Festival de Cannes 2023 : une après-midi dans "Le songe de la lumière" en hommage à Souleymane Cissé, Carrosse d’or 2023
"Le cinéma est un moyen très efficace de rapprochement des hommes", a lancé le Malien Souleymane Cissé, le 17 mai, lors de sa master class et quelques heures avant la cérémonie d’ouverture de la Quinzaine des cinéastes où il a reçu le Carrosse d’or. Il est ainsi devenu le deuxième réalisateur africain, après le Sénégalais Sembène Ousmane dont on célèbre cette année le centenaire, à recevoir la distinction créée en 2002 par la Société des réalisatrices et réalisateurs (SRF). Le songe de la lumière, résumé en images de sa carrière projeté avant la remise de la distinction, sied à l’aventure cinématographique de Souleymane Cissé. La lumière, capitale au cinéma, revêt une dimension singulière pour le réalisateur.
L’après-midi d’hommage a commencé, aux environs de 15h, par une entrée discrète mais bien évidemment remarquée de l’artiste pour assister à la projection de son premier long métrage Den Muso (La Jeune fille, 1975), entouré des siens. Chez les Cissé, le cinéma est bien une affaire familiale. Sous les applaudissements de la salle, le réalisateur appellera ses proches auprès de lui, plus tard dans la soirée, après avoir reçu le Carrosse d’or remis durant une cérémonie où le courage des Iraniennes a été salué. Rien de plus normal pour une soirée dédiée à Souleymane Cissé.
Aux confins de la lumière
"L’injustice entre les hommes et les femmes, c’est quelque chose imaginé par nous les hommes et il faut qu’on trouve la solution pour la réduire totalement ", estime-t-il. La société patriarcale qui étouffe les femmes est celle dénoncée à travers le personnage de Ténin, incarnée par celle qui deviendra sa femme, Dounamba Dany Coulibaly, aujourd’hui disparue. "Bouleversé" et inspiré par une histoire familiale, il porte le sujet à l’écran. Celle d’une jeune fille violée par son ami dont elle tombera enceinte. Sa grossesse lui vaudra d’être bannie par son père. Ténin, l’héroïne du premier film en bambara (langue parlée au Mali), est muette. "Je me suis rendu compte, explique Souleymane Cissé, que dans toutes les discussions familiales, on ne s’adresse pas aux femmes".
Pour le réalisateur, défendre les femmes, c’est finalement se battre pour notre humanité commune en quête de lumière. C’est Yeelen (La Lumière), l'œuvre qui lui a offert l’une de ses plus prestigieuses récompenses, le prix du Jury en 1987. Pour la sélection de son film, Cissé a d’ailleurs remercié Gilles Jacob, l’ancien délégué général du Festival de Cannes et "son équipe pour leur courage politique". Yeelen, plongée dans les secrets du komo (société secrète au Mali), "c’est une recherche de l’homme qui nous emmène vers la lumière et tant qu'(il) n’arrivera pas à atteindre cette lumière", son humanité lui sera déniée. Une histoire "profonde" dont le seul regret de Cissé aura été de n’être pas arrivé à en faire un film de science-fiction.
"Un grand cinéaste tragique"
Car faire du cinéma pour le réalisateur malien, c’est se projeter tout en se sentant plus que jamais "être humain". Toutes les assignations, notamment raciales, volent en éclat. Un aveu accueilli par l’une des nombreuses salves d’applaudissements qui ont émaillé l’après-midi à la Quinzaine.
Le franc-parler de l’artiste malien n’a d’égal que son humour. "Un sage pas sage", a dit Serge Toubiana, le président d’Unifrance, en introduisant sa master class et en regrettant qu’il ait l’air aussi sérieux sur la photo choisie par la Quinzaine pour sa journée. Son humour est peut-être ce qui fait de lui, selon Serge Toubiana, "un grand cinéaste tragique". "Le thème du rejet me semble être quelque chose de courant dans l’œuvre de Souleymane Cissé. Quand un personnage est chassé, banni de sa propre communauté, de sa propre famille, il est condamné à l’errance, peut-être à la liberté, peut-être à la mort et je trouve cela magnifique", a ainsi confié Serge Toubiana à Franceinfo Culture au terme de la master class.
Ambassadeur d’un cinéma sous-exposé
L’ancien journaliste des Cahiers du cinéma est l’un de ceux à qui Souleymane Cissé a adressé ses remerciements, tout comme aux critiques Serge Daney et Danièle Heymann (disparus respectivement en 1992 et 2019) et ainsi qu’aux cinéastes Martin Scorsese et Costa-Gavras. "Ceux qui ont tout dit, tout écrit sur ce que les autres ne voulaient pas entendre ou voir", a noté le cinéaste qui a également rendu hommage à ses professeurs soviétiques de la VGIK, la plus grande école de cinéma à l’époque. C'est là où il a débarqué en 1963 afin d'être initié "aux secrets de la boîte noire cinématographique".
"Les larmes" de la monteuse Andrée Daventure, disparue en 2014, auront également marqué la carrière de Souleymane Cissé. Celles qu’elle avait "presque" quand elle a monté Den Muso à cause de "la faiblesse des images" et celles, d’une autre nature, quand elle a félicité Cissé pour le Prix du jury remporté par Yeelen. En recevant le Carrosse d’or, Souleymane Cissé s’est plongé dans des souvenirs heureux et moins heureux. Comme les soucis liés à la production de Den Muso qui le conduiront en prison. Il en sortira grâce à son frère Sékou et grâce surtout à l’intervention du général-président Moussa Traoré. En soulignant "le risque" pris par Claude Berri et Jérôme Seydoux de distribuer des films venus " d’Afrique noire", ce qui était "loin d’être une évidence" à l’époque "mais sans doute encore aujourd’hui", Souleymane Cissé a mis le doigt sur un constat que sa journée d’hommage a permis à tous de faire : la sous-exposition du cinéma produit par les pays africains. Un impair que le Festival de Cannes revendique d’avoir quelque peu corrigé pour sa 76e édition.
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