"Goltzius et la Compagnie du Pélican" : Greenaway revient en grande pompe
De Peter Greenawy (Grande-Bretagne/France/Pays-bas/Croatie), avec : F. Murray Abraham, Ramsey Nasr, Kate Moran - 1h56 - 5 février 2014
Synopsis : Pays-Bas. XVIe siècle. Hendrik Goltzius est un célèbre peintre et graveur d’œuvres érotiques. Il aimerait ouvrir une imprimerie pour éditer des livres illustrés. Il sollicite alors le Margrave (Marquis) d’Alsace et lui promet un livre extraordinaire avec des images et des histoires de l’Ancien Testament regroupant les contes érotiques de Loth et ses filles, David et Bethsabée, Samson et Dalila, Saint Jean-Baptiste et Salomé. Pour le séduire davantage, il lui offre de mettre en scène ces histoires érotiques pour sa cour.
Peter Greenaway ne s’en cache pas, s’il est devenu cinéaste, c’est parce que peintre, il était frustré de ne pouvoir intégrer de la musique dans sa peinture. De fait, son œuvre cinématographique extrêmement pointilleuse dans le graphisme, les cadrages et harmonies colorées, est très imprégnée musicalement. Avec notamment des références au baroque, que son compositeur de la première heure, Michael Nymann, avait réussi, avec succès, à remettre au goût du jour.
Si Nymann n’est pas le compositeur de « Goltzius » (c'est Marco Robino), le baroque est toujours à l’œuvre, en accord avec l’époque où se déroule le film, la seconde partie du XVIe siècle. Les films de Peter Greenaway ont visité à plusieurs reprises l’époque baroque qui s’étend de la fin du XVIe au milieu du XVIIIe : « Meurtre dans un jardin anglais », « Prospero’s Book » (qui adapte « La Tempête » de Shakespeare), « The Baby of Mâcon », « la Ronde de nuit ». On retrouve à ce titre les caractéristiques du baroque dans ses films, comme l’exaltation du mouvement en contraste avec la rigueur du cadre (et du cadre dans le cadre), ainsi que la méticulosité des travellings, l’exagération décorative, la dramatisation du jeu des acteurs, cette alchimie aboutissant à ce que d’aucuns qualifieront de pompeux. Ce baroquisme du cinéma de Peter Greenaway est en même temps contrebalancé par une bonne dose d’humour, souvent en apparente contradiction avec les tragédies portées à l’écran. Encore un effet de contraste qui participe du baroque, tel que le définissait Philippe Beaussant, spécialiste de la musique baroque : « Un monde où tous les contraires seraient harmonieusement possibles ». "Goltzius et la compagnie du Pélican" n’échappe pas à la règle, d’autant que le cinéaste s’ingénie à construire des images hétérogènes, où prises de vues réelles sont mixées à des images numériques conçues par ordinateur (technique dont il fut un des pionniers dans « Prospero’s Book »), où les personnages vêtus de splendides costumes historiques sont filmés dans une friche industrielle du XIXe siècle…
Spirale
Enfin, le sujet de « Goltzius », inspiré d’un véritable peintre et graveur (1558-1617) traite lui-même d’un art en pleine mutation. L’artiste, à la tête de sa compagnie du Pélican, se dit « marchand de mots ». En pleine phase d’industrialisation de son art par l’imprimerie. Raison pour laquelle il contacte le Marquis d’Alsace afin de se faire financer l’achat d’une nouvelle machine performante. L’art a toujours eu besoin de mécène, mais s’il est question d’une œuvre en échange d’argent, celle-ci est désormais reproductible par l’imprimerie, donc, dans une certaine mesure, de nature industrielle. La valeur marchande est une notion d’autant plus forte que Néerlandais, Goltzius appartient au pays commerçant et argentier le plus puissant d’Europe, à l’époque. Mais pour convaincre le Marquis, Goltzius lui propose de représenter en tableaux vivants, qui sont autant de saynètes, les futures gravures qui illustreront son ouvrage consacré à six épisodes érotiques de la Bible.
L’artiste est donc autant marchand de mots écrits qu’oraux et au-delà, charnels, ces représentations s’avérant d’un érotisme et d’une sensualité puissante. Le contraire de l’abstraction intellectuelle qu'est le mot. Au commencement était le verbe, et son incarnation dans la chair permet de le retrouver dans son abstraction imprimée, selon le pacte passé entre Goltzius et le Marquis. Encore une spirale baroque à laquelle s’amuse Greenaway, dans un film, certes ésotérique, mais aussi ludique, comme à son accoutumé, qui, s’il l’on s’y laisse prendre, emmène dans un maelstrom d’images somptueuses et magiques.
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