"Dans ma tête un rond point" : plongée dans les entrailles d'Alger
L'endroit est terrible. Délabré et sanglant. Une ville dans la ville où se côtoient le travail et la mort, comme dans tous les abattoirs du monde, un décor fascinant et repoussant à la fois. Hassen Ferhani, qui voyage léger, est venu tourner discrètement sans bousculer les habitudes, et il a fini par se faire oublier. Du coup, la parole de ces hommes devient assez extraordinaire.
Au détour de conversations a priori banales, c'est le grand spleen de la jeunesse et de la classe ouvrière algérienne qui explose. Fatalisme, amertume, résignation dominent le plus souvent. Mais aussi parfois, une touche d'espoir. Les plans sont longs, fixes, sans artifices. Une bête agonise à côté d'un homme qui lit son journal. Plus loin, un autre employé remue des tripes bouillantes dans un énorme chaudron. On joue aussi aux dominos entre deux livraisons. La vie est dure. Dans l'abattoir et au dehors.
"Dans ma tête, il y a un rond-point, soupire un grand adolescent. Mille routes se présentent et je n'ai pas encore choisi laquelle". Et si ce n'étaient que mille impasses ? Quel espoir de se sortir d'ici ? On parle de traverser la mer, de drogue et de suicide.
D'autres ont trouvé dans la religion une façon d'anesthésier leur colère. "Il y a ceux qui ont tout, des villas, des châteaux… et qui ne sont pas en paix. Dieu est clément, je le remercie. Moi, une fois ma tête sur l'oreiller, je dors".
La nuit est longue dans ce faubourg d'Alger, il fait froid. Un employé fait des pompes à côté d'un tas de peaux. Des vieux parlent tout seul. La fatigue est sur les visages. Dans la cour, des boeufs vivent leurs dernières heures en mâchouillant. On palabre, encore et encore. A propos des séries TV, de Zidane, des autres et de soi.
Ce film lent, âpre, n'est assurément pas une partie de plaisir, mais une longue tranche de vie et de mort. D'une intensité assez exceptionnelle.
La fiche
Documentaire de Hassen Ferhani – Durée : 1h40 – Sortie : 24 février
Synopsis : dans le plus grand abattoir d’Alger, des hommes vivent et travaillent à huis-clos aux rythmes lancinants de leurs tâches et de leurs rêves. L’espoir, l’amertume, l’amour, le paradis et l’enfer, le football se racontent comme des mélodies de Chaabi et de Raï qui cadencent leur vie et leur monde.
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