"Le rire doit toujours passer par quelque chose de très dur" : François Damiens, grave dans "Sous le vent des Marquises", prépare un film "trash"

Dans un entretien avec franceinfo Culture, le comédien belge confie comment et pourquoi son dernier rôle dans "Sous le vent les Marquises" l'a tant ému. Il revient sur sa longue et singulière carrière, évoque ses rêves de comédien, et dévoile quelques bribes de son projet de film qu'il prépare en tant que réalisateur.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Le comédien belge François Damiens, à Paris, pour la promotion du film "Sous le vent des Marquises" de Pierre Godeau, sortie le 31 janvier 2024. (LAURENCE HOUOT / FRANCEINFO CULTURE)

Connu pour ses caméras cachées de François L'embrouille, ses rôles de comique féroce ou de personnages attachants, François Damiens interprète cette fois le rôle d'un acteur ayant pour mission d'incarner Jacques Brel dans un biopic. Fragilisé par le doute et par la maladie, le comédien lâche le tournage et part retrouver sa fille, installée sur une île bretonne.

François Damiens, à Paris pour deux jours pour la promotion du film Sous le vent des Marquises de Pierre Godeau, enchaîne les interviews. "Comment on s'installe ?", demande l'acteur après avoir proposé un verre d'eau. En un tour de main, il rend l'espace moins formel, installe la proximité en délaissant le canapé un peu raide collé au fond de la pièce, pour un petit tabouret en céramique sur lequel il s'assied en repliant comme il peut ses grandes jambes.

Franceinfo Culture : Qu'est-ce qui vous a séduit dans le scénario de ce film ?
François Damiens : Quand j'ai lu le scénario, j'ai tout de suite beaucoup apprécié. Ça parle de sujets qui m'interpellent, comme la liberté, l'amour, la relation avec les enfants, le fait d'être à sa place ou pas. Et puis ça parle aussi du fait de donner trop d'importance, à certains moments de sa vie, à sa carrière, et de passer à côté de choses essentielles parce qu'on est happé par la vie. Et ça parle aussi de la maladie, du déni, et de la volonté de se reconnecter avec des êtres avec lesquels on n'a pas été très présent... Je trouvais ça très juste en fait, sur un sujet assez fort, sans être traité avec de la lourdeur. Je trouvais ça "légèrement" raconté.

Vous n'avez pas été frustré de ne pas être le vrai Brel dans un vrai biopic ?
Quand le réalisateur m'a parlé du film la première fois, j'ai commencé par avoir très peur. Jacques Brel, je l'adore. C'est un monsieur que j'ai connu quand j'étais tout jeune, quand j'étais enfant. Je connais tous ses disques évidemment. Je l'ai découvert à travers les émissions de télé, à travers ses interviews, ses films et puis ses chansons surtout. Donc, j'ai eu très peur dans un premier temps, je me suis dit, non, non, je ne touche pas à ça. J'ai directement imaginé les journalistes qui allaient me dire : alors, on se permet de toucher à Jacques Brel ? Et puis, il était hors de question pour moi de chanter.

"D'abord, je ne suis pas chanteur, et puis en plus, je ne sais pas chanter. Et deuxièmement, je n'ai pas le physique de Jacques Brel."

François Damiens

à franceinfo Culture

J'ai dit au réalisateur, je veux bien faire un effort de poids pour essayer de lui ressembler un peu plus, mais ça va s'arrêter très vite. Et puis quand Pierre [Pierre Godeau, le réalisateur] m'a expliqué que c'était un film autour de Jacques Brel, qu'il ne s'agissait pas de jouer Brel mais de jouer un acteur qui joue Brel, et que l'idée c'était une mise en abyme entre le personnage que j'incarnais et la fin de la vie de Brel, là, ça m'a rassuré. Heureusement, je ne joue jamais qu'un acteur qui doit jouer Jacques Brel. Quand j'ai compris ça, je me suis senti libéré.

Vous jouez un rôle d'acteur, est-ce que vous vous sentez proche du personnage d'Alain ?
Il a ce besoin de se sentir aimé. Il est reconnu dans la rue et je pense que quand il est avec sa fille, qu'il n'a pas vue pendant des années, il y a une certaine fierté. C'est une forme de reconnaissance, mais cette reconnaissance peut devenir pesante quand on a décidé de quitter le navire entre guillemets. Ça peut devenir encombrant, parasitant, d'être reconnu alors que l'on n'exerce plus le métier. Donc c'est vrai qu'il y avait des similitudes, mais ce n'est pas tellement dans la notoriété du personnage que je me suis reconnu.

