Alex Lutz : l’histoire d’"Une nuit" qu'il réalise et interprète "était destinée à Karin Viard"
À l’écouter, le passage à la réalisation s’est fait naturellement pour Alex Lutz qui signe son quatrième film avec Une nuit qui sort mercredi 5 juillet. Il y raconte une brève mais intense rencontre avec Karin Viard, qui déambule avec lui toute une nuit dans Paris. L’humoriste, acteur et réalisateur signe une romance poétique et habitée dont il nous donne les secrets de fabrication dans un entretien noctambule.
Franceinfo Culture : J’ai aimé votre film parce que cette histoire d’amour est invraisemblable. J’y ai vu une parabole sur l’acteur, un film sur son pouvoir de nous faire croire l’invraisemblable. Était-ce intentionnel ?
Alex Lutz : Ce n’est pas faux, je n’y avais pas pensé, mais c’est joli ce que vous me renvoyez. Non, ce n’était pas mon intention, mais j’aime beaucoup cette proposition. Ces personnages (Alex Lutz et Karin Viard) se jouent de la nuit, ce couple se joue de l’histoire de leur couple réciproque, oui, ils ont ce côté qui consiste à jouer à quelque chose. Ce qui invite les spectateurs à être sur leurs épaules, en immersion et à croire en eux. Et c’est beau de croire à des fictions.
Justement par moments, le film est volontairement joué, sur un ton presque théâtral.
Oui, c’est lié à ce que raconte l’histoire dont on ne peut dévoiler les tenants et aboutissants. C’est comme un marivaudage, on est dans la séduction, le couple. Il y a aussi cette succession de masques, même s’ils sont parfois très complices. On les porte chacun et chacune et parfois à deux, volontairement ou involontairement. Oui bien sûr c’est aussi un film sur le jeu.
Vous avez écrit et produit Une nuit avec Karin Viard, c’est donc un projet commun, comment est-il né ?
Karin est créditée à l’écriture, et nous sommes coproducteurs, mais c’est Didar Domehri qui a vraiment produit le film. Quant à l’écriture, elle est de moi et d’Hadrien Bichet. Dans un dernier temps, avant de tourner, Karin s’est investie dans l’écriture des versions définitives du texte. Le projet est né suite à une dispute dans le métro à laquelle j’ai assisté. Cette dispute avait du charme et j’ai imaginé cette étreinte qui lui succède. J’avais l’idée dans mes carnets depuis des années. Et quand j’ai rencontré Karin, nous nous sommes très bien entendus et on a eu envie d’écrire un film pour elle, et avec elle. J’ai trouvé que cette histoire était chouette et qu’elle lui était destinée.
Votre Paris nocturne est un personnage à part entière, très bien photographié et atmosphérique. Comment l’avez-vous choisi ?
C’est Eponine Momenceau, la directrice de la photo, qui a fait un travail incroyable. Je voulais que Paris soit comme un vêtement. Il n’y a pas de grands plans larges, on le devine, il est devant, il est derrière nous, il est comme une petite toile de décor toute simple. J’avais envie du bas 16e arrondissement, parce que je le trouve un peu suspendu. Même en journée, il n’est pas surpeuplé, et je savais qu’il ne serait pas bruyant la nuit. Il est un peu immuable aussi, on dirait que la porte de Saint-Cloud a toujours le même âge, les axes sont un peu plus larges qu’ailleurs, je voulais aller par-là. Le tournage nocturne était très éprouvant. Il fallait qu’il y ait de l’urgence, avec peu de nuits de tournage, pour correspondre à l’urgence des personnages. Et ayant tourné l’été, les nuits étaient courtes. Il fallait que la fatigue se voie.
On vous identifie à la comédie. Comment avez-vous eu envie d’une romance ?
Parmi mes films réalisés, Guy n’est pas un film hilarant, Vortex (Gaspar Noé), où je joue, non plus. Au cinéma, je n’ai pas fait vraiment de comédies, ce n’est pas mon identité au cinéma. Mon identité humoristique est sur scène, et là aussi il y a des rendez-vous poétiques et parfois émouvants. L’humour est dans Catherine et Liliane, mais au cinéma, la comédie n’est pas mon genre de prédilection, même si j’aime ça. Et si demain, on me proposait une bonne comédie, je la jouerai avec plaisir.
