"Belladonna" : perle de l'animation japonaise invisible depuis 43 ans
La sorcière
Inspiré par le classique de Jules Michelet, "La Sorcière" (1862), essai historique, sociologique et mythologique sur la sorcellerie en France au Moyen-Age, "Belladonna" s'affirme dans le sillage de son illustre modèle, un puissant pamphlet féministe. Pas étonnant de voir ce texte fondateur régénéré au début des années 70, alors que l’émancipation féminine bat son plein en Occident. Plus inattendu, est de voir cette renaissance originaire du Japon, à la forte culture machiste. Mais ceci explique peut-être cela, dans la continuité du puissant courant libertaire qui souffle sur le monde depuis les années 60.Yamamoto choisit d’adapter la thèse de Michelet sous la forme d’un conte édifiant, où une jeune femme, Jeanne, sur le point de se marier, est abusée par son seigneur qui exerce son droit de cuissage. Traumatisée, elle s’enfuit du village et pactise avec le Diable, afin de se venger de son suzerain, mais aussi des villageois qui ont laissé faire. En accord avec l'anticlérical Michelet, Jeanne devient une grande prêtresse païenne, à la sexualité libérée, la femme étant à ses yeux le réceptacle des forces primitives de la nature. Pour arriver à ses fins, Jeanne va utiliser la belladone, plante magique, puissant psychotrope, dont les effets sont équivalents à ceux du peyotl (cactus hallucinogène), des champignons hallucinogènes ou du LSD.
Flower power
Avec ce discours radical sur le retour à la nature, les drogues et le sexe, "Belladonna" est fortement enraciné dans la contreculture des années 60-70. Tout comme son esthétique. Sous la gouverne du concepteur artistique Kurni Fuksi, le graphisme est polymorphe, faisant appel au fusain, l’encre, l’aquarelle, les papiers collés… Eiichi Yamamoto joue d’effets de matière multiples et spectaculaires auxquels l’animation, minimaliste, contemplative, ou compulsive participe d’un hypnotisme général. Kurni Fuksi et Eiichi Yamamoto affichent leurs sources dans l’Art Nouveau, Gustave Klimt, Aubrey Beardsley (illustrateur d’Oscar Wilde), tenus pour "décadents", inspirateurs de l’art psychédélique, notamment dans les affiches du "flower power". La référence au "Yellow Submarine" (1968) de Charles Dunning, autour des Beatles, est également évidente.
La musique de Massako Satô, un curieux psychédélisme nippon rappelant parfois le groupe Gong des premières heures, participe harmonieusement de cet opéra baroque sans équivalent. Elle fait l’objet d’un album vinyle, bientôt disponible chez Potemkine. "Belladonna" est un pur produit de son époque, tant artistique que militant. L’épilogue sur les femmes françaises à l’origine de la Révolution de 1789, apparaît un peu naïf, mais surligne le propos féministe du film. "Belladonna" s’apprécie pour sa toute-puissante beauté, mais aussi comme document sur une idéologie sociétale révolutionnaire, aujourd’hui menacée, sinon régressive. Un courant d’air frais dans l’asphyxie ambiante.
La fiche filmFilm d'animation de Eiichi Yamamoto (Japon, 1973) - Durée : 1h35 - Sortie : 15 juin 2016
Interdit aux moins de 12 ans
Synopsis : Jeanne, abusée par le seigneur de son village, pactise avec le Diable dans l'espoir d'obtenir vengeance. Métamorphosée par cette alliance, elle se réfugie dans une étrange vallée, la Belladonna…
Après 43 ans, le chef d'oeuvre de l'animation japonaise enfin sur grand écran en version restaurée 4K.
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