En quoi vous êtes-vous reconnu ?
C'est plutôt dans sa relation avec sa fille. Le fait de ne pas avoir été présent à un certain moment de la vie où on devrait être là. Je pense qu'il y a toujours un moment où on doit être à sa place. Quand on n'y est pas, on crée du dégât, et parfois, ça devient irréversible. C'est plutôt ça qui m'a touché dans le personnage d'Alain. Alain a été absent et il veut reconnecter avec son ex-femme, avec sa fille, et quand il arrive sur l'île avec son bouquet de fleurs, sa femme s'est remise avec un homme, et vachement sympa qui plus est. Et sa fille a un petit copain.

"Déjà, moi, quand je pars pendant deux mois en tournage et que je reviens, j'ai l'impression que l'on s'est très bien débrouillé sans moi."

François Damiens

à franceinfo Culture

Alain, lui, il a été absent pendant des années. Quand il revient, on lui fait payer évidemment, et c'est bien normal. Tout cela est exacerbé par une certaine pudeur de la part du père et de sa fille. Donc ça prend du temps. Et c'est ça qui rend le film touchant aussi. Ce temps. Il faut pouvoir éprouver les choses. Quand il faut combler un trou, ça prend du temps. Comme quand on a une dispute violente avec quelqu'un, on ne décide pas juste de faire la paix et puis c'est réglé. Il faut laisser le temps, et l'eau couler, pour que cela puisse se reconstruire.

Alain, c'est aussi un personnage libre ?
Oui, je me sens assez proche de ce sentiment de liberté. J'ai toujours tout fait dans ma vie pour me sentir le plus libre possible, et avoir les contraintes que je m'inflige moi-même et pas celles qui viennent de l'extérieur. Il y a donc cette liberté, ce besoin d'amour et aussi ce déni dans lequel le personnage est plongé par rapport à la maladie, le fait de ne pas vouloir voir. Dans la vie, j'essaie toujours d'être le plus honnête possible par rapport à moi, mais ce n'est pas toujours facile parce que parfois, il y a des choses qu'on n'a pas trop envie de voir, ni de se les entendre dire.

C'est un rôle qui vous a remué ?
Oui. Je m'en suis rendu compte déjà pendant le tournage, j'avais souvent un peu la gorge nouée avant certaines scènes. Quand il retrouve sa fille qui ne lui pardonne pas son absence, ce père un peu pataud qui... Mais je ne veux rien dévoiler. Et puis quand ça a été fini, il m'a fallu quelques jours quand même pour en sortir, ce qui ne m'arrive pas fréquemment...

Vous avez commencé votre carrière en faisant le clown, avec les caméras cachées de "François L'embrouille", puis des rôles plutôt dans des comédies. Aujourd'hui, on vous voit de plus en plus dans des rôles "sérieux". Ça ne vous manque pas les rôles comiques ?
J'en fais et j'en ferai encore. Je ne vais pas là où le vent me porte, mais je suis ouvert à toutes les propositions. Je ne me dis pas, tiens, je vais faire une comédie sur trois. Je ne calcule pas. Ce qui m'intéresse, c'est surtout l'humain en fait, et évidemment les sujets qui vont avec l'humain.

"Je ne cherche pas à faire le clown. Je n’aime pas l'idée de faire rire pour faire rire, ça ne m'intéresse pas et ça ne me fait pas rire non plus."

François Damiens

à franceinfo Culture

Le rire doit toujours passer par quelque chose de très dur, de très violent. Il faut toujours avoir un sujet très lourd, je trouve, derrière le rire. Quand il y a un sujet très fort, et que le rire devient la seule manière de s'en sortir, alors là, ça devient intéressant.

Est-ce que vous avez des projets de réalisation ?
Oui, je suis sur un projet de film avec un ami. On est en financement, pour ne rien vous cacher, et donc j'espère qu'il va se faire !

C'est un film qui parle de quoi ?
C'est un film qui parle justement d'un type qui se casse la gueule.

Dans quel registre ?
Le but est de le rendre marrant, mais une fois encore, à partir d'un sujet lourd. Voilà, on assiste à la dégringolade d'un type qui était tout en haut, et qui chute, avec tout ce qui s'ensuit. Il y a aussi le déni. Ça me parle fort les gens qui ne veulent pas voir la réalité en face. Et de voir que plus la réalité est évidente, plus ils la fuient, parce qu'elle est trop douloureuse, et donc c'est la recherche d'excuses perpétuelle.

