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Redécouvrez le cinéma de Michael Powell en huit films flamboyants

"Le Voleur de Bagdad", "Les Chaussons rouges", "Les Contes d’Hoffmann", "Le Narcisse noir", "Le Voyeur"... jalonnent un cinéma britannique novateur et baroque jusqu’au bout des ongles.

Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Carl Boehm et  nna Massey dans "Le Voyeur" de Michael Powell (1960). (Michael Powell / Collection ChristopheL via AFP)

Michael Powell (1905-1990) est-il le plus grand réalisateur britannique, aujourd'hui, trente ans après sa mort ? Bertrand Tavernier et Martin Scorsese ne sont pas loin de le penser, tant ils se sont penchés sur son œuvre et ont participé à une réhabilitation de ce grand cinéaste. Le Voleur de Bagdad, Les Chaussons rouges, Les Contes d’Hoffmann, Le Narcisse noir, Le Voyeur… sont des films sans équivalent, d’une originalité et d’une audace folles, modernes, intemporels : fabuleux !

Initié au cinéma par le réalisateur américain Rex Ingram dans les années 1920, alors en tournage aux Studios de la Victorine à Nice, Michael Powell, revenu en Angleterre, devient assistant réalisateur sur Blackmail (1929), le premier film parlant d’Alfred Hitchcock. Il passe rapidement à la réalisation sur des petites bandes commerciales dans les années 1930. Son premier long de 1937, A l’Angle du monde, le fait comparer à Robert Flaherty, pionnier du docufiction.

Sa carrière décolle avec Alexander Korda, réalisateur et surtout producteur qui lui offre L'Espion noir (1939) avec l’immense acteur allemand Conrad Veidt (Le Cabinet du Docteur Caligari, 1919). Il rencontre alors Emeric Pressburger, scénariste avec lequel il collaborera pendant une quinzaine d’années à ses films les plus aboutis, en créant la société de production The Archers.

"Le voleur de Bagdad" (1940)

En 1940, Michael Powell a trois longs métrages derrière lui et nombre de films plus courts projetés en première partie des grands films américains distribués en Angleterre (interdits en France suite à l’occupation allemande). Pour ce remake du film éponyme de 1924 signé Raoul Walsh avec Douglas Fairbanks, Powell refait appel à Conrad Veidt, après L'Espion noir, fabuleux acteur du muet, dans un rôle de méchant qui demeure un modèle. Il affronte Sabu, jeune acteur indien, star dans les années 1940-50 et qu’il dirigera de nouveau dans Le Narcisse noir (1947) avec Deborah Kerr.

Le film sera récompensé du prix des effets spéciaux aux Oscars 1941. Il faut dire qu’on est servi, avec l’apparition du génie géant sorti de sa bouteille, une Shiva tentaculaire dont la mélopée guide une araignée géante sur une toile gigantesque, le voyage en tapis volant, le cheval ailé… Le Technicolor resplendit dans une évocation des Mille et une nuit, dont ce Voleur de Bagdad reste la plus belle adaptation.

"49e Parallèle" (1941)

Film de propagande, avec 49e Parallèle, Michael Powell revient sur les pas de L'Espion noir, en mettant en scène à nouveau un sous-marin allemand pendant la Seconde Guerre mondiale, cette fois dans la baie d’Hudson (après le nord de l'Ecosse), dont l’équipage se réfugie au Canada et tente de passer aux Etats-Unis, encore neutres dans le conflit. Ponctué de scènes d’aventure, de suspens et d’humour, le film exalte les oppositions entre les rescapés nazis qui s’interrogent sur le bienfondé de leur engagement au cours de leur périple.

Une dramaturgie efficace est servie par une magnifique photographie contemplative dans des paysages neigeux, tout en maintenant l’action et les enjeux de l’époque. David Lean, futur réalisateur de Lawrence D’Arabie (1962), est au montage, et Lawrence Ollivier fait une de ses premières apparitions au cinéma en trappeur canadien. Le film sera qualifié par Télérama de "modèle de propagande intelligent". Entraînant, 49e Parallèle témoigne de son temps.

