"Enfin le cinéma !" : le Musée d'Orsay expose les prémices du cinématographe dans l'art
Invention technologique en 1895, devenue art, puis industrie, le cinéma a révolutionné la représentation du réel avec l’image animée : une quête artistique devenue réalité.
Jusqu'à l'Impressionnisme, les arts plastiques tendaient à représenter le réel avec le plus d'exactitude possible. Il échappait toutefois à la représentation, le mouvement et le temps. Jusqu’au 16 janvier 2022, le Musée d’Orsay expose des œuvres couvrant la période 1833 à 1907 qui annoncent ce défi que le cinéma a relevé.
Mouvement perpétuel
Avec la première Révolution industrielle, accélérée par le réseau ferroviaire dans les années 1840, la conscience du temps s'est transformée. L’apparition d’une vitesse inédite permettant des déplacements plus rapides, la productivité et l’expansion de villes trépidantes, participent d'un temps redéfini. Il s’exprime dans l’art du XIXe siècle dans des oeuvres annonciatrices du cinéma.
A l’entrée de l’exposition Enfin le cinéma !, Pygmalion et Galatée (1890) de Jean-Léon Gérôme (1890) rappelle que le rapport entre art et mouvement remonte au mythe d'Ovide (Les Métamorphoses), où une statue se transforme en être vivant. Plus proche de nous, après l'invention de la photographie dans les années 1830, le mouvement devient une des préoccupations majeures de l’art et des sciences. En peinture ou en photographie, des cadrages suggèrent la sortie de figures du tableau, coupées dans leur élan, qui semblent s'échapper de la toile ou du cliché. Le Pont de l’Europe (1876-77) de Caillebotte est de ce point de vue remarquable, en cadrant des silhouettes dans l’architecture métallique de l’ouvrage près de la gare Saint-Lazare à Paris.
De 1892 à 94, Claude Monet peint la façade de la cathédrale de Rouen à différentes heures du jour. Il anime les ombres et traduit le "déplacement" du soleil dans le ciel de toile en toile. Des dioramas (peintures panoramiques) sont éclairées à l'arrière du tableau par une ampoule, faisant passer un paysage de la lumière à la pénombre. La beauté et la cohésion des œuvres exposées se répondent en évoquant une nouvelle ère, dont la compréhension et la représentation du mouvement seraient le dénominateur commun. En parallèle, les films projetés à proximité soulignent les correspondances entre peinture, photo et cinéma.
Les petits bonshommes qui bougent
Depuis le XVIIe siècle, les projections de lanternes magiques ont expérimenté des techniques pour animer leurs images fixes : c’est le précinéma. Les techniques vont considérablement se sophistiquer jusqu’au XIXe siècle. Puis à partir des années 1830, les "phénatiskiscope", "zoetrope", et autre "praxinoscope", sont autant de procédés permettant de voir animer des dessins en faisant tourner un ruban dans un cylindre.
Réduits à des jouets pour enfants, ils conduiront aux Pantomimes lumineuses d’Emile Raynaud en 1882, ancêtre du dessin animé et étape majeure du "précinéma". Il invente l’utilisation d’une pellicule transparente souple permettant la projection de vignettes successives peintes qui, en défilant devant un projecteur, donnent l’illusion de sujets animés.
Jules Edouard Marey (1830-1904) invente la même année la chronophotographie qui permet de visualiser sur un cliché la décomposition du mouvement (homme qui marche, saute, ou cheval au galop…). Médecin physiologiste, son approche scientifique va avoir un impact déterminant sur l’invention du cinématographe Lumière treize ans plus tard.
Ses clichés ont par exemple levé le secret du galop, dont la représentation était jusqu’alors erronée dans la peinture hippique. Le résultat de ses recherches constituent aussi des œuvres d’art à part entière.
L’art en mouvement
La ville moderne est un sujet inépuisable de la peinture au temps de son expansion sous l’impulsion de l'industrie. Pissarro et Sysley ont donné de merveilleuses toiles qui visualisent l'énergie nouvelle qui habite la ville. Fourmillement des passants (La place du Théâtre français, 1898, Pissarro), naissance de la classe ouvrière (Les Las, 1897, Jules Rivière), nocturnes urbaines (Colone Morris, vers 1900, Gabriel Bessy)… traduisent l'effervescence agitée d'une urbanité naissante.
La danse, art du mouvement, est bouleversée par l’Américaine Loïe Fuller qui donne sa première Danse serpentine à Brooklyn en 1892, avant de migrer à Paris. Vêtue d'un ample manteau de soie et muni de deux baguettes qui en permettent l’extension par le mouvement des bras, "la Fuller" hypnotise le monde entier. Ses chorégraphies virevoltantes qu’elle éclairait de mille feux, comme pionnière dans l’usage de l’électricité sur scène, ont fait le tour du monde. Mille fois copiée et photographiée, elle refusa toujours d’être filmée sous le motif que le cinéma ne rendait pas compte de ses performances. D’autres poseront pour elle, dans des images sans lesquelles ont ne pourrait visualiser un des spectacles les plus célèbres de la Belle Epoque.
Peinture et cinéma
Les frères Lumière étaient intimes de Monet, Cézanne et Renoir. Cela se retrouve dans les parties de cartes des premiers films et les scènes de jardin, où le scintillement du soleil dans les feuillages émerveillait plus que le repas de bébé. Le fracas des vagues sur les côtes des films Lumière ou les Effets de vagues (1906) d’Alice Guy, s’inspirent également de sujets impressionnistes.
Les premiers opérateurs de prise de vues lancés aux quatre coins du monde, mirent à contribution leur connaissance de la peinture, pour cadrer leurs images. La profondeur de champ de Pèlerins allant à la Mecque (1861, Léon Belly) se retrouve dans Caravane de chameaux (Alexandre Promio, vue Lumière n°407, 1897).
Des rapprochements qui s’étendent à la fiction, notamment dans les reconstitutions historiques. Le Repos pendant la fuite en Egypte (1880, Luc-Olivier Merson) dialogue avec La fuite en Egypte (Alexandre Promio, vue Lumière n°934, 1897), ou Les Dernières cartouches (Alphonse de Neuville, 1873) préfigure le film éponyme d’Alexandre Promio (vue Lumière n°934, 1897).
Les premières prises de vue microscopiques font découvrir d'invisibles ballets cellulaires qui annoncent l'abstraction d'un Kandinsky, et la colorisation à la main des films concrétise la symbiose entre peinture et images animées. La représentation du corps est enfin au cœur des correspondances entre arts plastiques et cinéma. Les athlètes de la statuaire grecque se retrouvent dans les scènes de gymnastique et d’acrobatie du cinématographe, en exaltant performances physiques et mouvements spectaculaires. Le nu, fil rouge des arts plastiques pendant des siècles, va s’exporter dans des productions plus licencieuses, des polissonneries où soubrettes et jolies voisines s’effeuillent devant des voyeurs qui partagent leur vice avec le spectateur.
Enfin le cinéma ! est la première exposition du Musée d’Orsay à prendre le 7e art comme sujet de fond. Elle reflète sa vocation dédiée au XIXe siècle, au moment où art, sciences et société participent conjointement à l’émergence du cinéma. Toiles, photographies, extraits de films, affiches, objets d’art et techniques, dans une belle muséographie accueillante, en donnent une vision synthétique, exaltante pour l’œil et l’esprit.
"Enfin le cinéma ! Arts, images et spectacles en France (1833-1907)" au Musée d'Orsay jusqu'au 16 janvier 2022.
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