Mostra de Venise 2023 : le Lion d'Or décerné à "Pauvres Créatures" avec Emma Stone dans un contexte de grève et de contestations

La Mostra de Venise a couronné un Frankenstein au féminin avec Emma Stone, au terme d'un festival marqué par la grève à Hollywood et l'invitation de cinéastes visés par le mouvement #MeToo.
Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
Le réalisateur Yorgos Lanthimos pose avec le Lion d'or du meilleur film qu'il a reçu pour "Pauvres créatures" lors d'une séance photo pour les gagnants au 80e Festival du Film de Venise (Mostra) le 9 septembre 2023 au Lido de Venise (GABRIEL BOUYS / AFP)

Avec Pauvres créatures, le cinéaste grec Yorgos Lanthimos (The Lobster, La Favorite), habitué des festivals, arrive enfin à la consécration à la Mostra de Venise. Le film a remporté le Lion d'or samedi 9 septembre à Venise. Il s'agit d'une sorte de Frankenstein au féminin, fantastique et baroque, en grande partie en noir et blanc. Parfois cru, Pauvres créatures est tout à la fois un divertissement et un message sur la façon dont les normes pèsent sur les femmes.

La star américaine Emma Stone, qui produit aussi le film, y incarne une créature candide qui fait son éducation sentimentale et sexuelle. Elle n'a pas pu faire le déplacement à la Mostra en raison de la grève qui paralyse Hollywood. Le film doit son succès à son personnage principal, Bella Baxter, "une créature incroyable, n'existeraient pas sans Emma Stone, une autre créature incroyable", a déclaré Yorgos Lanthimos en recevant son prix.

Crise migratoire 

Dans une Italie dirigée par l'extrême droite, le jury présidé par Damien Chazelle (La-la-land, First Man) a également envoyé un message politique en décernant plusieurs prix à des films dénonçant le sort réservé aux migrants par l'Europe.

Grande voix du cinéma polonais, Agnieszka Holland a reçu le prix spécial du jury pour Green Border, qui montre le sort tragique de migrants originaires de Syrie, d'Afghanistan et d'Afrique, ballottés entre la Pologne et le Bélarus en 2021, prisonniers d'un jeu diplomatique qui les dépasse. "Nous dédions ce prix aux activistes" qui aident les migrants "de la Pologne à Lampedusa", la petite île italienne où arrivent au péril de leur vie de nombreux migrants venus d'Afrique, a dit la réalisatrice de 74 ans en recevant son prix.   

Son film montre des garde-frontières, des humanitaires et des migrants pris dans un jeu diplomatique qui les dépasse entre le Bélarus et l'Union européenne. "Depuis 2014, quand la crise des réfugiés a commencé, environ 66.000 sont morts en essayant de venir en Europe", a déploré la cinéaste nommée plusieurs fois aux Oscars. "Et alors que nous sommes assis ici, la situation décrite dans mon film continue, les gens se cachent encore dans la forêt, privés de leur dignité, de leurs droits humains et de sécurité, et certains d'entre eux mourront ici en Europe, pas parce que nous n'avons pas les ressources pour les aider, mais parce que ne nous ne voulons pas", a-t-elle fustigé, déclenchant les applaudissements du public.

Un jeune acteur sénégalais, Seydou Sarr, a reçu le prix du meilleur espoir pour son rôle de jeune migrant qui traverse au péril de sa vie l'Afrique et la Méditerranée pour rejoindre l'Italie, dans Moi, Capitaine de Matteo Garrone, film qui remporte aussi le Lion d'argent de la meilleure réalisation. Matteo Garrone, réalisateur de Gomorra, a affirmé sur scène avoir "cherché à donner la parole à ceux qui ont vraiment vécu ce voyage".

La grève en toile de fond

Côté interprètes, la Mostra a distingué deux Américains : Cailee Spaeny, 25 ans, pour son premier grand rôle, celui de l'épouse du "King", Priscilla Presley, dans le biopic Priscilla de Sofia Coppola, et Peter Sarsgaard, qui donne la réplique à Jessica Chastain, en homme souffrant de démence, dans Memory de Michel Franco.

L'actrice américaine Cailee Spaeny pose avec la Coppa Volpi de la meilleure actrice qu'elle a reçue pour son rôle dans "Priscilla" lors d'une séance photo au 80e Festival du film de Venise le 9 septembre 2023. (TIZIANA FABI / AFP)

Contrairement à de nombreuses stars jouant dans des films de grands studios, et qui n'ont pas pu faire le déplacement à Venise en pleine grève, les deux lauréats sont montés sur scène pour recevoir leur trophée. Peter Sarsgaard en a profité pour dire son soutien à la grève et lancer une diatribe contre l'intelligence artificielle, dont scénaristes et acteurs demandent l'encadrement. "Si on perd cette bataille, notre industrie ne sera que la première de nombreuses autres à tomber", a-t-il prophétisé. La médecine ou la conduite de la guerre pourraient à leur tour être confiées à l'intelligence artificielle, ce qui "ouvre la voie à des atrocités".

L'acteur Peter Sarsgaard pose avec la Coppa Volpi du meilleur acteur qu'il a reçue pour son rôle dans le film "Memory" lors d'un photocall au 80e Festival du Film de Venise le 9 septembre 2023. (GABRIEL BOUYS / AFP)

La Mostra a été le premier festival international frappé de plein fouet par le bras de fer historique avec les studios, même si quelques stars comme Adam Driver, Mads Mikkelsen ou Jessica Chastain sont venues, prenant soin d'apporter chacun leur soutien aux grévistes. Les revendications syndicales n'ont pas été les seules à tenter de se faire entendre à Venise.

Artistes visés par #MeToo

Les mouvements féministes ont également cherché à donner de la voix, notamment via des collages dans la ville pour dénoncer les honneurs accordés par le plus ancien festival du monde à des artistes visés par le mouvement #MeToo, qui dénonce les violences sexistes et sexuelles envers les femmes.

Luc Besson, contre lequel des accusations de viol ont été portées avant d'être définitivement écartées par la justice française cette année, était en compétition avec Dogman. Woody Allen, mis au ban de l'industrie américaine du cinéma et qui n'est pas poursuivi par la justice, a présenté son 50e film Coup de Chance, le premier tourné en français, hors compétition.

Roman Polanski, qui fuit depuis plus de 40 ans la justice américaine après une condamnation pour des relations sexuelles avec une mineure, ne s'est pas déplacé à Venise, où son dernier film The Palace, lui aussi hors compétition, a reçu un accueil glacial.

Le directeur de la Mostra, Alberto Barbera, a justifié l'invitation de ces trois cinéastes en appelant à distinguer l'homme de l'artiste.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.