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Derniers jours : le monde en-chanté de Jacques Demy s'expose à la Cinémathèque

Jacques Demy nous a quitté prématurément à l’âge de 59 ans en 1990, laissant derrière lui une œuvre cinématographique et musicale, en noir et blanc et en couleur, gaie et mélancolique, à laquelle la Cinémathèque française consacre une exposition et une rétrospective depuis le 10 avril, jusqu'au 4 août : enchanteur, mais dont le temps est désormais compté, aussi, précipitez-vous !
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Catherine Deneuve (Delphine) et Françoise Dorleac (Solange) dans "Les Demoiselles de Rochefort" de Jacques Demy (1966)
 (Photographie Hélène Jeanbreau 1966 - ciné-tamaris )
Demy l'enchanteur
Des premiers films d'animation aux robes de "Peau d'âne", des éclatantes "Demoiselles de Rochefort" au radical "Model shop",  la Cinémathèque française rend hommage à Jacques Demy.
En six salles réparties chronologiquement sont évoqués l’enfance du futur cinéaste – si essentielle à ses yeux -, ses premières armes de réalisateur, ses premiers succès (« Lola », « La Baie des anges ») sa consécration avec « Les parapluies de Cherbourg » - Palme d’Or à Cannes en 1964 -, puis « Les Demoiselles de Rochefort », tous deux mis en musique avec son « frère de cinéma » Michel Legrand.
Vient ensuite un passage par les Etats-Unis où le contact avec la culture psychédélique va être déterminant, et où il réalisera, sous bannière américaine, « Model Shop » (1968), à Los Angeles, qui marque ses retrouvailles avec « Lola », Anouk Aimée reprenant le même rôle, sept ans plus tard. « Peau d’âne » en 1970 marque un tournant quand il adapte le conte de Perrault avec Catherine Deneuve, Jean Marais, Delphine Seyrig et Jacques Perrin, film qui reste aujourd’hui aussi prisé des enfants qu’à sa sortie. Demy reviendra en 1972 au conte avec une production britannique, « Le Joueur de flûte », où le folk singer Donovan joue le rôle-titre et a composé la partition.
En 1973, on voit Marcello Mastroianni marié à Catherine Deneuve… tomber « enceint » ! Le film fait grand bruit sur le ton de la comédie, avec en toile de fond le thème de l’égalité homme-femme au cœur des revendications féministes. Mais pour Demy, c’est comme la fin d’une époque et le passage à une autre.
Un retour aux sources désenchanté
Jusqu’ici, Jacques Demy a su imposer un univers très personnel, porté par une certaine légèreté, plutôt qu’une légèreté certaine, même si les sujets peuvent être graves, comme la Guerre d’Algérie en toile de fond des « Parapluies de Cherbourg ». Demy disait à ce titre, « Je préfère un film léger sur un sujet grave, qu’un film grave sur un sujet léger ». Son mariage de la chanson au film renouvelle totalement la comédie musicale, alors en perte de vitesse, son dernier fleuron étant « West Side Story » (1960, Robert Wise).

Demy poursuit sa filmographie avec un curieux film produit par le Japon, mais tourné en France, « Lady Oscar » (1978), adapté d’un classique du Manga (genre alors totalement inconnu en France), avec toujours Legrand à la musique. Pratiquement pas exploité sous nos latitudes, le film se déroule sous la Révolution française, et fut un succès au Japon comme en Asie.
Après un passage par la télévision en 1980 (« La Naissance du jour », d’après Colette), Demy renoue avec son style de prédilection, une comédie musicale radicale, où tous les dialogues sont chantés. Mais tant « Une chambre en ville » (1982) – sur les grèves nantaises de 1955 -, que « Parking » (1985) – adaptation contemporaine d’Orphée -, ou « Trois places pour le 26 » - sur le music hall, avec Yves Montant -, ne renoueront avec les succès tant artistique que commerciaux d’antant.
Jacquot de Nantes
Un an après la mort de son mari, Agnès Varda lui consacrait un biopic romancé, "Jacquot de Nantes". Jacques Demy a toujours mis en avant ses origines nantaises, entre un père garagiste et une mère coiffeuse, confiant qu'il avait passé les meilleures années de sa vie dans la ville des ducs de Bretagne. C'est là qu'il a vécu ses premiers émois cinématographiques au cinéma Katorza, qui existe toujours.
La passion que voue Jacques Demy à sa cité se retrouve dans la majorité de ses films, pour beaucoup situés dans des villes portuaires : Nantes, Nice, Cherbourg, Rochefort, Los Angeles ou Marseille. La musique, elle, émane sans doute de l’initiation que lui ont donnée ses parents pour le spectacle vivant, eux-mêmes grands amateurs d'opéras et d'opérettes. Enfant, il crée un petit théâtre de Guignol dans l’appartement familial, acquiert un projecteur « Pathé Kid » à 9 ans…

