"Humain", "vulnérable", John le Carré se raconte d'outre-tombe dans un documentaire coproduit par ses deux fils
Sa dernière prise de parole, face caméra, un an avant sa mort : le maître du roman d'espionnage britannique John le Carré se raconte, sans filtre ou presque, dans un documentaire coproduit par deux de ses fils. Signé du documentariste américain oscarisé Errol Morris (The Fog of War), John le Carré : le tunnel aux pigeons, également le titre de ses mémoires publiées en 2016 - sort vendredi 20 octobre sur Apple TV+.
Ce projet lancé en 2019 est le fruit "d'heureuses circonstances", indique à l'AFP Simon Cornwell, l'un des quatre fils du romancier décédé en 2020. "Un ami nous a présenté Errol, qui nourrissait le projet de faire quelque chose autour de notre père. Il se trouve qu'il était lui-même un admirateur de son travail. La machine s'est mise en route assez vite", explique-t-il. Nourri d'extraits d'adaptations télévisées et cinématographiques de son œuvre, le film est traversé par un entretien de l'auteur de L'Espion qui venait du froid. "Pour lui, c'était le bon moment de parler et regarder en arrière", confie à l'AFP son autre fils, Stephen Cornwell.
Un film comme un testament
Mais ce que personne n'avait prédit, c'est que ce serait le dernier témoignage du romancier né David Cornwell, dont le dernier roman, L'Espion qui aimait les livres, a été publié de manière posthume en 2021. "Sa mort a complètement changé la dynamique du film car il est devenu son testament", observe Stephen Cornwell. Le romancier aux plus de 60 millions d'exemplaires vendus dans le monde y apparaît souvent ému, parfois la voix étranglée par l'émotion, malgré une posture de commentateur détaché de sa vie. "C'est une image de notre père que nous n'avions jamais vue", assure son fils Simon. Comme lorsqu'il évoque sa mère, Olive Gassy, qui a quitté le domicile conjugal lorsqu'il était enfant. D'elle, il n'a hérité que d'une valise, celle qu'elle a emportée lorsqu'elle s'est enfuie et qui symbolise, à ses yeux, "l'unique preuve" de cet événement. C'est un événement qu'il "n'a jamais vraiment évoqué", dit son fils Simon. "Même dans le cadre du strict carcan familial".
Il montre toute sa vulnérabilité
Il revient aussi sur ses études à Oxford, sans jamais dévoiler la façon dont il a été recruté par le MI6, puis sur l'affaire Kim Philby, l'agent double britannique qui avait révélé la couverture de nombreux de ses compatriotes au KGB. Cette révélation mit fin à sa carrière dans les services secrets. Avec difficulté, il évoque aussi l'épisode Stanley Mitchell et la dénonciation, en pleine guerre froide, de ses camarades communistes d'Oxford. "Bien sûr que c'était horrible. J'ai trahi Stanley", dit-il dans le documentaire. Mais "il fallait que quelqu'un le fasse", poursuit-il, avant d'ajouter que son "ami" était "du mauvais côté de l'Histoire". "Êtes-vous sûr que vous étiez du bon côté ?", lui demande Errol Morris. "Bien sûr que non", répond l'écrivain, avant de s'interrompre de longues secondes, visiblement ému. "Je crois que c'est le moment dans le film où il est vraiment mal à l'aise", analyse Stephen. "Il n'a jamais montré une telle vulnérabilité. Ce n'était pas quelque chose qu'il laissait paraître", complète Simon, pour qui le film montre aussi son "humanité et le fait qu'il aimait les gens, qu'il vivait dans le présent".
L'autre aspect intéressant du film est qu'il revient sur son processus créatif. "Une chose dont il ne parlait pas vraiment", selon Stephen. "C'était quelqu'un de modeste et ça le mettait mal à l'aise d'en parler". Autre sujet déstabilisant : sa vie amoureuse, et extraconjugale, qui a nourri une récente biographie. "Je ne suis pas là pour parler de ma vie sexuelle", répond laconiquement John le Carré.
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