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"Ema", de Pablo Larrain, le rapport brûlant d'une jeune danseuse à la maternité et à la féminité

A travers l'histoire d'une adoption qui a mal tourné, le cinéaste chilien filme un choc à la fois générationnel et intime qui renverse les codes traditionnels de la famille. 

Article rédigé par franceinfo Culture - Lola Scandella
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
Une scène "Ema" de Pablo Larrain avec Mariana Di Girolamo (au centre).  (FABULA)

Après Jackie, sorti en 2017, où Pablo Larraín explorait quatre jours qui ont bouleversé l'existence de la "First Lady" américaine après l’assassinat de son mari John Fitzgerald Kennedy, le réalisateur chilien se penche à nouveau sur un temps fort de la vie d’une femme. Dans son nouveau long-métrage, le cinéaste accompagne Ema, qui donne son prénom au film, dans une tentative de réinvention des codes de la maternité et de la famille. Pablo Larraín en tire une œuvre d’une grande puissance visuelle, portée de bout en bout par l’intensité du jeu de son actrice principale Mariana Di Girolamo.

Ema (Mariana Di Girolamo) est une jeune danseuse. Elle évolue au sein d’une troupe dirigée par un chorégraphe reconnu, Gaston (incarné par Gael Garcia Bernal, acteur fétiche de Pablo Larraín vu notamment dans No et Neruda), avec qui elle forme un couple. Ils ont adopté un enfant, Polo, mais ont décidé suite à un évènement tragique de finalement renoncer à sa garde. "De le rendre", entend-on régulièrement dans le film, avec tout le poids qu’implique pareil terme appliqué à un petit garçon.

L’intrigue s’ouvre ainsi sur la vision d’un couple rongé par la culpabilité, bien que la caméra et l’action soient centrés, et elles le resteront pendant tout le film, sur Ema. Le couple se délite au fil de dialogues qui virent au jeu de massacre. Elle lui reproche son impuissance, il l’accuse d’avoir abandonné leur fils adoptif.

Ema (Mariana Di Girolamo) et Gaston (Gael Garcia Bernal) dans le film "Ema" de Pablo Larrain.  (KOCH FILMS)

Ema subit le poids du jugement non seulement au sein de son couple mais également de la part d’un pan entier d’une société pour qui la maternité est sacrée. Le visage de cette mère "indigne", jeune et libre, insolente et sensuelle, cheveux décolorés plaqués en arrière et adepte de reggaeton, devient forcément une figure de coupable. Des professeurs de l’école primaire où elle enseigne la danse rejettent violemment la jeune femme, au point de lui faire quitter son poste. Mais Ema ne s’excuse pas. Elle ne se justifie pas. Elle danse, erre et imagine, avec la complicité de quelques amies, une manière nouvelle de former une famille et de retrouver une place dans la vie de Polo.

La révélation Mariana Di Girolamo

Une grande partie de l'esthétique du film s'inspire de la subjectivité d'Ema et son rapport instinctif et viscéral à la vie. Pablo Larrain multiplie les plans serrés de face sur la jeune femme qui, pour autant, ne regarde jamais tout à fait la caméra. La présence de Mariana Di Girolamo irradie chaque séquence. La performance de l'actrice, dont c'est le premier rôle principal dans un long-métrage, est une raison en soi d'aller voir le film. L'intensité de son jeu fait graviter autour d'Ema tous les autres personnages, comme des satellites tournant autour du soleil.

Mariana Di Girolamo (au centre), révélation du film "Ema" de Pablo Larrain.  (KOCH FILMS)

Plusieurs scènes dans lesquelles Ema danse avec la troupe devant un écran où est représenté l'astre de feu entrecoupent l'action principale. D'autres scènes de reggaeton ponctuent le film, souvent au ralenti et accompagnées de la musique de Nicolas Jaar et Stéphanie Janaina. Ces moments, qui frisent parfois avec l'esthétique du clip, contribuent au rythme et à la puissance visuelle du long-métrage. Ils font partie d'une sensualité qui caractérise Ema dans les yeux de celles et ceux qu'elle séduit pour arriver à ses fins. Le regard du réalisateur nous plonge avec lui dans la fascination qu'il semble éprouver pour cette jeune femme hissée en emblème d'une génération plus jeune (et peut-être plus libre) que la sienne. 

Choc générationnel

Ce choc générationnel est notamment évoqué lors d'une scène où Gaston, le chorégraphe reconnu, fait face au groupe de filles, dont Ema fait partie, qui aiment danser le reggeaton, musique que lui trouve vulgaire et dégradante pour les femmes. Ces dernières lui lancent alors : "Depuis quand n'es-tu pas allé dans la rue ?". Un peu plus tard, toujours face à Gaston, elles feront un plaidoyer pour cette musique et leur droit de disposer de leur corps comme elles l'entendent, même en le sexualisant si elles le souhaitent. 

Le film semble suggérer que c'est bien dans cette jeunesse audacieuse et prête à brûler littéralement l'ordre social quitte à crisper une partie de la société, que se trouve la solution. C'est elle qui va permettre à Ema, sa première représentante, de devenir une force de réunion pour sa famille. 

L'affiche du film "Ema" de Pablo Larrain.  (POTEMKINE FILMS)

La fiche

Genre : Drame, Thriller
Réalisateur : Pablo Larraín
Avec : Mariana Di Girolamo, Gael García Bernal, Paola Giannini, Santiago Cabrera, Cristian Suarez 
Pays : Chili 
Durée : 1h42 
Sortie : 2 septembre 2020 
Distributeur : Potemkine Films

Synopsis : Ema, jeune danseuse mariée à un chorégraphe de renom, est hantée par les conséquences d’une adoption qui a mal tourné. Elle décide de transformer sa vie.

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