Philippe Sarde en concert à l’Auditorium de Radio France : la musique de films en son et lumière
Compositeur pour le cinéma depuis 1966, Philippe Sarde a signé quelque 250 partitions pour l'image : un géant, joué sous la direction de Mei-Ann Chen par l'Orchestre national de France à l'Auditorium de Radio France, jeudi 4 avril à 20h.
Identifié aux films de Claude Sautet, pour lequel il a écrit dix bandes-son, Philippe Sarde se distingue par la confiance entretenue avec nombre d'autres réalisateurs français. Jacques Doillon, Marco Ferreri, Pierre Granier-Deferre, Laurent Heynemann, Georges Lautner, Bertrand Tavernier ou André Téchiné lui sont fidèles.
Final cut
Philippe Sarde est né en 1948 à Neuilly-sur-Seine, dans un milieu féru de culture : son père, Henri Sarde, étant antiquaire et sa mère, Andrée Gabriel, mezzo-soprano à l'Opéra de Paris. Son frère Alain Sarde deviendra de son côté producteur de cinéma. Le futur musicien a pour parrain Georges Auric, qui était dans ces années d'après-guerre directeur de l'Opéra de Paris. Il l'initiera à la musique de films, étant lui-même signataire de nombreuses partitions, dont La Belle et la Bête de Jean Cocteau (1946) ou La Grande vadrouille de Gérard Oury (1966).
À l'inverse de ses compatriotes Georges Delerue (Jumeaux) ou Maurice Jarre (Docteur Jivago), qui feront une belle carrière à Hollywood, Philippe Sarde ne gagnera pas l'Amérique, préférant avoir le "final cut" sur ses compositions, la "machine à rêves" ayant tendance à imposer ses choix plutôt qu'à faire confiance aux musiciens. Son approche est avant tout filmique, non musicale, déduite des sentiments intérieurs des personnages et émotions issues de l'action, et que l'image ne peut représenter. Sarde se définit ainsi comme un "scénariste musical".
Identité instrumentale
Aussi, la composition part-elle toujours de l'instrument, que le musicien identifie aux personnages. C'est la contrebasse pour le vieux truand du Choix des armes joué par Yves Montant, où l'orgue de verre identifié à l'immigré polonais qu'interprète Roman Polanski dans Le Locataire et qui se suicidera en se jetant de sa fenêtre sur une verrière.
Considéré comme un héritier du compositeur de musique de films Paul Misrak – qui collabora avec Claude Chabrol, Henri-Georges Clouzot, Jean-Pierre Melville, Jean-Luc Godard, Luis Buñuel ou Orson Welles –, si le jazz reste majeur dans les influences de Philippe Sarde, la musique dite "savante" n'est pas en reste.
L'on cite en tête Claude Debussy, pour le sens "impressionniste" du mélodiste et ses orchestrations de cordes tout en nuances. Arthur Honegger est également le plus souvent cité. Signataire de dix symphonies et d'œuvres plus intimes, le compositeur écrivit lui aussi pour l'écran, notamment comme compositeur attitré d'Abel Gance. Le versant atonal de Philippe Sarde prend quant à lui sa source chez les créateurs contemporains du genre : Igor Stravinsky, Béla Bartók et Krzysztof Penderecki.
Philippe Sarde, comme Lalo Schifrin (Mission: impossible), prend donc racine dans le jazz, mais il cite plus volontiers Henry Mancini (La Panthère Rose) ou Bernard Herrmann (Psychose), avec lequel il partage des couleurs atonales.
"Les Choses de la vie"
La playlist du concert de Radio France couvre évidemment Claude Sautet (Les Choses de la vie, Nelly et Monsieur Arnaud, César et Rosalie), Alain Corneau (Fort Saganne, Le Choix des armes), mais aussi son sublime Tess (Roman Polanski), La Guerre du feu (Jean-Jacques Annaud) ou le moins attendu, La Grande Bouffe (Marco Ferreri). Un merveilleux voyage musical où les cinéphiles revivront les images et où tous les mélomanes apprécieront les recherches dramatiques d'un compositeur majeur.
En 1970, Philippe Sarde a 20 ans, Claude Sautet lui confie la musique des Choses de la vie, avec Michel Piccoli et Romy Schneider. À l'écoute du thème au piano, le réalisateur reconnaît l'ambiance musicale en la mineur qu'il a en tête pour son film nostalgique, vision d'une vie qui défile mémorisée, à l'approche de la mort. Pour ce film tout en flash-back, avec comme fil rouge le déroulement haché d'un accident de voiture, le jeune compositeur crée La Chanson d'Hélène. Les paroles ne figurent pas dans le film, mais la radio va populariser le titre, qui reste un grand moment de la chanson de cinéma, interprété par Romy et Piccoli.
Orchestration colorée
Tout de suite repéré par les cinéastes, après une deuxième collaboration avec Sautet sur Max et les ferrailleurs (1971), Philippe Sarde est sollicité par Pierre Granier-Deferre, Roger Vadim, Georges Lautner, José Giovanni, puis toute la relève des années 1980-1990, avec Alain Corneau, André Téchiné ou Jacques Doillon. Si Philippe Sarde sait mettre en musique l'intime, il a un sens de l'épique que l'on reconnaît dans La Guerre du feu (1981), Fort Saganne (1983) ou L'Ours (1988).
L'orchestre prend une ampleur monumentale dans le nombre de musiciens, mais aussi dans leur palette instrumentale. Le film préhistorique de Jean-Jacques Annaud reste de ce point de vue exemplaire dans l'orchestration aux cordes abyssales, ponctuées de percussions primitives, relevées de bois et de cuivres dans une élévation épique des chœurs.
De ce point de vue, Philippe Sarde a également en commun avec Lalo Schifrin, l'attrait pour les instruments exotiques, que l'on n'attend pas spontanément dans le registre filmique où ils se trouvent. Cela peut être la contrebasse omniprésente de Ron Carter dans Le Choix des armes ou la rumba chaloupée qui ponctue la tragicomédie de Coup de Torchon (Bertrand Tavernier, 1981). À ce titre, le compositeur estime qu'il doit "faire en sorte qu'un soliste de jazz, de rock, de classique ou même un groupe deviennent des acteurs qui vont compléter, personnifier de manière définitive le film".
Concert Philippe Sarde
Conducteur : Mei-Ann Chen
Jeudi 4 avril 2024, 20h
Auditorium de Radio France
Maison de la radio et de la musique
116 avenue du Président-Kennedy, 75016 Paris
Tél : 01 56 40 15 16
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