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"La Clef Revival" ou la lutte pour sauver le dernier cinéma associatif de Paris

Depuis le 21 septembre, la salle "La Clef Revival" est occupée par une association de "squatteurs cinéphiles" pour empêcher sa fermeture. Depuis le 19 décembre dernier, suite à une décision de justice confirmant leur expulsion, ils sont déterminés à ne pas abandonner le combat.

Article rédigé par Jules Boudier
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
Le cinéma La Clef à Paris en novembre 2019. (UGO PADOVANI / HANS LUCAS)

Dans la salle, une tireuse à bière est alimentée dans un coin par des volontaires de l'association Home Cinema qui gère le cinéma La Clef. Avant la projection de Sacré Graal des Monthy Python, l'un d'entre eux, cape sur les épaules et passoire sur la tête, explique les règles de la projection de ce soir, placée sous le signe de la rigolade. "Quand un animal apparaît à l'écran, tout le monde doit imiter son cri" explique-t-il, "et à chaque fois qu'on entend le mot "Graal", tout le monde boit". Une manière assumée de rendre la séance plus interactive pour la trentaine de spectateurs venus ce soir de décembre malgré la grève des transports.

La salle de La Clef, dernier cinéma associatif de Paris. (UGO PADOVANI / HANS LUCAS)

Des séances comme celle-ci, l'association en organise chaque soir depuis le 21 septembre. Films rares, court-métrages, documentaires engagés sont diffusés même la veille de Noël et du Nouvel an, avec un public toujours au rendez-vous.

Des réalisateurs, acteurs, journalistes ou intellectuels (notamment Edwy Plenel, Edouard Louis ou encore Valérie Donzelli) viennent régulièrement y présenter leurs films, apporter leur soutien ou participer à des débats. En quelques mois, La Clef Revival (le nouveau nom du cinéma) a reçu d'innombrables soutiens institutionnels, notamment de la Ville de Paris, de la mairie du 5e arrondissement, du CNC et de nombreux distributeurs.

Poumon culturel du 5e arrondissement

Né en 1973 de l'ébullition artistique post-68, le cinéma La Clef est situé près du Jardin des Plantes dans le 5e arrondissement de Paris. Spécialisé dans le cinéma d'Art et essai, sa programmation est tournée vers le cinéma du monde, surtout  africain. Les locaux sont vendus en 1981 par le fondateur Claude Frank-Forter, suite à la crise économique qui fit disparaître de nombreuses salles de cinéma parisiennes. Ils sont rachetés peu après par le comité d'entreprise de la Caisse d'Epargne, qui autorise l'association La Clef à utiliser les deux salles de cinéma. En avril 2018, suite à un changement de rapport de force syndical au sein du comité, l'immeuble est vendu, signant l'arrêt de mort de cette institution culturelle parisienne.

Nous revendiquons une véritable occupation

Derek Woolfenden

Président de Home Cinema

Mais c'était sans compter sur la détermination d'une bande de certains anciens salariés et étudiants en cinéma qui réaniment la salle en septembre dernier. Derek Woolfenden, président de Home Cinema, vit pratiquement dans les locaux. Ce quadragénaire dégingandé à l'air sympathique, fou de cinéma, est cadreur pour la Cinémathèque française, mais dédie son temps libre à la défense de ce lieu mythique du cinéma parisien. "

"Nous ne sommes pas un squat, bien que plusieurs d'entre nous viennent du milieu des squats artistiques", explique-t-il, "nous faisons du gardiennage, on est maximum entre 3 et 5 en permanence sur 600m², on n'a pas de chambres ni de lits, on ne peut pas vraiment appeler ça un squat. Nous, ce que l'on veut, c'est un cinéma associatif avec une vrai durée de vie". 

"Partage et dialogue"

Mais pourquoi faut-il sauver le dernier cinéma associatif de Paris ? "Un cinéma associatif doit rendre moins de comptes financièrement parlant, grâce aux subventions dont il bénéficie", précise Derek. "Ça lui permet d'être plus courageux dans le choix des films et accueillir des associations qui veulent défendre des films peu ou mal distribués à des tarifs préférentiels. Ça autorise aussi plus de partage et de dialogue, plus de prise de risque pour projeter des films qui pourraient ne pas avoir un grand public ou une grande visibilité mais qui peuvent, grâce à l'associatif, avoir un public conséquent le temps d'une soirée".

Tous les soirs, même s'il n'y a aucun spectateur, on projette un film

Derek Woolfenden

Les occupants mettent un point d'honneur à assurer la continuité de cette pratique du cinéma associatif. Cette programmation à prix libre et régulière est nécessaire pour faire "battre le coeur" de La Clef Revival et démontrer qu'au-delà d'une occupation, le cinéma reste une institution vivante de la vie culturelle du quartier.

"Expulsables"

"Pour l'instant, on est expulsables. Mais il faut qu'un huissier vienne avec le délibéré, et il peut venir demain, comme il peut venir dans une semaine ou six mois" explique Derek. Home Cinéma a fait appel en décembre dernier, ce qui ne les protège pas pour autant de l'expulsion. Mais les occupants ne se laissent pas aller au désespoir. Ils comptent tout particulièrement sur le soutien des élus de la ville et de l'arrondissement, mais aussi sur l'appui des 4 000 membres de l'association Home Cinema.

Le cinéma La Clef à Paris. (UGO PADOVANI / HANS LUCAS)
Le combat de La Clef Revival ne se limite pas à la sauvegarde de ce cinéma. Home Cinéma se veut l'étincelle qui relancera le cinéma associatif à Paris et en France. "La Clef ne doit pas être le dernier cinéma associatif de Paris, mais le premier !" conclut Derek, des étincelles dans les yeux.

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