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Lalo Schifrin, invité d'honneur à la Cinémathèque
Lalo Schifrin est l'un des plus grands maîtres de la musique de film, signataire de quelque 110 compositions pour l’écran, dont le thème culte de "Mission impossible". La Cinémathèque française lui rend hommage depuis le 9 et jusqu'au 14 novembre en sa présence, alors que le compositeur a été fait ce jeudi 10 novembre Commandeur des Arts et des Lettres par la ministre de la Culture Audrey Azoulay.
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Un Argentin à Paris
Compositeur, pianiste, directeur d’orchestre, arrangeur, Lalo Schifrin naît en 1932 à Buenos Aires. De son vrai nom Boris Claudio Schifrin, il est le fils d’un violoniste professionnel, chef de l’Orchestre philarmonique de la capitale argentine, ce qui l’oriente naturellement vers des études musicales. Il se consacre au piano qui deviendra son instrument de prédilection. Son professeur de musique n’est autre qu’Enrique Barenboim, père du futur virtuose Daniel Barenboim, c’est dire s’il est à bonne école.Lalo Schifrin et la France, c’est une longue histoire. Il vient à Paris au début des années 50 pour étudier au Conservatoire national de Musique et de Dance, auprès d’Olivier Messiaen et Charles Koechlin. De formation Classique, il enchaîne rapidement sur une carrière professionnelle dans la capitale, comme pianiste de jazz, genre auquel il se consacrera toute sa vie et qui imprègnera fortement ses compositions pour le cinéma, mais aussi classiques et plus légères. Il enregistre alors ses premiers disques, aux couleurs latines, pour Vogue et Eddy Barclay. Schifrin gardera de ce séjour en France une bonne maîtrise de la langue de Molière.
De retour à Buenos Aires, au milieu des années 50, il créé son propre big band de jazz, et travaillera avec son compatriote saxophoniste Gato Barbieri, voué à une immense carrière. Repéré lors d’une de ses performances par le trompettiste Dizzy Gillespie, celui-ci le convainc de venir aux Etats-Unis en 1958 pour devenir le pianiste de son quintette. Il écrira même des morceaux pour ce pionnier du be-bop et en arrangera d’autres pour le big band de Dizzy. La reconnaissance est au rendez-vous quand le label Verve lui offre le poste d’arrangeur. Il participe alors aux enregistrements de Stan Getz, Count Basie, Sarah Vaughan, Jimmy Smith…
Le mariage du Jazz et du Classique
Désormais installé à Los Angeles, Lalo Schifrin est contacté par la Metro Goldwin Mayer (MGM), qui détient Verve, pour composer des musiques de films. Il a déjà une bande originale à son actif : "Le Chef " (1958) du Brésilien Fernando Alaya, sur un gang de jeunes en quête d’un leader. La couleur du film colle parfaitement à la patte en devenir du compositeur, liant exotisme, jazz et symphonique.Il ne se destine alors aucunement au cinéma, mais à la composition pour orchestre, jouant des rythmes latino teintés de jazz et de classique. Marier le jazz au classique restera sa vocation première, dont il fera preuve dans ses musiques pour l’écran, mais aussi hors du cursus, avec plus de soixante compositions dont "Invocation", "Concerto pour double basse", "Concerto pour piano 1 et 2", "Pulsation", "Tropicos", "La Nouvelle Orléans", "Resonnance", ou "Sade". La consécration de ce mariage aboutira à la série de sept albums de 1994 aux années 2000, "Jazz Meets the Symphony".
La première bande originale de Schifrin pour la Metro est curieusement "Les Félins" (1964) de Réné Clément, avec Alain Delon et Jane Fonda, que la MGM coproduit. C'est le réalisateur français qui a insisté auprès de la major pour avoir le compositeur qu'il avait eu l'occasion d'écouter dans un club. Schifrin compose alors une partition magnfique, pleine des qualités éclectiques qui feront la caractéristique première de son oeuvre.