C'est l'histoire d'une déchéance sociale ?
C'est un film qui parle d'un acteur qui est en train de dégringoler, mais il pourrait faire n'importe quel métier. Pour moi, le film va plus loin que ça, il parle de tous les milieux. Si vous êtes un architecte à la mode, un cuistot, n'importe quelle profession, ça peut arriver. C'est ce sentiment d'une espèce de chute sociale. Les choses ont marché, on ne comprend pas comment c'est arrivé, et après, on ne comprend pas pourquoi ça part. Et ça s'accélère en général, quand le doute arrive. C'est un peu comme l'eau du bain qui va de plus en plus vite à la fin. Au début, on ne le sent pas. Comme je dis souvent, on ne vous appelle pas pour vous dire qu'on ne vous appellera plus...

C'est une chose à laquelle vous pensez, que vous craignez pour vous-même ?
À certains moments de ma vie, oui, j'y pense. Je ne suis pas dans cette phase-là pour le moment, sinon je n'aurais pas pu écrire ce film, ce serait trop douloureux. Mais oui, j'y pense. C'est une discussion que j'ai déjà eue par exemple avec Benoit Poelvoorde. Lui, il me dit, mais non t'inquiète, c'est bon là, on a passé 50 ans, ça ne va pas s'arrêter du jour au lendemain, on a une inertie derrière nous.

"Il peut toujours y avoir le pas de travers, la déclaration débile ou n'importe quoi, le rôle malaisant ou tout simplement un effet de mode, ou le fait d'avoir trop souvent fait le même travail dans le même registre, et qu’à un moment les gens se disent qu'ils ont fait le tour..."

François Damiens

à franceinfo Culture

Un peu comme quand vous êtes dans un bon restaurant, ils vous font des portions trop importantes et quand vous ressortez, vous n'avez pas su terminer l'assiette, et vous vous dites, je n'y retournerai plus, là c'est bon, les spaghettis carbonara, j'en ai soupé ! Donc il faut toujours essayer de créer le désir, la demande, et essayer de ne pas en faire de trop ("de trop", c'est un belgicisme non ?).

Quand vous imaginez cette fin éventuelle, ce scénario catastrophe, est-ce que comme le personnage d'Alain, vous, vous vous imaginez faire d'autres choses ?
Honnêtement je ne vois pas quel métier je ferais d'autre. Je suis un peu un inadapté social, je ne maîtrise pas du tout les nouvelles technologies. On disait ça à l'époque mais ça n'a plus rien de nouveau. Je dis aussi "les jeux électroniques" alors que maintenant, quand je dis ça aux enfants, ils me disent "des jeux électroniques ?" et ils rigolent. Non, mais donc, je ne saurais pas trop quoi faire. Et c'est pour ça que j'essaie de pas trop me gourer dans ce que je fais (même si ça m'arrive), parce que si je ne fais plus ce boulot, je ne vois pas très bien ce que je ferais d'autre. Je pense que si un jour j'arrête, ça sera pour voyager.

Est-ce que vous avez encore des rêves comme acteur ?
Ah oui. Ce que j'aime bien, c'est créer de l'humanité dans des personnages qui, a priori, n'en ont pas. Des pervers narcissiques, des personnages abjects, des... appelons-les des gros dégueulasses, point. Essayer de leur trouver de l'humanité. Les imaginer bébés, dans une petite turbulette... La vie ne les a pas rendus meilleurs, mais dans le fond, si on creuse, il y a quand même quelque chose à récupérer. Voilà.

"Ce que je cherche, c’est ce truc qui fait qu’on a envie de prendre un tueur en série dans les bras à la fin du film. C'est cet enjeu-là qui m'intéresse."

François Damiens

à franceinfo Culture

Donc il faut vous proposer des rôles de serial killer ?
Oui, j'en ai déjà joué un dans Les Complices, un tueur en série qui ne supportait pas la vue du sang. C'est un tueur en série, il faut qu'il tue, mais il n'est pas si repoussant quand même, je crois.

Mais c'était dans un registre comique...
Oui, mais même dans un registre tragique, je trouve qu'il y a un enjeu intéressant à essayer d'aller chercher le fond d'humanité chez les gens. [Son téléphone bip. Il jette un œil, lit le message, sourit.] C'est un copain qui vient de lire mon scénario. Il me dit : c'est trash, enfin c'est toi. C'est vrai que c'est trash, en l'occurrence. Trash et grinçant, et c'est ça qui est bien.

On pourra le voir quand ce film ?
L'année prochaine j'espère, mais il faut que des gens y croient et nous suivent...

L'entretien s'achève. François Damiens déplie son mètre quatre-vingt-douze et se poste pour la photo, bras ballants, léger sourire et imperceptible timidité, avant de se plier, parce qu'on est fan, à l'exercice de la dédicace et du selfie, qu'il a maintes fois répétés dans la vie, et dans le très émouvant Sous le vent des Marquises, à voir à partir du 31 janvier au cinéma.

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