Mort de Paul Carpita, cinéaste résistant
« Je ne suis pas un cinéaste, je suis un fils d’un docker et d’une poissonnière. Un instituteur passionné de cinéma, c’est tout ». A l’image de son œuvre, l’homme est modeste. Né en 1922, Séraphin Carpita adopte le prénom “Paul” en 1943, lorsqu’il s’engage dans la Résistance. Enrôlé au Parti communiste dès la fin de la guerre, il crée avec des proches une société de cinéma grâce à laquelle il tourne ses premiers courts-métrages, portraits de petites gens habitant une Marseille encore marquée par l’Occupation.
De l’autre côté de la Méditerranée, la guerre d’Indochine fait ses premières victimes. Carpita, toujours instituteur, décide de filmer en 35mm les premières manifestations qui secouent les quais de Marseille, où les dockers refusent d’empiler les cercueils des soldats « comme de vulgaires caisses à oranges ». Carpita ne le sait pas encore, mais son « Rendez-vous des quais » va connaître un destin hors du commun.
Rendez-vous sur les quais
par ilestre
Entre documentaire et fiction, ce film résistant n’a malheureusement pas le temps de marquer son époque. Dès sa deuxième diffusion dans un cinéma de Marseille en 1955, les CRS envahissent la salle et saisissent les bobines. Le pouvoir lui reproche de vouloir « planter un coup de poignard dans le dos des soldats ». Et pour cause, la guerre d’Algérie vient d’éclater. L’heure n’est pas à la critique ; le film sera interdit pendant plus de trois décennies.
« Cette odieuse saisie de mon film, perpétrée dans l'indifférence générale des gens de cinéma, va ouvrir, en moi, une plaie profonde qui va être longue à se cicatriser », a-t-il récemment témoigné. Alors, celui qu’on surnommait tout petit « le péiou » (« petit poisson » en provençal) redevient muet. A intervalle régulier, il réalise quelques moyen-métrages, dont un des plus célèbres reste « Des lapins dans la tête », un conte réaliste dans lequel l’instituteur filme les enfants de sa classe.
Et puis, c’est la renaissance. A la fin des années 80, une bobine du « Rendez-vous sur les quais » est retrouvée dans les archives du film de Bois d’Arcy. Les Cahiers du cinéma y voient « le chaînon manquant du cinéma français » entre les films « Toni » de Jean Renoir et « A bout de souffle », de Jean-Luc Godard. D’autres critiques voient en lui un réalisateur néo-réaliste, précurseur de la Nouvelle Vague. Carpita présente son œuvre dans le monde entier et reprend goût à la bobine.
Un deuxième film à 67 ans
Grisé par ce succès, l’enseignant à la retraite décide de reprendre un scénario écrit dans la foulée du « Rendez-vous ». “ Ce n'est que lorsqu'on a redécouvert ce film et que je suis allé partout que, encouragé, je me suis senti la force de me mettre au tournage de mon second film.”
« Les sables mouvants », sorti en 1995, raconte la vie de travailleurs immigrés exploités dans les champs de Camargue dans les années cinquante.
Son troisième et dernier long-métrage, achevé en 2002, s’intitule « Marche ou rêve ! Les homards de l’utopie ». Son slogan « Lutte, soleil, amis, travail » démontre une légèreté nouvelle dans une œuvre traversée par des thèmes difficiles.
« Ce n'est pas moi qui suis frondeur, ce sont mes personnages »
Difficile de mettre des mots sur cette « carrière » cinématographique, un mot que Carpita tient à laisser entre guillemets. Dans un livre d’entretien paru en avril 2009, le réalisateur Pascal Tessaud met en perspective cette filmographie courte mais dense.
Petit clin d’œil, c’est Ken Loach, un autre cinéaste « rouge », qui écrit la préface. « Depuis l’interdiction de son œuvre, Paul Carpita a mené une vie modeste. Preuve ultime, si nécessaire, de son intégrité. Il est temps que nous le reconnaissions enfin comme un héros ».
Paul Carpita préparait un nouveau film, provisoirement intitulé « Le dessin ». Une dernière utopie pour ce réalisateur qui a vécu toute sa vie une craie d’instituteur à la main.
Ariane Nicolas avec agences
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