Le cinéma et la mer, une belle histoire d'amour célébrée par le Musée de la Marine dans l'exposition "Objectif mer, l'océan filmé"
Le musée national de la Marine, rouvert au public le 17 novembre dernier après plusieurs années de travaux, présente sa première exposition temporaire, consacrée au cinéma maritime du 13 décembre 2023 et le 5 mai 2024.
Des premières lanternes magiques, aux costumes des héros de Titanic, en passant par les dessins de Mélies, des dizaines d'affiches, ou encore la vraie tête en carton-pâte du requin des Dents de la mer… L'exposition "Objectif mer, l'océan filmé" conçue avec la Cinémathèque française, présente plus de 300 pièces pour inviter les visiteurs à plonger dans le cinéma maritime, un genre qui remonte aux origines du 7e art.
"La mer est peut-être la première source d'inspiration du cinéma", note Vincent Bouat-Ferlier, conservateur général du patrimoine, et commissaire de l'exposition. "C'était compliqué à traiter de manière exhaustive tant la mer occupe une place importante dans l'histoire du cinéma", ajoute Laurent Mannoni, co-commissaire et directeur scientifique du patrimoine de la Cinémathèque française.
"Elle a inspiré le cinéma dès ses premières heures, avant même son invention officielle", poursuit Vincent Bouat-Ferlier dans la première salle consacrée à "l'archéologie du cinéma". On y découvre ici comment la mer a d'abord inspiré les peintres, comme Courbet, dont on peut voir le tableau La vague, prêté par le Musée d'Orsay. À la suite des peintres, les photographes expérimentent de nouvelles techniques pour en fixer le mouvement. Etienne-Jules Marey invente la chronophotographie et réussit à capter sur film la mer et ses mouvements, ou encore l'ondulation des nageoires de la raie.
Lanterne magique, zootrope, chronophotographie...
"Le cinéma a été aussi dès le 17e siècle un sujet de prédilection pour les spectacles des lanternes magiques ou les jouets d'optique", précise Vincent Bouat-Ferlier. "À l’époque, la mer représente un rêve inaccessible pour la plupart des gens. Rares sont ceux qui ont déjà vu la mer, à part les insulaires, ou les habitants du littoral", raconte Vincent Bouat-Ferlier.
Ces spectacles permettaient ainsi au plus grand nombre de découvrir la mer. Dans ce premier espace de l'exposition, plongé dans la pénombre, on peut admirer des bandes pour zootropes, représentant le mouvement d'une baleine ou encore les laques pour lanternes magiques, et de nombreux objets et dispositifs qui permettaient d'animer des images.
Articulée autour de temps forts, on s'arrête ensuite sur le travail des frères Lumières, eux aussi inspirés par les océans. L'exposition s'attache à montrer les liens entre l'évolution du cinéma et les progrès techniques et comment le cinéma devient très vite un outil pour l'exploration et l'étude des océans.
"La photosphère des Frères Williamson qui a permis de filmer sous l'eau pour la première fois en 1916" explique Laurent Mannoni, co-commissaire et directeur scientifique du patrimoine de la Cinémathèque française. Autre "figure incontournable" poursuit Vincent Bouat-Ferlier, c'est Cousteau, qui expérimente dès les années 40 "la plongée avec son scaphandre autonome".
"Il y a aussi la dimension ethnologique" explique Laurent Mannoni. "Les cinéastes comme Eptsein s'intéressent aux populations insulaires et aux populations du littoral, tout cela mêlé de légendes oniriques dans des œuvres empreintes d'une grande poésie", souligne Laurent Mannoni.
Pirates et névrosés, tempêtes et naufrages
Les affiches de cinéma exposées en grand nombre, démontrent également l'omniprésence de la mer dans le 7e art. Un sujet, il faut le noter, le plus souvent traité dans un registre sombre, négatif. "L'océan presque toujours montré comme un lieu menaçant, avec des tempêtes, des pirates et des névrosés à bord des navires, des naufrages… Je vous défie de trouver des films positifs sur la mer !" s'amuse Laurent Mannoni.
"Ces affiches résument tous les motifs, et sont même presque comme une vitrine sur les tous les poncifs liés à la mer. On y retrouve les pirates, les ports malfamés, des femmes souvent cantonnées à des rôles de prostituées…" commente Laurent Mannoni. Élément d'une grande puissance dramaturgique, "l'océan permet de mettre en scène dans un cadre infini des microsociétés, et ce huis clos devient souvent une prison flottante", affirme Vincent Bouat-Ferlier.
Cette dramaturgie, on la retrouve dans le cinéma contemporain, avec Titanic ou Les dents de la mer. "On a très peu d'archives du naufrage du Titanic", explique Laurent Mannoni. "De nombreux photographes et opérateurs étaient à bord pour documenter cette traversée, mais tout a disparu dans le naufrage", continue le commissaire. "Cela explique sans doute pourquoi de nombreux cinéastes ont vite cherché à reconstituer le drame, avec en apothéose le film de James Cameron". La caméra Arriflex utilisée pour les prises de vues sous-marine du film et les costumes des deux héros sont exceptionnellement visibles dans l'exposition.
Autre curiosité, le vrai faux requin en carton-pâte du film Les dents de la mer, prêté par le musée du cinéma de Turin. Plusieurs éléments des décors et costumes de La vie aquatique de Wes Anderson sont également exposés. "Ce film est intéressant dans le sens où il montre à travers une parodie des films de Cousteau comment le cinéma est aussi capable de s'interroger sur sa propre histoire", assure Laurent Mannoni.
Film de pirates, films de sous-marin, documentaires… La diversité des thématiques marines a donné naissance à de nombreux sous-genres du film maritime. On découvre ainsi la première caméra dite Louma, qui fut mise au point pour filmer dans un sous-marin, et qui depuis a trouvé bien d'autres usages.
"Préserver un univers qui se dégrade vitesse grand V"
La mer est aussi un élément d'inspiration majeur de l'univers fantasmagorique de Méliès, dont les magnifiques dessins, mais aussi des photos de son atelier à Montreuil et des extraits de films sont présentés en fin de parcours.
L'exposition s'achève avec un hommage à Jacques Perrin, grand amoureux de l'océan, qui a lui aussi mis en œuvre des innovations techniques pour explorer et magnifier la mer.
En levant le nez dans cette dernière salle, on peut ainsi découvrir la fameuse torpille hydrodynamique que les techniciens ont mis plusieurs années à mettre au point pour son film Océans, pour filmer les animaux marins au plus près.
"Les poissons ont été effrayés par la torpille. "Ils ont essayé de coller des autocollants argentés imitant les poissons, mais ça n'a pas marché", s'amuse Laurent Mannoni. "Ils ont fini par accrocher de vrais poissons à l'engin, et ils ont ainsi pu effectuer quelques prises de vues, mais tout ce travail n'a finalement servi que pour quelques minutes du film !" raconte Laurent Mannoni.
"Finir avec Jacques Perrin, c'est une manière d'affirmer la nécessité de préserver un univers qui se dégrade à vitesse grand V, alors même que l'on ne le connaît toujours pas", conclut Vincent Bouat-Ferlier.
Exposition "Objectif mer : l'océan filmé", au Musée de la Marine du 13 décembre 2023 au 5 mai 2024
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