"Colonel Blimp" (1943)

Réalisé en pleine Seconde Guerre mondiale dans la banlieue de Londres, Colonel Blimp est un cas. Le personnage a été créé par le caricaturiste britannique David Low en 1930 et si le film démarre sur un ton burlesque, il enchaîne sur le drame, jusqu’au tragique, tout en favorisant une mise en scène spectaculaire, aux couleurs chatoyantes.

La construction du film l’imprègne de nostalgie. Un vieux brisquard de l’armée britannique se remémore en 1942 sa jeunesse 40 ans plus tôt pendant la Guerre des Boers, puis évoque son rôle pendant la Première Guerre mondiale, pour revenir au début des années 1940. L’héroïsme assez pathétique de Blimp, puis son amitié sincère pour un ennemi berlinois, mêlé à leur amour commun pour Deborah Kerr dans trois rôles différents, au tout début de sa carrière, participent au sel du film. La réalisation est d’une maîtrise incroyable en ces temps de guerre. Son extrême sophistication fera dire à Martin Scorsese, artisan de sa restauration splendide : "A chaque vision de Colonel Blimp, le film devient plus riche, grandiose, émouvant et profond".

"Le Narcisse noir" (1947)

Encore un film très atypique dans la filmographie de Michael Powell. L’histoire d’une nonne anglicane très vertueuse et engagée dans la christianisation au Tibet (Deborah Kerr). Elle tombe sous le charme d’un jeune prince (Sabu), troublée par un Tibet aux moeurs libertaires et à l'atmosphère suave. Les merveilleux paysages et jardins ont été reconstitués à Londres avec des splendides "matte paintings" (peintures sur verre pour les décors), l’image étant couronnée de l’Oscar 1948 revenu à son fidèle Jack Cardiff. Au-delà de son visuel enchanteur, Le Narcisse noir est étonnant d’audace dans son propos.  

La rencontre entre deux civilisations laisse place à un récit sensuel et trouble, à l’image de ce que vivent ces nonnes sensibles et destabilisées par l'orientation spiritualiste, et non plus religieuse, dogmatique, prônée par la communauté tibétaine. Powell poursuit le sens subversif de son discours subtil, sous le jour trompeur d’un cinéma classique et sophistiqué.

"Les Chaussons rouges" (1948)

Powell atteint le sublime avec Les Chaussons rouges. Adapté du conte de Hans Christian Andersen, le film, une fois l’intrigue installée, ressemble à un long plan séquence de 2h00. On suit cette ballerine (Moira Shearer) qui, ayant chaussé des chaussons magiques, ne peut plus vivre sans danser jusqu’à épuisement, partagée entre son art et sa survie.

Le film fut couronné en 1949 de l'Oscar de la meilleure direction artistique pour un film en couleur (Technicolor), remis à Hein Heckroth et Arthur Lawson, et de celui de la meilleure musique, décerné à Brian Easdale, interprétée par The Royal Philharmonic Orchestra de Londres. C’est dire si le spectacle est à la hauteur, toujours avec ce sens de la couleur, et d’un rythme endiablé, frénétique, tant il colle à la folie chorégraphique qui emporte la ballerine. Un art total.

"La Renarde" (1950)

Un des films les plus injustement ignorés de Michael Powell, inédit en DVD et seulement disponible sur la chaîne YouTube en version originale non sous-titrée. Incroyable, tant ce film rare est un des plus beaux produits par The Archers. Avec une sublime Jennifer Jones, oubliée elle aussi, le film est un mélodrame flamboyant qui annonce Tess (1979) de Roman Polanski. Qu’on en juge : tous deux racontent l’histoire d’une jeune fille modeste, rurale, courtisée par deux hommes, l’un un pasteur auquel elle se marie, l’autre, un aristocrate sensuel auquel elle ne peut résister.