Possesseur d’une petite caméra, il réalise des films animés en peignant directement sur la pellicule, puis c’est la guerre, au cours de laquelle, enfant, il est placé chez un sabotier de la banlieue nantaise. Il s’en inspirera pour son documentaire « Le Sabotier du Val de Loire » (1955), après avoir suivi les cours de l’Ecole technique de photographie et de cinématographie de Paris, rue de Vaugirard. C’est au contact, à Paris, des cinéastes de la Nouvelle vague qu’il entreprend son premier long métrage en 1960, « Lola ». Le reste n’est que littérature.
Un poète du réel
Jacques Demy est sans doute le seul cinéaste au monde à être parvenu à faire passer sur le mode ludique de la comédie musicale un discours social. C’est Le départ d’une recrue pour la guerre d’Algérie dans « Les Parapluies de Cherbourg », les forains et la modestie du milieu des « Demoiselles de Rochefort », les grèves des métallurgistes nantais en 1955 dans « Une Chambre en ville ». Son attachement à la vie de province au détriment des frasques parisiennes, et sa prédilection pour des milieux sociaux modestes, font de Jacques Demy un héritier du réalisme poétique d’un Marcel Carné.
Son amour des contes et des dessins animés de Disney ou de Paul Grimault participe de la féérie dans laquelle baigne une bonne partie de ses films. Avec comme productions emblématiques « Peau d’âne » et « Le joueur de flûte », voire « Lady Oscar » et pour finir « La Table tournante », que Demy cosigne avec le réalisateur du « Roi et l’oiseau » Paul Grimault, renouant ainsi avec ses premiers amours pour l’animation.

Les films de Demy participent de tous les arts. Au-delà de la musique et du cinéma, la peinture n’est pas loin, dans le graphisme coloré de ses œuvres (les costumes, les papiers-peints, les décors, mobiliers et accessoires…) Quelques toiles de Demy sont exposées, notamment un bel autoportrait post-cubiste de 1949, mais également des photographies.
Jacques Demy, photographié par Agnès Vardasur le tournage de "Lola", passage Pommeraye, à Nantes, en 1960
 (Agnès Varda)
Fidèle, il tourne quatre fois avec Catherine Deneuve, mais se voit opposer un refus pour un cinquième (« Une chambre en ville ») ; il dirige deux fois Anouk Aimée et Dominique Sanda. Cette fidélité se retrouve dans sa collaboration à huit reprises avec le décorateur Bernard Evein, rencontré à l’Ecole des Beaux-Arts de Nantes. Mais c’est évidemment son travail Michel Legrand qui ressort, et les dix partitions que le compositeur a écrites pour Demy, des « Parapluies de Cherbourg » à « Trois places pour le 26 ».
 
Une histoire de famille
Magnifiquement scénographiée, l’exposition de la Cinémathèque est d’un dépaysement total, ponctuée de surprises, avec les robes couleur de Soleil, de Lune et du temps de « Peau d’âne », les magnifiques maquettes préparatoires de Bernard Evein, des objets personnels, évocateurs de la jeunesse du cinéaste, de superbes photos de tournage et personnelles… Sa veuve, Agnès Varda, a beaucoup participé au rassemblement de ces pièces conservées dans ses archives, mais également leurs enfants, Rosalie Varda et Mathieu Demy, l’exposition s’avérant une véritable histoire de famille.
  (Cinémathèque française)
L’exposition est évidemment accompagnée d’une rétrospective intégrale des films de Jacques Demy, restaurés et numérisés, de ceux constituant sa petite cinémathèque idéale, d’ateliers pour les enfants… et pour les adultes, de conférences, de rencontres… un voyage au cœur de la féérie Jacques Demy et de la fabrication de sa magie.
Le monde enchanté de Jacques Demy
Cinémathèque française
51, rue de Bercy, 7512 Paris
www.cinémathèque.fr
renseignements : 01.71.19.33.33              

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