Stanzin Dorjai filme l'incroyable vie de sa soeur "Tsering, bergère au Ladakh"
C'est l'une des dernières bergères qui vit encore avec son troupeau, dans les hauteurs de la vallée de Gya-Miru, au Ladakh. A bientôt 50 ans, Tsering est la plus jeune de son village à conduire ses 350 chèvres et moutons au gré des transhumances, dans cette région de l'Himalaya, située entre 4000 et 6000 mètres d'altitude. Une vie rude et précaire, souvent solitaire, malmenée par des conditions climatiques difficiles et une nature parfois hostile, qui n'empêche pas ce petit bout de femme attachant de chanter, de rire et de... philosopher.
Sérénité et émotion
Malgré les difficultés qu'elle raconte simplement, le froid, la vieille radio, seule compagne et lien avec l'ailleurs, le lynx qui rode, les douleurs qu'elle soigne avec des plantes dont elle connaît chaque vertu, cette "bergère des glaces" (titre de la version longue du documentaire) dégage une incroyable sérénité. Et l'on s'émeut avec elle de la naissance des petits chevreaux qu'elle dorlote comme une mère, elle qui ne s'est jamais mariée. Tsering évoque aussi ses interrogations face à la disparition de son métier, les conséquences sur la vie du village. Des réflexions empreintes de sagesse et de lucidité.
Ce portrait fort et émouvant, dans les paysages splendides de l'extrême nord de l'Inde, on le doit en partie à son jeune frère. Stanzin a accompagné Tsering sur les chemins caillouteux et dans la neige pendant près de 5 ans, lorsqu'il était enfant. Et puis leurs chemins se sont séparés.
De Bollywood au documentaire
Parti faire des études loin de ses montagnes natales, Stanzin s'est lancé, avec succès, dans le cinéma. Après quelques années Bollywood, il a eu envie de changer de cap et de s'orienter vers le documentaire pour parler de sa région et des bouleversements qu'elle subit.
Sa rencontre avec la française Christiane Mordelet, professeur à la retraite, elle-même passionnée par les questions environnementales, le Ladakh et le cinéma, allait donner le coup d'envoi à une coopération fructueuse.
"La bergère me tenait beaucoup à coeur" souligne Christiane Mordelet, très attachée à ce Ladakh où, en 1984 déjà, elle avait emmené des collégiens pour installer des cuiseurs solaires ! "Quand j'ai rencontré la soeur de Stanzin, j'ai trouvé que c'était une femme exceptionnelle, avec une vraie philosophie de vie, une profondeur..."
Mais il a d'abord fallu convaincre l'héroïne qui ne comprenait pas bien ce qu'on lui trouvait d'intéressant et qui craignait que son image ne vienne compromettre la carrière de son frère. "Elle m'a dit: tu m'as regardée avec mes vieux vêtements, ma figure... maintenant que tu fais des films, si on sait que je suis ta soeur, les gens ne vont plus vouloir travailler avec toi !" raconte Stanzin Dorjai.
Mais petit à petit, la complicité perdue entre le frère et de la soeur a de nouveau opéré. Et Tsering a finalement accepté de se prêter au jeu, sans rien perdre de son naturel.
Traduction de l'interview en anglais ci-dessus:
"Quand on travaillait sur Jungwa (un autre documentaire, ndlr) en France, je suis allé un jour de Lyon à Paris en TGV. J'étais assis à côté de trois belles filles, avec de longs cheveux, bien maquillées, avec des bijoux, des sacs de valeur... Je me suis dit: ma soeur ne connaît rien de tout ça, de cette culture, de la façon dont vivent les gens ici, ce que sont le vin rouge, le TGV... Elle ne connaît que sa vie dans les montagnes à 5000 mètres, avec ses 350 chèvres et moutons, sans personne autour. Comment a-t-elle la force de vivre comme ça ? Quand j'ai voulu prendre des notes, j'en avais la chair de poule. Ca m'a marqué et je me suis dit qu'il fallait que je fasse un film sur elle.
Une source d'inspiration
Comment fait-elle pour vivre avec parfois moins 30 degrés dans les montagnes? Elle n'a pas de gants, pas de bonnes chaussures, elle va sur les glaciers sans équipement mais elle connaît tout. On lui a demandé mais comment connais-tu tout ça ? Elle répond que chaque fois elle parle à la glace, aux glaciers, que les glaciers sont ses amis. Son expérience, elle ne l'a pas apprise dans les livres ni au cinéma mais par elle-même, en observant les choses. L'important n'est pas seulement la force physique. La force mentale est primordiale.
Ici les gens sont toujours pressés et même dans des grandes villes comme Paris ou Lyon, je me sens seul. Ils ne prennent pas le temps de discuter ensemble, ils ne partagent rien. En Himalaya, même lorsqu'on n'était que ma soeur, moi et quelques familles, nous n'avons jamais eu ce sentiment de solitude. On se sent plus libres d'aller où on veut. J'espère que ce film sera une source d'inspiration !"
"Tsering, bergère au Ladakh" (version de 44 minutes), diffusé mardi 19 janvier à 15h40 sur Arte (rediffusion le mardi 26 à 11h50) est la 4e co-réalisation de Christiane Mordelet et Stanzin Dorjai, après "Jungwa, l'équilibre rompu", un film qui aborde les interrogations des Ladakhis face aux catastrophes engendrées par les changements climatiques.
Sélectionné pour la Cop 21
A l'automne dernier, les deux amis ont sillonné la France à la rencontre de plus de 2000 élèves pour présenter "Jungwa". Sélectionné pour la Cop21, le documentaire a également été projeté au pavillon Générations Climat au Bourget, pendant la conférence sur le climat début décembre.
Les réalisateurs ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin et travaillent déjà sur d'autres projets pour lesquels ils cherchent encore des financements.
Installée à Lyon, Christiane Mordelet a été récemment invitée sur le plateau du 12/13 de France 3 Rhône-Alpes pour évoquer ses deux derniers films.
"La bergère des glaces" ou "Tsering, bergère au Ladakh", un film de Christiane Mordelet et Stanzin Dorjai. Une production Les films de la découverte et Himalayan film house.
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