Festival de Cannes 2024 : David Cronenberg revisité en onze films à l'occasion de sa septième sélection en compétition

Révélé en France avec un petit film d’horreur en 1975, le réalisateur canadien est devenu un cinéaste majeur, incontournable du Festival de Cannes. Il présente lundi soir "Les Linceuls" en compétition.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le réalisateur canadien David Cronenberg au Festival de Cannes en 2014. (ALBERTO PIZZOLI / AFP)

À la tête d’une filmographie d’une rare cohérence, comme l'est celle d’un Kubrick ou d’un Fellini, David Cronenberg détient un record de films sélectionnés en compétition sur la Croisette. Il se trouve pour la septième fois en lice avec Les Linceuls, présenté à Cannes lundi 20 mai au soir, et cela mérite bien de revenir sur onze longs métrages majeurs de sa filmographie.

Les Linceuls (Shrouds), avec Vincent Cassel, Diane Kruger et Guy Pearce, traite du sujet de la résurrection des morts. Ce thème du corps, Cronenberg l'aborde depuis ses premiers films. Frissons, Chromosome 3, Scanners, Vidéodrome, The Dead Zone, jusqu’à la consécration avec La Mouche, puis Faux-Semblants, Le Festin nu, Crash, History of Violence, Maps to the Stars, participent à la filmographie d’un des cinéastes les plus singuliers du cinéma.

"Frissons" : une horreur viscérale, gore et violente

Après deux courts et deux longs métrages expérimentaux inédits en France, David Cronenberg conquiert le monde avec son premier succès commercial, révélé à feu le Festival du film fantastique d’Avoriaz en 1975. Frissons (The Parasite Murder) est un pur film d’horreur viscéral, gore et violent.

Dans un immeuble high-tech, un chirurgien a inoculé à une patiente un parasite qui développe les pulsions sexuelles et violentes. Transmis par le baiser, il entraîne une contamination de tous les habitants, pris de furie meurtrière et sexuelle. Tout Cronenberg est déjà dans ce film où apparaît son thème majeur et pérenne de la mutation physique et de ses conséquences sur les personnes et leur entourage.

"Chromosome 3" : génération spontanée exterminatrice

Cronenberg décroche deux stars pour jouer dans Chromosome 3 qui sort en 1979 : Oliver Reed et Samantha Eggar. Le premier est un psychiatre célèbre qui a mis au point une méthode permettant à ses patient(e)s d’extérioriser leur pathologie dans des stigmates physiques. L’une d’elles engendre ainsi une portée d’enfants mutants, à la croissance accélérée et très agressifs. Au sujet central du corps, Cronenberg ajoute son rapport au mental, sur lequel le réalisateur reviendra sous d’autres avatars, mais toujours dans ses conséquences corporelles.

Dans Chromosome 3, il allie son sujet de prédilection à la naissance d’une génération spontanée dont la vocation est d’exterminer l’humanité. Toujours très cru dans l’image gore, et pessimiste dans ses conclusions, Chromosome 3 boucle une première partie de la filmographie du cinéaste canadien.

"Scanners " : la maturité

En 1981, Scanners, avec Jennifer O’Neil, Patrick McGoohan et Michael Ironside, révèle un budget nettement supérieur mis à la disposition du cinéaste. Cameron Val, détenteur d’un puissant pouvoir télépathique, est recruté par une société de sécurité pour recenser d’autres personnes comme lui. Il rencontre David Revok, un puissant télépathe aux instincts belliqueux dont le pouvoir pourrait faire plier la planète à sa volonté.

Cronenberg atteint une maturité du filmage et de la mise en scène encore jamais atteinte jusqu’ici. Toujours gore et violent, mais avec moins de sexe, Scanners est le film qui va ouvrir le réalisateur à des budgets plus confortables. Scanners est un nouveau départ, son film suivant, Vidéodrome, s’avérant comme un manifeste de son cinéma.

