Festival de Cannes 2024. "Everybody loves Touda", la rage de chanter d'une cheikha dans le dernier film brûlant de Nabil Ayouch

Le réalisateur franco-marocain livre à Cannes un film engagé, porté par Nisrin Erradi, une comédienne "incandescente".
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Nisrin Erradi "Everybody loves Touda", de Nabil Ayouch présenté au Festival de Cannes le 17 mai 2024. (NABIL AYOUCH)

Avec Everybody loves Touda, son dernier film présenté vendredi au festival de Cannes 2024 dans la catégorie Cannes Première, le réalisateur franco-marocain Nabil Ayouch poursuit son travail de peintre de la société marocaine contemporaine, cette fois à travers le portrait d'une femme libre rêvant de devenir une Cheikha, ces artistes du chant traditionnel aïta, qui signifie "le cri", en arabe.

Touda, fille de paysans, vit dans une petite ville de province, avec son petit garçon sourd et muet, qu'elle élève seule. Pour gagner sa vie, elle chante et danse dans les bars, dans les fêtes de village, dans les mariages, sous l'œil goguenard et les mains baladeuses d'une clientèle exclusivement masculine, souvent avinée.

Les seules autres femmes qu'elle croise sont ses concurrentes, souvent agressives. Il lui arrive aussi de chanter en plein air, que la fête soit belle, et que ça finisse mal. C'est ainsi que s'ouvre le film, avec une scène de viol, qui reste imprimée pendant tout le film, comme la marque d'une menace constante pesant sur Touda, et sur toutes les femmes.

"Des héroïnes, des résistantes"

Touda se relève et reprend le travail. Cette femme sensuelle, libre, paie cher son indépendance dans une société qui accepte mal qu'une femme vive seule. Elle puise sa force dans son amour pour Yassine, son adorable fils et dans la musique et le chant.

Touda rêve de devenir une Cheikha, chanteuse traditionnelle qui interprète dans des mélopées nées du cri des textes subversifs, d'amour, de résistance. Lassée de chanter tous les soirs pour des ivrognes libidineux pour quelques dirhams, elle décide de quitter sa ville pour aller tenter sa chance à Casablanca.

Entre-temps, comme une respiration dans cette course en avant, Touda dépose son fils dans la ferme de son enfance, dans des paysages montagneux d'une beauté à couper le souffle.

Nisrin Erradi "Everybody loves Touda", de Nabil Ayouch présenté au Festival de Cannes le 17 mai 2024. (NABIL AYOUCH)

Les festivaliers ont réservé un bel accueil au film vendredi lors de la projection officielle à Cannes, en présence de l'équipe. "Ces femmes-là étaient des résistantes, des héroïnes", a expliqué au public Nabil Ayouch, très ému. "Il n'y a pas beaucoup de choses qui m'aident à tenir le cap, il y a la croyance en tous ceux qui m'ont permis de faire de ce film, de le partager et de le fêter avec vous ici, et il y a un amour brûlant, passionnel pour le Maroc et pour le peuple marocain", a-t-il poursuivi.

Nabil Ayouch a ensuite salué le travail de son équipe, les techniciens, les acteurs "et surtout d'une actrice en particulier, incandescente, volcanique", a-t-il déclaré en s'adressant à Nisrin Erradi. 

"C'est peut-être un peu ça le cinéma, naviguer entre les bombes"

À travers le portrait de femme puissante, magnifiquement incarnée par Nisrin Erradi, Nabil Ayouch dessine les contours d'une société encore marquée par le patriarcat. Touda fait de la résistance. Refusant d'être une proie, elle reste maîtresse de son corps, de ses désirs, et tente de le rester aussi de son destin, malgré les entraves.

Le réalisateur marocain filme les corps, ses souffrances et ses exultations, la sensualité, la vie, la liberté. Il déploie cette histoire forte dans une mise en scène tendue, portée par la voix de Touda, dans une cadence proche de la transe. Avec des images aux tonalités chaudes, un montage énergique, la musique au cœur du film, et une caméra au plus près de Touda, le réalisateur nous campe dans les pas de son héroïne. 

Dans un ultime espoir, la jeune femme s'élève dans un ascenseur, pour le reprendre en descente quelques minutes plus tard, un sourire baigné de larmes, qui laisse ouverte la fin de cette bouleversante histoire.

Le réalisateur franco-marocain lors de la projection officielle de "Every body loves Touda", le 17 mai à Cannes. (LAURENCE HOUOT / FRANCEINFO CULTURE)

"Dans ce monde où les bombes pullulent un peu partout, c'est important d'avoir cette force, c'est important de garder le cap, c'est important de continuer à faire des films, c'est important de continuer à naviguer entre les bombes. Finalement c'est peut-être un peu ça le cinéma, naviguer entre les bombes", a conclu Nabil Ayouch sous les applaudissements d'une salle conquise.

Affiche du film "Everybody loves Touda", de Nabil Ayouch, présenté au Festival de Cannes le 17 mai 2024. (AD VITAM)

La Fiche

Genre : Drame
Réalisateur : Nabil Ayouch
Acteurs : Nisrin Erradi, Joud Chamihy, Jalila Tlemsi
Pays : Maroc
Durée : 
1h42 min
Sortie : 
2024
Distributeur : 
Ad Vitam
Synopsis : Touda rêve de devenir une Cheikha, une artiste traditionnelle marocaine, qui chante sans pudeur ni censure des textes de résistance, d’amour et d'émancipation, transmis depuis des générations. Se produisant tous les soirs dans les bars de sa petite ville de province sous le regard des hommes, Touda nourrit l’espoir d'un avenir meilleur pour elle et son fils. Maltraitée et humiliée, elle décide de tout quitter pour les lumières de Casablanca...

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