Il y a un vrai travail de mise en scène dans le film, de construction, de temporalité. Expliquez-nous ces choix
Je voulais que l’on se retrouve dans le présent de cette nuit et dans son souvenir potentiel. Comme lors d’une nuit blanche, quand vous vous la rappelez, vous ne vous souvenez plus de la continuité du déroulement des choses, ou où et comment les conversations ont eu lieu. Je voulais retrouver cette temporalité un peu cotonneuse. C’est curieux de se remémorer une nuit blanche, on ne remet pas forcément les choses à leur place. Je voulais retrouver cette confusion-là.
Comment se dirige-t-on dans un film qu’on réalise ?
Quand vous avez l’image en tête, une histoire en tête, ce n’est pas insurmontable, ce n’est pas schizophrène. Bizarrement, il ne faut pas rester concentré sur soi-même, mais sur les autres. C’est presque des vacances quand vous laissez tomber le côté réalisation, et jouez sur le plateau. Vous êtes alors abandonné à l’autre, vous êtes sur l’épaule de votre partenaire, c’est très agréable de s’abandonner à son partenaire quand vous dirigez un film que vous avez écrit. D’un seul coup, c’est une deuxième couche de vernis, c’est une deuxième écriture. Je n’aime pas par contre vérifier au combo (écran de contrôle), ce que l’on a fait ou pas. Il faut faire confiance aussi à ses équipes, il faut que tout le monde soit responsable de ses actes sur le plateau. Quand je sais qu’une scène est cadrée comme il faut, quand on est d’accord sur le point, il faut y aller. Le cinéma, c’est une petite boîte dans laquelle vous faites du théâtre et jouez.
Il y a une grosse ellipse au début du film, après la dispute dans le métro, puisqu’on vous retrouve le plan d’après avec Karin Viard dans un photomaton faisant l’amour. Avez-vous coupé au montage, ou cette transition brutale était écrite ?
Il y avait une petite déambulation entre eux deux dans les couloirs du métro, où ils se rapprochaient doucement, mais je n’aimais pas cela. Je trouvais qu’il fallait être clair, aller à l’os de ce qu’elle dira après, "on s’est engueulé six minutes et on a baisé les six autres, voilà, on en reste là". Cette réplique était dans le script, il fallait justement la respecter et être direct. C’était écrit à l’origine avec cette ellipse. J’aime l’ellipse, parce que le spectateur coécrit avec vous pour remplir les vides. Il fait sa petite cuisine, sa petite histoire, Catherine et Liliane sont des personnages elliptiques en diable. On a l’impression de connaître leur maison à Meudon, on ne voit jamais leurs jambes, on ne voit pas leur mari, ou leur cantine, et on a un imaginaire fou autour. Guy reposait sur une grosse ellipse, puisqu’il s’agissait d’un chanteur de 75 ans, dont le spectateur ne connaissait rien. Les spectateurs aiment jouer de tels paris, donc il faut jouer avec eux.
Quelle est votre cinéphilie ? On pense à Brève rencontre de David Lean dans Une nuit, puisque cet amour entre Aymeric et Nathalie pourrait être aussi un fantasme.
J’ai pensé à plusieurs choses, pas forcément à des films, mais à des musiques, des fugues musicales au piano, qui apparaissent en musique additionnelles dans le film, comme Tchaïkovski, ou le Prélude et variations de César Franck. J’avais adoré dans Kramer contre Kramer le concerto à la mandoline qui ouvre le film, comme une ritournelle. J’ai pensé aussi à Qui a peur de Virginia Woolf, à Turning Point (Le Tournant de la vie), Un homme qui me plaît… Sinon, j’ai une cinéphilie très grand écart, de Spielberg à Eisenstein.
Comment êtes-vous passé du music-hall à la réalisation ?
J’ai toujours mis en scène. Quand j’avais ma compagnie de théâtre subventionné, par nécessité, pour gagner ma vie, je montais mes pièces, j’écrivais plutôt que racheter des droits, parce que c’était moins cher. Et il y a une filiation avec le cinéma, c’est proche. Comme j’ai mis en scène pour le théâtre, je ne me suis jamais trop posé la question du passage à autre chose, seulement celle de continuer mon métier.
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