"Vidéodrome" : film manifeste

Pour Vidéodrome, David Cronenberg s’offre en 1983 l’acteur James Woods, alors en pleine ascension, et la chanteuse du groupe Blondie, Deborah Harry, qui débutait alors une carrière d’actrice. À la tête d’une petite chaîne de télévision érotique, Max Renn découvre des programmes sadomasochistes, dont le visionnage provoque des hallucinations, voire des mutations corporelles. En fait manipulé par les programmateurs, Max se voit entraîné dans un vaste complot visant à prendre le contrôle des populations.

Film manifeste et complexe, Vidéodrome a failli ne jamais sortir en France, tant il rebutait les distributeurs qui ont toutefois vu dans ses deux acteurs principaux un fort potentiel commercial. Le film est pourtant un acte majeur du maître par le sujet du pouvoir des images, et de leurs répercussions sur le public, avec les conséquences sociétales et politiques qu’elles peuvent entraîner : un des meilleurs films de Cronenberg.

"The Dead Zone" : la reconnaissance du public

The Dead Zone est le film qui va ouvrir David Cronenberg à la reconnaissance d’un plus large public, jusqu’ici réduit aux amateurs de films fantastiques. Auteur de tous ses scénarios originaux, c’est la première fois qu’il accepte l’offre du producteur Dino De Laurentis d’adapter The Dead Zone de Stephen King (Ed. Jean-Claude Lattès), que le tout Hollywood s’arrache. Après cinq ans de coma à la suite d’un accident, Johnny Smith (Christopher Walken) se découvre un don de prémonition, dans un monde qui n’est plus le sien. Alors qu'il se met spontanément au service des gens en peine autour de lui, l'exercice de son don lui réclame une énergie qui amenuise ses capacités physiques. Quand il perçoit le projet d’assassinat du principal candidat à la présidentielle américaine, se pose à lui le dilemme de sa possibilité d’agir sur l’histoire.

On retrouve dans The Dead Zone le thème de la dégénérescence physique, dans le handicap grandissant chez John Smith, proportionnel à la pratique de ses prémonitions, un véritable cadeau empoisonné. Moins violent et moins gore, The Dead Zone rencontre le public et propulse Cronenberg en haut du box-office.

"La Mouche" : le succès intégral

L’effet Dead Zone ouvre les portes à David Cronenberg à ce qui va devenir son plus grand succès public en 1986, La Mouche, avec Jeff Goldblum et Geena Davis que tout le monde s’arrache à Hollywood. Remake d’une série B de 1959 réalisée par Kurt Neumann (La Mouche noire), cette nouvelle mouture reste un des films phare des années 80. Le réalisateur canadien s’approprie totalement le sujet qui recoupe sa thématique du corps mutant. Seth Brundle (Jeff Goldblum) expérimente le système de téléportation de son invention, mais se retrouve enfermé dans la cabine avec une mouche, entraînant une symbiose biologique entre l’homme et l’insecte.

Jeff Goldblum trouve avec La Mouche un de ses plus grands rôles, en traduisant la dégénérescence tragique d’un génie progressivement réduit à une créature monstrueuse habitée de pulsions primaires. Le film aura une suite, sans Cronenberg, d’une facture nettement moins ambitieuse.

"Faux-semblants" : un nouveau tournant

Désormais dans la cour des grands, David Cronenberg tourne avec les comédiens et comédiennes les plus en vue. Son choix se fixe sur Jeremy Irons et Geneviève Bujold dans Faux-Semblants qui sort en 1988. L’acteur y interprète le double rôle des frères jumeaux Beverly et Elliot Mantle, dont la relation fusionnelle va être mise à mal par l’arrivée d’une actrice qui va s’interposer entre eux.

Jeremy Irons est remarquable dans cette double interprétation très psychologique, Cronenberg se démarquant de ses monstruosités coutumières, même s’il y succombe encore un peu. Le monstre est ici cette double identité des frères Mantle qui vont partir à la dérive. Inspiré d’un fait divers survenu au Brésil, Faux-Semblants marque la distance que prend le réalisateur par rapport à l’horreur, même si le fantastique demeure dans certains de ses films futurs. Faux-semblant marque un nouveau tournant dans la carrière du réalisateur.

