio lui offre emploi et logis. Peu à peu, ce dernier s’immisce dans la vie familiale, apprend l'harmonium à la fillette, et se rapproche doucement d’Akié.
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