Le dilemme, d’un romanesque bouleversant, sera terrible, et transcrit une vision intransigeante sur les hommes, aux résonnances féministes. Au-delà du sujet mélodramatique, Powell dirige une tragédie menée sur le mode d’un conte fantastique gothique, enraciné dans les légendes du Pays de Galles, d’une splendeur inouïe. Christopher Challis, à la photographie, sera rappelé l’année suivante pour Les Contes d’Hoffmann.

"Les Contes d’Hoffmann" (1951)

Adaptés de l’opéra bouffe d’Offenbach, ces Contes d’Hoffmann constituent une merveille visuelle et musicale récemment restaurée en 4k par les soins de la Film Foundation de Martin Scorsese. Trois histoires, plus une introduction, composent ce très grand film, récompensé d’un Prix exceptionnel à Cannes en 1951 et d’un Ours d’argent à la Berlinale la même année.

Trois parties déclinent les amours impossibles d’Hoffmann, avec une automate, une sorcière, et une femme vouée à la mort. L’introduction, magnifique, voit une libellule échapper à un démon qui hantera les trois contes. L’interprétation est dominée par Moïra Shearer, la ballerine des Chaussons rouges, mais Ludmilla Tcherina lui vole la vedette dans la deuxième partie, avec une sensualité envoûtante qui semble annoncer la muse de l’épouvante des années 1960, Barbara Steele. L’invention de la mise en scène s’exprime tant dans l’interprétation, le rythme, les décors, les costumes, les éclairages et des couleurs époustouflantes. Sublime.    "

"Le Voyeur" (1960)

Michael Powell réalise là peut-être son film le plus personnel, le plus incompris, le plus réhabilité et le plus connu depuis son rejet en 1960. Un paradoxe. Un scandale à l’époque. Qualifié de "malsain" et de "répugnant" par la critique, le film est suspendu à sa sortie en Grande-Bretagne, et revendu au circuit porno semi-clandestin. Cet échec vaudra sa carrière à Powell, qui deviendra un réalisateur mineur par la suite, oublié, jusqu’à sa disparition en 1990, malgré des récompenses pour l’ensemble de son œuvre à Venise ou à Berlin, et le soutien de Bertrand Tavernier et Martin Scorsese.

Comme nombre de ses films, Le Voyeur, ne ressemble à aucun autre, même s'il est sorti la même année que Psychose d'Hitchcock, sur un autre tueur en série. A l'origine, Powell voulait faire un film sur la psychanalyse. Sous l’impulsion de Leo Marks, ami de longue date, cryptographe, scénariste et acteur, il conçoit l’histoire d’un jeune homme séduisant, photographe de charme et cinéaste amateur, qui tue ses victimes avec le pied de sa caméra muni d’un poignard, en filmant leur peur face à la mort. Il rencontre une jeune aveugle à laquelle il projette ses films, en vivant ainsi son ultime névrose.

Quelle histoire ! Il fallait vraiment oser. Et Powell y engage tout son talent, réalisant à la fois un film psychanalytique ultime, fantastique, et d’épouvante glaçante. Le réalisateur joue le père du futur meurtrier, qu’il utilise comme cobaye en filmant les sévices qu’il lui inflige. L’enfant est interprété par le propre fils de Powell. Devenu adulte, il  est joué par Karlheinz Boehm, tout juste sorti de la série à la guimauve Sissi avec Romy Schneider, une provocation. Boehm jouera l’année suivante un disciple de Dracula dans Les Maîtresses de Dracula de Terrence Fischer pour la Hammer Films. Les scènes du début, très érotiques pour l’époque, dans ce climat macabre, dérangent jusqu’à la répulsion…

Michael Powell parle de cinéma, où glamour et violence s'identifient à Eros et Thanatos, qui participent pour beaucoup à l’alchimie fascinante du 7e art, à la source de tous ses films.

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