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Deux chefs-d’œuvre de Yasujiro Ozu enfin en vidéo

Deux films du maître du cinéma japonais, Yasujiro Ozu, viennent d’être édités en DVD et Blu ray chez Carlotta Films pour la première fois en France : « Le Fils unique » (1936) et « Le Voyage à Tokyo » de 1953. Deux œuvres majeures où s’imbriquent fable sociale et familiale pour traiter d’un japon en mutation qui en garde toujours les traces
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le cinéaste japonais Yasujiro Ozu (photo non datée)
 (Photo12.com - Collection Cinema)

Yasujiro Ozu (1903-1963) peut être considéré comme le fondateur du cinéma japonais au XXe siècle, sa première réalisation remontant à 1927, tournant une quinzaine de films muets, et passant au parlant jusqu’en 1963, date de sa mort, avec « Le Goût du saké ». Deux films fondamentaux de son œuvre ressortent aujourd’hui, au milieu de ses quelques 54 films réalisés au cours de sa carrière, terminée trop tôt à l’âge de 60 ans.

"Le Fils unique" (1936) de Yasujiro Ozu
Deux voyages à Tokyo
Avec le recul, « Le Fils unique » et « Le Voyage à Tokyo » composent un diptyque réalisé à 17 ans de distance.

Le premier conte le sacrifice d’une mère, veuve, ouvrière d’une filature dans un village rurale, qui casse sa tirelire pour envoyer son fils, brillant à l’école, faire des études à Tokyo, afin d’y trouver un emploi. Treize ans plus tard, elle l’y rejoint, espérant y vérifier sa réussite, mais celle-ci n’est pas au niveau de ses espérances.

La famille et le social à l’œuvre dans les mutations de la société japonaise sont la pierre d’angle du cinéma d’Ozu. Mais celle-ci n’aurait pu rencontrer un écho international sans l’invention d’un style unique pour parler au monde d’une société exotique qui toucha toute la planète, de la Suède à l’Australie, en passant par la France et les Etats-Unis.

Cette « Ozu touch » est décelable dès « Le Fils unique », dans un filmage qui deviendra son image de marque : une prédilection donnée au plan fixe, filmé au raz du sol avec un art ultime du cadrage, privilégiant la profondeur de champ, avec ces portes ouvertes sur des espaces successifs, à la manière d’un Vermeer. Cette profondeur se fait paradoxalement en aplat, en accord avec l’art de l’estampe japonaise, l’écran se divisant en différents plans parfaitement alignés pour traduire l’espace vital japonais. Celui-ci se retrouve également dans des réminiscences de la peinture cubiste, dans le bric-à-brac ordonné qui l’habite : une tellière ici, des photos affichées au mur (tels les fameux papiers collés de Braque et Picasso), l’omniprésence de plafonniers au sommet de l’image…

Désillusions
Ces magnifiques plans prêtent à la contemplation, mais pas seulement. La sortie simultanée des deux films constitue en fait deux voyages à Tokyo. Le premier en 1936, le second en 1953, l’un à l’aube de la seconde guerre mondiale, l’autre au moment de la reconstruction. Ozu n’en fait pas moins un constat semblable. La mère du « fils unique » est déçue par la vie que mène son enfant devenu adulte, dans la banlieue de Tokyo, alors qu’elle se l’imaginait au cœur de la grande ville. Dans « Le Voyage à Tokyo », le couple de parents débarquant dans la capitale pour vérifier la réussite du fils, est vite considéré comme un intrus difficile à gérer et que l’on se « refile » comme une patate chaude entre membres de la famille, jusqu’à les envoyer dans une thalassothérapie.

Beaucoup d’émotion émanent de ces désillusions qui, pour beaucoup, ressortent de l’incommunicabilité entre parents et enfants, résultant des changements profonds au cœur de la société japonaise. Une idéologie de la réussite profondément ancrée, qu’Ozu traduit comme le fil rouge d’une pensée destructrice des rapports humains, avant tout traduite au sein de la famille. Un discours toujours d’actualité. Le maître nippon a capté cette essence et est parvenu à la traduire à destination de l’universel, avec un art de l’image et de la poésie unique et inaltérable.
"Voyage à Tokyo" (1953) de Yasujiro Ozu 
 (The Picture Desk / Kobal)
Bonus
« Le Fils unique » est accompagné d’une interview de Jean-Jacques Benneix où le réalisateur de « Diva » et de « 37,2 le matin » développe son regard sur le cinéaste et notamment sur la temporalité si particulière de ses films, à la fois hypnotique et participative d’une réflexion sociétale. « Le Voyage à Tokyo » est enrichi de trois suppléments autour d’Ozu cinéaste, des personnages du film et leur résonance sociale, avec enfin un retour sur les lieux de tournage du film.

Le Fils unique
De Yasujiro Ozu (Japon, 1936) avec : Choko IIDA, Shinichi HIMORI, Masao HAYAMA, Yoshiko TSUBOUCHI, Chishu RYU
Carlotta Films
DVD :  16,99 Euros
Blu ray : 19,99 Euros
 
Le Voyage à Tokyo
De Yasujiro Ozu (Japon, 1953) avec : Chishu RYU, Setsuko HARA, Chieko HIGASHIYAMA & Haruko SUGIMURA
Carlotta Films
DVD : 16 ,99 Euros
Blu ray : 19,99 euros

Les deux films sont également disponibles en VOD.             

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