Dans "Back to Black", Marisa Abela crève l’écran en Amy Winehouse dans une fiction discutable

L'actrice britannique Marisa Abela se glisse de façon bluffante dans la peau de la chanteuse Amy Winehouse dans le biopic de Sam Taylor-Johnson. Mais la réalisatrice épargne un peu trop les deux hommes qui ont précipité sa chute. Et sa thèse d'une femme minée plus que tout par son désir d'enfant est tout autant contestable.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5 min
Marisa Abela, épatante en Amy Winehouse dans le biopic "Back to Black" de Sam Taylor-Johnson. (STUDIOCANAL)

Oui, Amy Winehouse était unique, à tous points de vue. Et cette artiste rebelle qui mettait tant d'elle dans ses chansons est irremplaçable, c'est incontestable. Maintenant, il va falloir se détendre un peu si vous avez l'intention de voir ce film. Parce qu'il ne s'agit pas d'un documentaire – Asif Kapadia a déjà fait le job dans le formidable Amy, sorti en 2015, et auréolé de nombreux prix, dont l'Oscar du meilleur documentaire.

Plus qu'un biopic, Back to Black, en salles mercredi 24 avril, est à aborder plutôt comme une histoire d'amour inspirée de celle, éminemment destructrice, tumultueuse et médiatisée, d'Amy Winehouse et Blake Fielder-Civil, épousé en 2007 (et dont elle divorça en 2009 à sa demande à lui). Car c'est l'angle qu'a choisi la réalisatrice Sam Taylor-Johnson pour raconter la trajectoire de la superstar anglaise à la voix rocailleuse, morte prématurément en 2011 à l'âge de 27 ans.

On découvre dans le film une Amy Winehouse à peine sortie de l'adolescence, encore timide, au sein d'une famille juive du nord de Londres. Une famille dans laquelle on aime le jazz, en particulier sa grand-mère adorée Cynthia, qui fut chanteuse – son modèle de style et son "icône de tout" –, et son père Mitch, chauffeur de taxi qui se plait à fredonner Fly Me To The Moon dans la version de Sinatra.

La vraie Amy, son charisme inouï, sa voix unique, son écriture sincère, à la fois cash et à fleur de peau, son attitude, sa passion, son humour, sa déglingue : il fallait du cran pour oser l'incarner. La prometteuse Marisa Abela, 27 ans, déjà repérée outre-Manche dans la série Industry, est beaucoup plus convaincante que dans la bande-annonce.

Elle crève l'écran et fait un travail absolument remarquable, y compris au micro : outre l'accent cockney de rigueur pour incarner la Londonienne, elle interprète elle-même toutes les chansons du film, de Stronger Than Me, à Rehab en passant par Back to Black, un véritable tour de force ! Certes, elle est moins mordante et électrisante que l'originale. Mais parce qu'on la découvre en Amy toute jeune et que l'on suit son évolution, y compris sa transformation physique (choucroute et eye-liner rétros appuyés, tatouages, maigreur, tenues sexy), on se prend vite au jeu et on y croit.

La réalisatrice Sam Taylor-Johnson (Nowhere Boy sur la jeunesse de John Lennon et Cinquante nuances de Grey) dit avoir voulu réaliser ce film du point de vue d'Amy. Marisa Abela prête donc ses traits à Amy l'amoureuse fougueuse et vulnérable, mais beaucoup moins à Amy la grande gueule au caractère bien trempé. On voit brièvement son aspect intransigeant et combatif, en particulier avec les représentants de l'industrie du disque – elle répète à son premier manager qu'elle n'est pas une Spice Girl, et qu'elle n'aspire ni à la célébrité ni à l'argent –, mais on ne voit quasiment pas son travail et son exigence professionnelle. Manifestement, ce n'est pas le sujet du film.

On comprend cependant bien comment son second album, le triomphal Back to Black aux 5 Grammy Awards, a été nourri par son histoire d'amour toxique avec Blake. "J'ai besoin de vivre mes chansons", lance-t-elle d'ailleurs dans une scène du film.

Son ex et son père épargnés par la réalisatrice

Sam Taylor-Johnson met adroitement en scène le coup de foudre et l'ivresse d'un amour naissant. La scène de rencontre des deux tourtereaux, que l'on sent réciproquement magnétisés, est particulièrement délectable. Cependant, qu'il s'agisse de l'amour de sa vie ou de son père Mitch, il faut s'armer d'une bonne dose d'amnésie et oublier tout ce qu'on sait ou croit savoir de négatif à leur sujet. Les deux survivants de ce gâchis, que le documentaire d'Asif Kapadia accablait et révélait comme de vils opportunistes, sont en effet particulièrement épargnés par le film de Sam Taylor-Johnson.

Le père d'Amy Winehouse, qui fut longtemps absent et revint dans sa vie une fois qu'elle eut du succès, est incarné dans Back to Black par l'excellent Eddie Marsan, qui le rend éminemment sympathique. Un père aimant, dépassé par les addictions de sa fille, devenue soudain la chanteuse la plus connue de la terre.

De son côté, Jack O'Connell, qui prête ses traits à Blake, en fait un bad boy charmeur, qui, bien qu'il initie Amy aux drogues dures, s'avère presque plus raisonnable que celle dont il semble avoir réveillé les démons. "Drogue dure, drogue de raclure", lui lance-t-elle pourtant peu après leur rencontre, alors qu'il lui propose de la drogue. "Je croyais que tu étais rock'n'roll", s'étonne-t-il. "Je suis jazz", répond Amy. Hélas, elle le suit bientôt tête la première dans ses addictions.

Une théorie de la chute très discutable

La réalisatrice montre une jeune femme consumée par la passion, rongée par l'alcool et la drogue, fragilisée par les désordres alimentaires, et la rapide déchéance qui s'ensuit. Mais elle nous épargne les derniers concerts erratiques où Amy, totalement ivre, allait jusqu'à oublier les paroles et le nom de ses musiciens. On lui en sait gré. Car personne n'a oublié combien le voyeurisme a contribué à sa chute, livrée en pâture qu'elle était à la presse à scandales et aux paparazzis.

Cependant, c'est une autre théorie que développe Sam Taylor Johnson entre les lignes, de façon répétée tout au long du film, et jusqu'à la scène finale. Celui d'une femme qui voulait par-dessus tout être mère et que l'absence d'enfantement mina, brisa et acheva.

Prendre le parti de montrer une Amy amoureuse dévorée par sa passion et abîmée par ses addictions est un choix légitime. Réécrire l'histoire pour minimiser le rôle de son père et de son amant dans sa descente aux enfers est plus discutable. Mais prétendre que son désir d'enfant inassouvi fut le principal tourment qui eut raison d'elle est une ligne rouge que nous ne franchirons pas avec la réalisatrice. Pour le reste, ne le nions pas, nous avons passé un bon moment en compagnie de cette Amy de fiction. Pour approcher la vraie Amy, reportez-vous à ses chansons et au documentaire d'Asif Kapadia.

L'affiche de "Back to Black", le biopic sur Amy Winehouse de Sam Taylor-Johnson. (STUDIOCANAL)

La fiche

Genre : Biopic
Réalisatrice : Sam Taylor-Johnson
Acteurs : Marisa Abela, Jack O'Connell, Eddie Marsan
Durée : 2h02
Sortie :
24 avril 2024
Distributeur :
StudioCanal
Synopsis : Back to Black retrace la vie et la musique d'Amy Winehouse, à travers la création de l'un des albums les plus iconiques de notre temps, inspiré par son histoire d'amour passionnée et tourmentée avec Blake Fielder-Civil.

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