Film de gangsters, il est le premier d’une longue liste de polars et de thrillers qu’il signera, du "Liquidateur" (1965, Jack Cardiff), à la franchise "Rush Hour" initiée par Brett Ratner en 1996, en passant par "L’Inspecteur Harry" (1971, Don Siegel) et ses nombreuses séquelles.
Eclectisme
La propension de Lalo Schifrin à mélanger les genres le dirige spontanément vers la musique de film. Sa dextérité dans les arrangements le pousse également sur cette voie et à inclure dans l’orchestre symphonique, percussions, guitares (électriques et acoustiques), harmonica, orgue, clavecin… Il est de la classe des John Barry et Jerry Goldsmith et forme avec eux le peloton de tête des compositeurs des années 60-70 aux côtés d’Ennio Morricone, ou Henri Mancini installé depuis les années 50, mais aussi Maurice Jarre.Sa première musique majeure pour l’écran demeure "Le Kid de Cincinnati" (1965) de Norman Jewison, avec Steve McQueen, Edward G. Robinson, Karl Malden et Ann-Margret : la classe, avec en bonus la voix de Ray Charles sur la chanson du générique. Incontournable.
Dès lors, Schifrin ne quitte plus les studios, enchaînant BO sur BO, explorant tous les genres : la comédie ("Tiens bon la rampe Jerry"), le film de prison ("Luke la main froide"), le drame ("The Fox"), le film de guerre ("Duel dans le Pacifique"), le western ("Les Proies"), le fantastique ("Amityville Horror"), la science-fiction ("THX 1138), le film catastrophe ("Le Toboggan de la mort"), jusqu’aux films d’arts martiaux ("Opération Dragon")…
Parallèlement au cinéma, la télévision le sollicite beaucoup. Il signe pour elle parmi les thèmes les plus célèbres du petit écran, dont sa partition la plus connue, "Mission impossible" (1966). Mais cela serait sans compter sur "Des agents très spéciaux" (1964), "La Grande vallée" (1964), "Mannix" (1967), "La Planète des singes" (1974) ou "Starsky et Hutch" (1975). En France, la maison de lingerie Dim illustrera ses spots télévisés de la musique écrite pour "The Fox" (1968, Mark Rydell) réorchestrée par Hugo Montenegro. Alors que le thème original est des plus mélancoliques, le nouvel arrangeur le transforme en un tube hyper rythmé, pop et jazzy, aux voix féminines ou masculines entêtantes.
Morceaux choisis
A la lecture des titres précités, on relèvera combien la musique de Lalo Schifrin est omniprésente dans les esprits, constituant un incontournable de la culture pop des années 60-70.Si "Mission impossible" et "Mannix" constituent les hymnes "schifriniens", "Bullitt" (1968, Peter Yates) détient sans doute la quintessence de son style, par ses cordes tendues, ses cuivres claironnants et flûtes veloutées, son rythme jazzy, son usage des percussions et son thème à la guitare électrique.
"L’Inspecteur Harry" (1971, Don Siegel) persiste, dans un style plus sombre, à l’image du film considéré comme des plus violents à sa sortie en 1971. Les cuivres et percussions dominent en puissance, avec un thème à peine esquissé, donnant une impression déstructurée, dissonante à l’image des émotions du film.
"Opération Dragon" (1973, Robert Clouse) demeure une des partitions les plus connues et populaires de Schifrin, gravant dans le marbre le dernier film tourné avec Bruce Lee. Pour son seul film américain, Lee a imposé le compositeur car il avait l'habitude de s'entraîner sur la musique de "Mission : impossible". Le musicien ne résiste pas à faire appel à sa palette exotique par l’usage de sonorités extrême-asiatiques, et en incluant les cris qui ponctuent le Kung-Fu combatif du maître.
