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René Goscinny expose sa passion pour le cinéma à la Cinémathèque
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Gotlib l’avait surnommé Walt Goscinny car il rêvait de devenir le Walt Disney français. René Goscinny et le cinéma, c’est une longue histoire. L’exposition "Goscinny et le cinéma : Astérix, Lucky Luke et Cie" évoque sa passion pour le 7e art qui transparaît dans ses albums phare, ses scénarios pour le grand écran, jusqu’à la concrétisation de son rêve avec la création du studio d’animation Idéfix.
Fan de Walt
L’influence du cinéma sur René Goscinny recoupe toute sa vie. Depuis la vision de ses premiers films avec son père dans les cinémas de Buenos Aires, où ses parents ont immigrés deux ans après sa naissance, en 1928. Puis se seront les salles de New York où il part en 1945 avec sa mère, après le décès de son père. Il effectue son service militaire en France en 1946 et revient aux Etats-Unis en tant que dessinateur, dans l’espoir de rencontrer Walt Disney. Mais c’est peine perdue.René Goscinny décroche des petits boulots dans la publicité et la presse, comme ces caricatures réussies des stars de l’époque : Clark Gable, James Cagney, Spencer Tracy, Boris Karloff…
C’est aux Etats-Unis qu’il rencontrera Morris, le créateur de Lucky Luck dont il scénarisera plus tard les albums. Leur passion pour le western les pousse à inclure dans les aventures de "l'homme qui tire plus vite que son ombre" une grande part de parodie de leurs films préférés, notamment ceux de John Ford et plus tard le western spaghetti.
Pastiches
De retour en France, René Goscinny ne cherche plus à réaliser ses rêves de dessinateur ou de cinéaste d’animation. Mais sa rencontre avec Morris, puis Albert Uderzo, qui jouent avec talent du crayon, mais piètres scénaristes, vont lui permettre d'exprimer ses idées, car il s’avère une véritable usine à gags.Comme Lucky Luke, Astérix regorge de références au cinéma : "Astérix et Cléopâtre" (1965) résulte de sa vision du "Cléopâtre" (1964) de Joseph Mankiewicz avec Elisabeth Taylor et Richard Burton. Les orgies d’"Astérix chez les Helvètes" (1970) font écho au "Satiricon" (1969) de Fellini. Mais c’est la conception même d’"Astérix", bande dessinée située dans l’Antiquité, qui s’avère synchrone avec la vague du péplum qui submerge les écrans dans les années 50-60.
Pour Lucky Luck, "Pacific Express" (1939) de Cécil B. DeMille inspire "Des rails sur la prairie", "Le 20e de cavalerie" est déduit de "Fort apache" (1948), "La Diligence" de "La Chevauchée fantastique" (1939) de John Ford, et "Le Pied tendre" s'inspire de "L’Extravagant Mr. Ruggles" (1935) de Leo McCarey. Plus tard, on reconnaîtra Lee Van Cleef dans "Chasseur de primes", David Niven dans "Calamity Jane", Alfred Hitxhcock en barman, ou Mae West en danseuse de saloon…
L’ami Tchernia
Si la collaboration de René Goscinny comme gagman non crédité de Bourvil dans les années 50 reste anecdotique, le cinéma va le rattraper. Le succès foudroyant d’"Astérix et Cléopâtre" en 1965 inspire à Goscinny et Uderzo une collaboration avec Pierre Tchernia pour adapter leur univers dans un moyen-métrage pour la télévision. Cela deviendra en 1967, "Deux Romains en Gaule" avec Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, Jean Yann et même Pierre Dac. Le scénariste y apparaît même comme serveur de cervoise, coiffé d'un casque ailé, comme Astérix.Goscinny et Pierre "Magic Monsieur Cinéma" Tchernia, ces deux-là font la paire. Une connivence naturelle, nourrie d’une passion commune pour le cinéma. L’animation et leur sens de l’humour vont les faire collaborer régulièrement. Dès 1968, Tchernia participe au scénario pour l’écran d’"Astérix et Cléopâtre" au côté de son ami qui cosigne le film avec Uderzo.
Il réalise au côté de Goscinny et Morris la première adaptation de "Lucky Luke" (1971) en dessin animé, écrivent ensemble le scénario du "Viager" (1972), premier long métrage de Pierre Tchernia, puis celui des "Gaspard" (1973). Une amitié intime et professionnelle qui durera jusqu’à la mort de René Goscinny en 1977.
