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"Apprentice" : à bourreau, bourreau et demi

Projeté à Un certain regard à Cannes, "Apprentice", du Singapourien Boo Junfeng, a fait forte impression. Rares sont les films en provenance de cette cité-Etat d'Asie du sud-est. "Apprentice", coproduit avec la France et l'Allemagne, rappelle la veine sud-coréenne. C'est le premier long métrage de Boo Junfeng à sortir en France, et pas le dernier, aux vues de ce remarquable film à plus d'un titre.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Wan Hanafi Su dans "Apprentice" de Boo Junfeng
 (Joseph Nair)

Peine de mort

En provenance de Singapour, on se souvient de "My Magic" d'Eric Khoo, projeté en compétition officielle à Cannes en 2008 et sorti sous bannière chinoise. Ou de "Be With Me", du même Eric Khoo, en 2005, vu à la Quinzaine des réalisateurs, estampillé, lui, Singapourien. Un gage de qualité pour ce jeune cinéma ravivé depuis les années 90, après l'indépendance de l'archipel en 1965. Les cinéastes du cru ont toutefois maille à partir avec une censure féroce, malgré un discours officiel ouvert.

"Apprentice" aborde un sujet épineux, s'agissant de la peine de mort, toujours en vigueur par pendaison dans la cité-Etat. Avec un taux très élevé pour les 5,3 millions d’habitants du pays : quelque 420 exécutions ont été pratiquées entre 1991 et 2004. Dans ce contexte, le film, visiblement non favorable à la peine capitale, sans militantisme pour autant, a dû faire grincer quelques dents. Boo Junfeng fait preuve de beaucoup de tact dans son scénario, ses dialogues et sa mise en scène, en restant à la fois sensible et percutant, dans un environnement claustrophobe - un pénitencier de haute sécurité.

Tensions

La grande qualité du scénario réside pour beaucoup sur une révélation à mi-chemin du récit. Elle concerne Aman, ce jeune Singapourien (très juste Fiz Rahman) candidat à la socialisation des détenus. Pris sous l’aile du dévoué et attentif bourreau Rahim (impressionnant Wan Hanafi Su) il devient son assistant, destiné à son remplacement. Rahim assume sa mission comme un sacerdoce, avec beaucoup de compassion à l’égard des condamnés. Ce qui lui vaut le respect de toute la communauté carcérale. Lourde responsabilité que celle de lui succéder, quand l’on connaît le passé d’Aman, où est condensé tout le suc de "Apprentice". Le film ne résoudra pas le dilemme de cet apprenti tout particulier. Grand bien soit-il, Boo Junfeng préfère nous laisser face à lui.

Fir Rahman dans "Apprentice" de Boo Junfeng
 (Meg White )

L’écriture tout en finesse, alterne les scènes du pénitencier avec celles d’Aman à son domicile, partagé avec sa sœur Suhaïlia. Leurs rapports sont conditionnés par le passé de petit délinquant d’Aman, en quête de réinsertion, et le désir de Suhaïlia de se marier pour changer de vie. Ils participent grandement du drame de ce frère encombrant, resté juvénile, néanmoins désireux de s’affranchir, de s’assumer et s'accrocher à celle qui incarne sa seule famille. S’il lui voue toute sa reconnaissance fraternelle, ils forment quasiment un couple. Sans pathos aucun, film nocturne et désenchanté, "Apprentice" distille un venin fascinant et passionnant, où l’action est nourrie de tensions constantes. Son statut de "film coup de poing du Festival de Cannes", comme le stipule les affiches, est pour une fois bien mérité.

"Apprentice" : l'affiche française
 ( Version Originale / Condor)

La fiche film
Drame de Boo Junfeng (Singapour-Allemagne-France) - Avec : Fir Rahman, Wan Hanafi Su, Ahmad Mastura, Boon Pin Koh - Durée : 1h36 - Sortie : 1er juin 2016
Synopsis : Aiman officie dans une prison de haute sécurité. Rahim, le bourreau en chef, y accompagne les derniers jours des condamnés. Rapidement, il prend le jeune gardien sous son aile et lui apprend les ficelles du métier. Aiman s'avère être un exécutant très appliqué, mais sa conscience et ses véritables motivations le rattrapent peu à peu...

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