"Rush Hour" (1998, Brett Ratner) reprend une thématique asiatique évoquant le personnage tenu par Jackie Chan, dans une ambiance joyeuse de comédie, mélangée à des sonorités plus proches du thriller dans des cuivres qui renvoient à "Bullitt" ou "Dirty Harry", le film étant une comédie policière.
Plusieurs réalisateurs resteront fidèles à Lalo Schifrin. Ainsi Stuart Rosenberg pour lequel il signe "Luke la main froide" en 1967, le reconvoque en 1970 ("WUSA"), 1976 ("Le Voyage des damnés"), 1979 ("Amityville Horror", "Avec les compliments de Charlie"), 1980 ("Brubaker"). Don Siegel fait une première fois appel à lui en 1968 pour "Un shérif à New York", puis en 1970 dans "Les Proies", 1971 ("Dirty Harry"), Schifrin signant 4 des 5 films de la franchise, 1973 ("Tuez Charlie Warwick"), 1977 ("Un espion de trop"). Brett Ratner lui restera fidèle sur la franchise "Rush Hour". Robert Clouse le convoque souvent et Richard Lester le garde dans son giron pour sa trilogie des "Mousquetaires" (1973, 1974, accompagné pour le dernier opus la même année par Michel Legrand)…
Lalo Schifrin s'alliera à une foule d’autres metteurs en scène dans des genres les plus divers, dont John Boorman, Ralph Nelson, Richard Fleisher, John Sturges, Jack Lee Thomson, Sam Peckinpah, Liliana Cavani ou Roger Vadim… . Demeure la persistance d’une patte reconnaissable entre toutes, marque de ce qui consacre un créateur, un artiste : le style.
To Be Continued...
Accompagnant la venue à Paris de Lalo Schifrin, qui est également au Festival de cinéma et de musique de film de La Baule (9-13 novembre), un magnifique coffret de cinq CD, assorti d’une sortie vinyle, est disponible dans les bacs.Publié par Universal dans la collection "Ecoutez le cinéma" de Stéphane Lerouge,"The Sound of Lalo Schifrin" se compose de deux premiers CD consacrés à "Mission impossible" et "Mannix", avec l’intégrale du "Kid de Cincinnati". Un troisième rassemble des compositions moins connues mais tout aussi remarquables, tels que "Once a Thief" ("Les Tueurs de San Francisco", 1965) et l’album "There’s a Whole Lalo Schifrin Goin’on" (1968) où se retrouve toute la maestria jazzy et cool du compositeur argentin. Le quatrième opus est consacré à des compositions instrumentales que l’on pourrait qualifiées de "conceptuelles", "Sade" et "Rock Requiem". Pratiquement introuvables, elles constituent une autre facette du maître.
Le cinquième CD rassemble enfin l’intégrale du concert exceptionnel donné par Lalo Schifrin au Grand Rex, à Paris, dans le cadre du Festival Jules Verne en 2007. Sorti confidentiellement à l’époque, bénéficiant d’un enregistrement de très haute tenue, c’est le must absolu où tous les standards du compositeur sont repris en live, dans des interprétations remarquables et inédites : "Mission Impossible", "Mannix", "Bullitt", "Opération Dragon", "The Fox", "Les Félins", une rareté : "Airport 80 Concorde"… "Dirty Harry" constitue un moment exceptionnel, puisque ce n’est autre que le fils de Clint Eastwood qui prend la basse sur scène pour interpréter le thème du film. L’orchestre, la conduite par Lalo Schifrin qui prend aussi le piano plus d’une fois, participent d’un grand moment d’écoute et d’un souvenir exceptionnel pour ceux qui étaient dans la salle.
"The Sound of Lalo Schifrin", première anthologie consacrée au compositeur qui révolutionna la musique de film en y intégrant pleinement le jazz, témoigne de sa trace indélébile dans la musique du XXe siècle.
The Sound of Lalo Schifrin
5 CD + livret illustré de Sréphane Lerouge
Universal Music
25 Euros
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