La réalisation d’une idée fixe
Goscinny et Uderzo s’étaient fait coiffer au poteau sur la première transposition en dessin animé d’"Astérix", "Astérix le Gaulois", par les studio belges Belvision, sans que même leur éditeur Dargaud les avertisse. La sortie du film en 1967 est un événement national et les deux auteurs se prêtent volontiers à la promotion du film, toutefois décevant par rapport aux espoirs suscités.On ne les y reprendra plus. Ils obtiendront ainsi la destruction totale de l’adaptation finalisée de "La Serpe d’or" qui n’avait pas leur aval, puis ils garderont le contrôle sur "Astérix et Cléopâtre". Il faudra toutefois attendre 1973 pour que Goscinny réalise son rêve, associé à Uderzo et à leur éditeur Dargaud : la création du premier studio français d’animation, Idéfix.
Pierre Tchernia est de la partie dès le premier film mis en chantier en 1974, "Les 12 travaux d’Astérix", qui sortira en 1976. C’est le succès : 9 millions de spectateurs en France. On le retrouve encore comme coscénariste sur le second et dernier film du studio sur un sujet original de Goscinny qui cosigne la réalisation avec Morris et l’animateur Henri Gruel, "La Ballade des Dalton". Goscinny prêtera même sa voix au cheval de Lucky Luke, Jolly Jumper. L’aventure prend fin avec la mort prématurée de René Goscinny d’une crise cardiaque le 5 novembre 1977, entraînant la fermeture définitive du studio.
Goscinny au-delà de l’infini
La fille de René Goscinny, Anne, affirme que si son père était toujours en vie, c’est dans le cinéma qu’il se serait définitivement reconverti. A l’image de sa vocation première, motivée par son admiration pour Walt Disney.Si Goscinny est avant tout connu comme scénariste de bande dessinée, sa méthode de travail recoupait celle de la conception d’un film. Il dessinait chaque case schématiquement comme un storyboard (découpage dessinée des séquences). Son univers s’est naturellement transposé dans le dessin animé, mais il s’est reconverti aussi dans des films avec acteurs, avec plus ou moins de bonheur…
Astérix et Lucky Luke ont été adaptés en "Live" au cinéma, mais aussi "Le Petit Nicolas". Ce dernier constituait une des premières contributions scénaristiques en 1956 de Goscinny au côté de Sempé. Son adaptation avec Kad Merad et Valérie Lemercier, dans deux opus, est plutôt réussie. Iznogoud, créé en 1962 avec Jean Tabary aux crayons sera aussi transposé au cinéma, avec moins de bonheur, interprété par Jacques Villeret en calife Haroun El Poussah et Michael Young en grand vizir..
Astérix a connu des bonheurs contrastés. Le film de Claude Zidi "Astérix et Obélix contre César", avec Christian Clavier en Astérix et Gérard Depardieu en Obélix n’a pas tenu ses promesses. Par contre "Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre" d’Alain Chabat remportait le gros lot, avec le même duo, une Monica Bellucci somptueuse et un Jamel Debouze irrésistible. Pharaonique, "Aux Jeux Olympiques" fut un fiasco, mais "Au service secret de Sa majesté" une réussite, malgré la réunion malhabile de deux BD en un film : "Chez les Bretons" et "Chez les Vikings". Christian Clavier passait le relais à Edouard Baer dans le rôle d’Astérix.
Lucky Luke a été moins bien loti. La version Terrence Hill, derrière et devant la caméra en 1991, qui reprend le canevas de "Daisy Town", est un désastre. Par contre "Lucky Luke" (2009) de James Huth, avec Jean Dujardin dans le rôle-titre avait plus d’un attrait, mais n’a pas rencontré de succès public ni critique.
Dernièrement, "Le Domaine des Dieux" (2014) sous la forme d’un film d’animation numérique s’avéra une franche réussite adaptée d’un des meilleurs albums de la série. Une nouvelle adaptation animée d’Astérix est dans les tuyaux, "Le Secret de la potion magique", ainsi qu’une autre avec acteurs, "Astérix en Corse". René Goscinny est toujours là, vivant : tout va bien.
En sept étapes, l’exposition de la Cinémathèque, dans une scénographie étonnante, ludique et interactive, retrace ce lien intime entre un génie de la bande dessinée et le cinéma. Une évocation complémentaire à l’exposition parallèle du Musée de l’Histoire et Tradition Juive consacrée à René Goscinny. Toutes deux démontrent l’actualité d’un créateur enthousiaste, voué à l’art de distraire ses contemporains. Irresistible, par Toutatis !.
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