"Le Festin nu" : adaptation ambitieuse, mais échec commercial

Il n’y avait que David Cronenberg pour adapter le roman réputé inadaptable de William S. Burroughs, Le Festin nu, sorti sur les écrans en 1991. Cronenberg détourne quelque peu le roman en y mêlant des éléments biographiques de l’auteur, comme le meurtre accidentel de son épouse, entraînant son exil dans un pays imaginaire du Maghreb, Interzone, en fait, Tanger. S’ensuit une longue errance hallucinée conditionnée par sa dépendance à une drogue qui le fascine, la "black meat" qui le pousse à agir comme un espion sous les ordres de sa machine à écrire identifiée à un insecte géant.

Romancier culte, William S. Burroughs trouve bien un équivalent filmique dans l’adaptation de son roman. Les amateurs de Burroughs et de Cronenberg y trouveront leur compte, mais le film a été un flop mémorable. D’un budget entre 17 et 18 millions de dollars, il n’en rapportera qu’environ 2,6.

"Crash" : la reconnaissance cannoise

David Cronenberg aborde, après William Burroughs, un autre auteur hors normes, en adaptant le roman de J. G. Ballard Crash en 1996. Publié en 1973, alors que l’occident est devenu une civilisation automobile au faîte de sa puissance, le romancier anglais décrit une microsociété dont les membres se reconnaissent dans une déviance sexuelle liée à leur fascination pour les accidents de voiture.

Prix du Jury à Cannes en 1996, avec James Spader, Holly Hunter, Rosanna Arquette, Deborah Kara Unger et Elias Koteas, Crash, déroute, dérange : du pur Cronenberg. Le malaise que peut provoquer le film émane pourtant d'une élégance très sophistiquée, dont le trouble procède d’une froideur glaciale mêlée à un érotisme issu d’une fusion entre la chair et la machine, où le psychologique communie avec le physique.

"A History of Violence" : la révélation Viggo Mortensen

En compétition au Festival de Cannes 2005, A History of Violence marque l’éloignement de David Cronenberg par rapport fantastique, dont était encore teinté son précédent film Spider. Père de famille discret, Tom Stall (Viggo Mortensen) abat dans un geste de légitime défense son agresseur et devient la coqueluche des médias. Adaptation du roman graphique éponyme de John Wagner et Vince Locke, c’est un nouveau Cronenberg qui se révèle, dans un thriller remarquable de concision et d’efficacité.

Avec Viggo Mortensen, Maria Bello, Ed Harris et William Hurt, le réalisateur dirige un casting quatre étoiles qui enthousiaste la critique et attire le public. Avec A History of Violence, David Cronenerg acquiert une nouvelle notoriété qui l’éloigne de l’image d’un réalisateur confiné dans un fantastique déviant. Enthousiasmé par la performance de son acteur, le réalisateur fera appel à Viggo Mortensen dans trois autres films : Les Promesses de l’ombre, A Dangerous Method, et Les Crimes du futur.

"Maps to the Stars" :  Hollywood désenchanté

Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 2014, Julianne Moore joue dans Maps to the Stars le rôle de Havana Segrand, une comédienne dont la carrière traverse une crise. Elle est également confrontée à son fils Benjie, jeune acteur de 13 ans et déjà star, qui sort avec Agatha, fraîchement arrivée à Hollywood et qui devient l'assistante de l’actrice.

Plus discrète, la thématique du corps est toutefois présente dans l’âge de Havana Segrand qui a le sentiment d'avoir passé un cap dans sa carrière. On la retrouve aussi dans le corps d’Agatha, marquée par les séquelles qu'a laissées sur son corps sa tentative de suicide par le feu. Sans réelle intrigue, Maps to the Stars traverse l’envers du décor hollywoodien. Les rapports qu’entretiennent les stars avec leur environnement, et les communs des mortels qui espèrent décrocher la timbale dans l’usine à rêve, nourrissent un film désenchanté qui fendille l’image d’un Hollywood idéalisé.

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