ENTRETIEN. "Travailler avec Sean Connery a été un délice" : Jean-Jacques Annaud évoque le tournage de son film "Le Nom de la Rose"

Le réalisateur de 80 ans s'est confié à franceinfo quelques jours avant l'arrivée de son film culte "Le Nom de la Rose" dans un coffret, restauré en Blu-ray.
Article rédigé par Matteu Maestracci
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Jean-Jacques Annaud, le 18 avril 2024 à Paris. (MATTEU MAESTRACCI / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Trente-huit ans après sa sortie au cinéma, Le Nom de la Rose de Jean-Jacques Annaud, adapté du chef-d'œuvre du même nom signé Umberto Eco, fait à nouveau l'actualité en cette année 2024. Il est ressorti dans les salles françaises en version restaurée, attirant plus de 31 200 spectateurs qui sont venus s'ajouter aux près de cinq millions à s'être déplacés pour la première sortie. Une version restaurée disponible également le 3 mai dans un coffret Blu-ray enfin digne de ce nom.

franceinfo : On imagine que ça vous a ému de revoir votre film dans une version "améliorée" ?

Jean-Jacques Annaud : En fait j'étais très chagriné que depuis dix ans, le film ne pouvait plus être vu nulle part : les droits n'avaient pas été renouvelés, une héritière ne voulait pas que le film ressorte. Et on m'avait proposé une adaptation en série que je n’avais pas voulu faire, parce qu'il aurait été difficile de passer après une telle aventure. Mais j'étais malheureux, parce que mes autres films continuent dieu merci de passer et repasser sur les télévisions du monde entier, mais pas ce film que j'avais particulièrement aimé faire, et très difficile à monter, pour lequel on m'avait d'ailleurs prédit un échec retentissant.

Je dois cette ressortie à la compagne d'Umberto Eco, Renate, avec qui je suis resté ami, mais aussi à son fils, qui a été un de mes stagiaires sur le tournage du film, conjugués au dynamisme de TF1 éditions. Et j'ai redécouvert mon film sur la Grande Place de Bologne, en plein air, avec 4 500 personnes. Et je dois dire que j'ai été particulièrement surpris de retrouver l'image que j'avais en tête pendant le tournage, mais jamais vue sur un écran. La restauration est formidable et l'image d'une qualité exceptionnelle.

L'une des qualités du film, et ce qui le rendait alors moderne, c'est de faire valser les genres : film historique et religieux en costumes, polar, "buddy movie", avec aussi un soupçon de comédie. Est-ce que vous en aviez conscience en le faisant ?

Oui, j'adore ça, le mélange des genres, d'autant que je suis un passionné de musique. Et en musique classique par exemple, après un mouvement lent, il faut un mouvement rapide, et ainsi de suite. C'est pareil avec le cinéma, après une scène tragique ou chargée de danger, il faut de la légèreté, emmener le public du rire aux larmes. Certains cinéastes n'osent pas, mais en trois minutes vous pouvez faire basculer une salle de cinéma dans un sens ou dans l'autre, d'ailleurs. Parfois les gens qui découvrent mes scénarios me disent : "Tu es sûr là pour la scène comique au milieu du tragique ?"  Mais moi j'adore ça, même quand je suis au montage : j'aime changer de ton, pour ne pas dire changer de film.

Votre casting est riche, international et polyglotte : Sean Connery, Christian Slater, F. Murray Abraham, Michael Lonsdale, Ron Perlman, Valentina Vargas et j'en passe. Beaucoup de "caractères". À l'écran c'est extrêmement fluide, mais on imagine que sur le plateau c'était une autre affaire ?

Non. Les acteurs aiment être confrontés à des choses différentes, et un des charmes du tournage c'était de voir le jeune Christian Slater, qui n'avait rien fait avant, face à un immense pro [Sean Connery] et des acteurs d'expérience. Et les acteurs allemands étaient enchantés de jouer avec des Italiens, etc... C'est comme un cuisinier qui tente une recette en mélangeant plein d'ingrédients différents. Les débutants apportent une fraîcheur extraordinaire, alors que si vous ne mettez que des pros ensemble, ça devient une sorte de routine. Or là, Slater était presque enamouré du grand acteur qu'était Connery, qui avait déjà fait 70 films. Et ça tire tout le monde vers le haut.

Je crois que vous avez dit que travailler avec F. Murray Abraham [Scarface, Amadeus, entre autres] était compliqué...

Ah oui, c'était un salopard épouvantable.

(Rires) Donc ça, c'est dit, vous le confirmez. Mais Sean Connery alors ? On lit un peu tout et n'importe quoi en retrouvant vos interviews en ligne, comme quoi ça n'a pas été simple. 

C'est totalement faux. J'insiste, c'était un délice. Mais il y a eu en effet le désormais célèbre épisode dit "des chaussettes". C'était je crois le deuxième jour de tournage, j'étais en haut de la tour que j'avais fait construire exprès pour le film, et je vois des trucs bleus sous sa robe de moine, donc je descends, je retrouve Sean sur le sentier, et je lui demande ce que c'est, il me répond : "C'est ta costumière qui me les a tricotées". Et je lui dis : "Mais les franciscains n'ont pas de chaussettes", il me répond que ce franciscain-là, oui.

Je lui explique alors que son personnage a lui-même fait vœu de pauvreté, donc il marche pieds nus, éventuellement avec des sandales, mais de peau non tannée. Il le prend mal, il enlève ses chaussettes, les jette par terre en disant : "Je déteste ces putains de moines". C'est la première fois où il y a eu un petit geste de colère, de mon côté. 

"Travailler avec lui était comme conduire une Rolls : tout était facile, il savait son texte et connaissait par cœur ses mouvements, il a une voix superbe et disait ses répliques avec une incroyable élégance. Ça a été un rêve et une des plus belles directions d'acteur que j'ai jamais eu, et nous sommes restés longtemps en contact."

Jean-Jacques Annaud à propos de Sean Connery

à franceinfo

Et dans votre filmographie désormais très ample, vous le classeriez comment, Le Nom de la Rose ? C'est un de vos préférés ou les difficultés de production vous ont laissé un goût un peu amer ? 

Non, je n'ai aucune amertume, j'ai pu travailler avec une immense liberté. J'ai adoré par exemple tourner dans des décors construits, comme j'ai pu le faire quelques années plus tard pour mon film Stalingrad. En revanche je regarde rarement dans le rétroviseur, le seul film qui m'intéresse est le prochain. Et je revois peu mes films, je le fais surtout quand je dois faire un commentaire pour les bonus DVD. Mais je reste très attaché au Nom de la Rose. Ce que j'ai adoré par-dessus tout c'était de collaborer avec Umberto Eco. Il était d'une telle intelligence, d'une telle drôlerie, d'une telle richesse de pensée, que ça restera un souvenir inoubliable.

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