Berlinale : pour la première fois, deux films africains sont en lice pour décrocher l'Ours d'or

Le festival du film de Berlin fait la part belle à un cinéma africain qui tente de s'affirmer malgré les obstacles. Dix-neuf ans après le premier Ours d'or décerné à un film africain, deux films du continent pourraient remporter cette année la prestigieuse récompense.
Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
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"Dahomey" de Mati Diop. (LES FILMS DU LOSANGE)

Une présidente du jury mexicano-kényane, un réalisateur mauritanien et une cinéaste franco-sénégalaise, tous deux en compétition pour l'Ours d'or : la Berlinale fait cette année la part belle au fragile cinéma africain.

Pour la première fois de son histoire, le festival international du film de Berlin a nommé une personnalité noire pour diriger son jury qui décerne samedi les plus hautes récompenses : Lupita Nyong'o, née à Mexico de parents kényans. L'actrice de 40 ans, Oscar du second rôle féminin en 2014 pour sa performance dans 12 Years a Slave, a déclaré à l'ouverture du festival "avoir faim" de plus de films africains.

La présence de ces derniers à Berlin est "plus forte que d'habitude", une tendance jugée "formidable" par le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako, en compétition avec Black Tea, une histoire d'amour entre une jeune Ivoirienne et le patron chinois d'une boutique d'export de thé.

Les cinéastes africains doivent cependant surmonter des écueils bien plus importants que leurs confrères américains, européens ou asiatiques. "Il n'y a pas d'industrie du cinéma, par conséquent nous avons moins de techniciens", explique Abderrahmane Sissako, qui n'avait plus tourné depuis le succès de Timbuktu, César de la meilleure réalisation en 2015.

Trois salles au Bénin

Autre difficulté : la faiblesse du réseau de distribution. "La plupart des pays n'ont plus de salles. Elles ont été bradées pour créer des centres commerciaux", constate la Franco-Sénégalaise Mati Diop, dont le documentaire Dahomey concourt à Berlin. "Au Bénin, par exemple, il n'existe que trois salles de cinéma, toutes possédées par le groupe français Bolloré", observe Gildas Adannou, étudiant de l'université d'Abomey Calavi qui apparaît dans Dahomey.

"Ce sont des salles excessivement chères et seule une infime élite peut y avoir accès", ajoute Mati Diop, qui a reçu le Grand Prix à Cannes en 2019 pour Atlantique, la plus haute distinction après la Palme d'or.

Décidée à toucher "un public le plus large possible" en Afrique, elle voudrait montrer Dahomey, qui filme la restitution de vingt-six statues par la France au Bénin "dans les universités, dans les écoles".

Quant au Sénégalais Mamadou Dia, réalisateur de Demba, il dit "faire le tour du Sénégal avec un écran gonflable de trois mètres pour montrer ses films suivis de débats dans les villages". Son long-métrage sur un fonctionnaire proche de la retraite (qui n'est pas sur les rangs pour l'Ours d'or) est aussi montré à Berlin.

"Engagement politique"

"Beaucoup de cinéastes se tournent vers les séries, plus faciles à réaliser économiquement, et que les gens peuvent regarder sur leur écran de télévision", explique Abderrahmane Sissako.

Selon Mati Diop, le cinéma africain se caractérise par un fort engagement politique : "On a davantage le souci de représenter la complexité de nos réalités sociales, économiques et politiques". "Il y a justice à rendre", estime cette "Afrodescendante", comme elle se décrit elle-même, qui est née et a grandi à Paris. "Nous nous engageons certainement davantage à faire des choses qui ont du sens : ce ne sont pas de petites histoires à la 'Je t'aime, moi non plus'", abonde le réalisateur mauritanien.

Abderrahmane Sissako et les acteurs de son nouveau film "Black Tea" à la Berlinale, le 21 février 2023. (BRITTA PEDERSEN / DPA / AFP)

Les films africains se caractérisent également par un mélange plus important des langues que dans les autres films : ainsi Dahomey alterne le français et le fon, majoritairement parlé au Bénin. Pour Mati Diop, il importait de ne pas utiliser seulement "la langue du colonisateur". Dans Black Tea, les acteurs jouent en mandarin, français, anglais et portugais. "C'était un parti pris pour montrer la réalité du monde", explique Abderrahmane Sissako : "Quand des Africains partent en Chine, ils apprennent le chinois et quand des Chinois font du commerce en Afrique, ils apprennent le wolof ou le swahili."

L'unique film africain à avoir reçu un Ours d'or est le Sud-africain U-Carmen de-Khayelitsha (Carmen de Khayelitsha) de Mark Dornford-May, en langue xhosa, qui replaçait l'opéra de Bizet dans un township avec, dans le rôle-titre, Pauline Malefane. C'était à la Berlinale de 2005.

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