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La Cinémathèque rend hommage à son fondateur Henri Langlois

"Mais qui est ce Monsieur Langlois ?" C'était la question que posait le Général De Gaule à son ministre de la Culture André Malraux en février 1968, alors qu'éclatait une grande crise entre la Cinémathèque française et l'Etat. L'exposition répond à cette question. Henri Langlois est l'initiateur d'une idée qui allait être exportée partout dans le monde : garder la mémoire du cinéma.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Enrico Sarsini. Langlois transportant des bobines de film
 (Enrico Sarsini)

Originales origines
L’idée de forger une mémoire du cinéma est née chez Henri Langlois en 1935 quand il crée un "cercle du cinéma" pour projeter quelques bobines de films muets retrouvées, alors que personnes ne s’y intéressait. Ce premier programme regroupait "La Chute de la maison Usher" (1928) de Jean Epstein, "Le Cabinet du docteur Caligari" (1919) de Robert Wiene et "La Volonté du mort" (1927) de Paul Leni.

L’accueil dans la presse est enthousiaste et mènera en 1936 à la création d’un lieu sanctuaire dédié à la projection des films patrimoniaux qui prendra le nom de Cinémathèque française. A l’époque, le cinéma muet n’existe plus, balayé depuis 1927 par la vogue du parlant. Fallait-il pour autant oublier Charlot, Harold Lloyd, Buster Keaton ? Si on ne les a pas mis aux oubliettes, c’est grâce à Langlois. Et combien d’autres ?

Septième art
Quand Langlois s’attaque à un tel chantier, il ne sait pas ce qu’il fait. L’intuition y est pour beaucoup, ne connaissant pas lui-même les films qu’il projette. La sensibilité de l’homme est avant tout plastique. Il voit le cinéma comme la dernière manifestation de l’art pictural, lui qui a par contre une connaissance innée de la peinture.

Il admire Matisse, Picabia, Miro, Chagall, Max Ernst… et voit dans le cinéma le prolongement de l’expérimentation picturale. Ce pourquoi, il aimera constamment les recherches expérimentales du cinéma, détachées de toute narration, comme en réalisèrent Richter, Ruthman, Fischinger, Fernand Léger, dans les années 20. Puis viendront les Kenneth Anger, Philippe Garrel et Andy Warhol des années 60-70.

Gino Severini. La Danse du pan-pan au « Monico », Musée national d’Art moderne — centre Pompidou, Paris. Réplique d'artiste (1959-1960) exécutée à Rome d'après le tableau original (1909-1911) disparu depuis 1926.
 (© ADAGP, Paris 2014)

Visionnaire
Cette approche iconoclaste du cinéma, non historique, empirique, instinctive, née d’un jeune homme qui naquit à Smyrne le 13 novembre 1914, de "Français de l’étranger" comme il l’écrit, aura un impact international. Comme le dit si bien le commissaire de l’exposition Dominique Païni, Henri Langlois ne connaissait rien de ce qu’il faisait, mais le savait. Et, pourrait-on ajouter, en le savant, il le connaissait, par ce dénomiteur commun qu'entretient la peinture avec le cinéma.

Depuis 1936, combien de cinémathèques à travers le monde ? La conservation des films est devenue un enjeu patrimonial pour chaque pays qui porte en lui un destin international. Une sorte d’International cinématographique. Les échanges sont innombrables, les restaurations tout autant. Voire à ce sujet le succès, aujourd’hui, de ce que l’on appelle les "films de patrimoine", au succès inattendu, tant en salles qu’en DVD/Blu-ray. Sans Langlois, rien de cela.

Sergueï Youtkevitch. Charles Chaplin de Sergueï Youtkevitch, 1926
 (© ROY EXPORT SAS)

L’exposition
Les expositions de la Cinémathèque, qu’elle en soit à l’origine ou des refontes de présentations étrangères, relèvent d’un soin exceptionnel apportée à la muséographie . "Le Musée imaginaire d'Henri Langlois" n’y déroge pas. Langlois lui-même ne cessait de créer des expositions autour du cinéma. Dont acte.

Le parcours de ce centenaire est bien sûr conçu comme un hommage, mais loin d’être emphatique, il donne la parole, plutôt la vision, à de jeunes artistes, qui voient en Henri Langlois,l’amour du cinéma transmis. Ce relai renvoie à celui qu'avaient pris de jeunes cinéastes dans les années 50-60 en réinventant le cinéma, fidèles de la cinémathèque : Jean-Luc Godard, François Truffaut, Claude Chabrol, initiateurs de la Nouvelle Vague.

Sept salles évoquent l’homme, l’"affaire Langlois" de 1968, ses peintres et amis, avec de nombreuse toiles exposées : Matisse, Picabia, Severini, Duchamps…  Des vidéos permettent de voir ses films tournés autour des peintres qu’il aimait, ou son court métrage "Métro" de 1935 tourné avec cet autre co-fondateur de la Cinémathèque, Georges Franju.

Insistons encore une fois sur la très belle muséographie de l’exposition conçue comme un itinéraire libre, construit de murs ondulants où s’inscrivent des affiches, écrits, photographies… Un parcours initiatique visuel, intellectuel, surtout sensoriel, rare.

Affiche hommage à Henri Langlois lors du festival de Cannes, 1977
 (DR)

Programmation
Avec l’invention de la Cinémathèque, Henri Langlois a initié la programmation. La programmation de films, bien sûr. La Cinémathèque a donc tenu à projeter des films "langoisiens". Difficile tâche qui a été merveilleusement inaugurée mercredi  10 avril avec "La Chute de la maison Usher" de Jean Epstein, "Le Cabinet du Dr. Caligari" de Robert Wiene et "La Volonté du mort" de Paul Leni, magnifiquement accompagnés à l’orgue de cinéma sur scène par Jean-Philippe Le Trévou. De nombreuse autres auront lieu. Pour les connaître : se référer à la programmation de la Cinémathèque.

Couverture du catalogue de l'exposition "Le musée immaginaire d'Henri langlois"
 (Flammarion/Cinémathèque française)

Un très beau catalogue de l’exposition est également disponible chez Flammarion, ainsi qu’une plaquette et le recueil des écrits d’Henri Langlois sur le cinéma qui transcrivent ses 19e cahiers manuscrits : un travail de fourmi  !

Le Musée imaginaire d’Henri Langlois
du 12 avril au 30 juin 2014
Cinémathèque française
51, rue de Bercy, 75012 Paris
 

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