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Derniers jours de l'expo James Bond : bons baisers de La Villette
Ce n'est pas dans les us et coutumes des espions de s'exposer. James Bond excepte à la règle, vu son charisme, son assurance et son extraversion. La Grande Halle de La Villette rend hommage à "50 ans de style Bond", où 007 livre tous ses secrets : voitures, gadgets, dessins, story-boards, costumes… au service sacré du visiteur pour encore quelques jours jusqu'au 4 septembre.
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Alter ego
Le jubilé James Bond de La Villette fête celui de la franchise au cinéma. Comme il est rappelé à chaque générique, il est né de l’imagination de Ian Fleming, quand il publie en 1953 le premier roman consacré à 007, "Casino Royale".Le succès est au rendez-vous, même si la bande-dessinée publiée dans la foulée dans la presse anglaise ne suscite guère l’adhésion. Mais Il faut attendre la fin des années 50, quand John Fitzgerald Kennedy, lors d’une interview en pleine guerre froide, répond que son livre de chevet du moment est "Bons baisers de Russie", le cinquième livre de la série, publié en 1957, pour que les ventes s’envolent.
Fleming s’est inspiré de sa propre vie d’espion pour son personnage, étant aux services secrets de Sa Majesté durant la Seconde Guerre mondiale dans la division navale. Ce n’est donc pas pour rien que Bond est commandant de la Royal Naval Reserve. Le romancier joua par ailleurs un rôle dans l’opération Goldeneye, nom d’un de ses futurs romans et de la propriété de l’écrivain à la Jamaïque. Autres rapprochements entre l’auteur et son personnage, les nombreux voyages du premier qui nourrissent son œuvre, et son élégance raffinée de fils de famille richissime.
Ian Fleming a consacré onze romans et deux recueils de nouvelles à son alter ego, dont deux à titre posthume, l’auteur décédant en 1964. Les adaptations ne tardent pas avec d’abord une dramatique TV diffusée en direct (avec Barry Nelson en James Bond au côté de Peter Lorre qui joue Le Chiffre) passée inaperçue en 1954. Au cinéma, les intrigues ne sont guère fidèles à la source. Demeurent l’ambiance raffinée et luxueuse, l’exotisme, les femmes, un certain sadisme et des tortures, avec l'intervention récurrente d'animaux dangereux (requins, crocodiles, mygales,…)
Cinématographiquement vôtre
A l’heure où Guy Hamilton vient de décéder, réalisateur de quatre James Bond restés dans les annales ("Goldfinger", "Les Diamants sont éternels", "Vivre et laisser mourir", "L’Homme au pistolet d’or"), rendons hommage au cinéaste qui fit vraiment décoller la franchise en 1964 avec "Goldfinger", après "James Bond contre Dr. No" (1962) et "Bons baisers de Russie" (1963).Plusieurs premières justifient ce succès. En tête, l’ampleur de la mise en scène jusqu’alors balbutiante faute de budget à la hauteur - même entre les mains du spécialiste de l’action Terrence Young. Deuxio, la prise d’assaut du box-office, le film arrivant au sommet des entrées l’année de sa sortie. Tertio le premier pré-générique indépendant du reste de l’histoire (dans "Bons Baisers de Russie", il en fait partie). Mais c’est la première apparition de la fameuse Aston Martin DB5 1964, truffée de gadgets, qui emblématise le plus "Goldfinger".
Les automobiles resteront indubitablement liées à Bond comme symbole de virilité. La DB5 apparait dans le film suivant "Opération Tonnerre" (1965), puis plus tard dans "Skyfall" en 2012, où elle est réduite en cendres.
Sa première voiture fut une Bentley, puis à partir de 1964 plusieurs Aston Martin, jusqu’à la DB10 de "Casino Royale" (2006). Nombre de marques traverseront les films, comme la Lotus Esprit amphibie de "L’Espion qui m’aimait" (1977) restée dans les mémoires.
La DB5 reste mythique, c’est LA voiture de Bond, et elle est exposée, non customisée, à La Villette. Reproduite en miniature par Corgy Toys, vendue à des milliers d’exemplaires, son exposition dans "Goldfinger" renfloua grandement Aston Martin, alors mal en point.
Après "Goldfinger" tout est histoire
"Opération tonnerre" donne les moyens à Terrence Young de concocter le "Plus explosif des James Bond", comme le scandait les affiches de 1965, un grand film d’action. "Opération tonnerre" ancre désormais le mythe chez les spectateurs. Il instaure une construction qui se répètera de film en film, ultra codifiés, jusqu’à la rupture que constituent "Tuer n’est pas jouer" (1987) et "Permis de tuer" (1989)."On ne vit que deux fois" (1967) marque la première intrusion de la série dans l’espace, avant "Les Diamants sont éternels" (1971) et "Moonraker" (1979). Malgré le succès, Sean Connery jette l’éponge. Totalement identifié au rôle, il craint d'en être prisonnier. Ecossais indépendantiste il n’a de plus jamais voulu incarner une figure emblématique anglaise. Casse-tête pour Albert Broccoli et Harry Saltzman, producteurs de la série, qui doivent s’engager dans une chasse au Bond. Ils pensent d’ores et déjà à Roger Moore qui triomphe à la télévision dans "Le Saint", mais il n’est pas libre. Ils dénichent alors un top model masculin australien, George Lazenby, pour "Au service secret de Sa Majesté" (1969). L’acteur fraichement promu est tellement imbu de sa personne, pour ne pas dire imbuvable, sur le tournage, qu’il sera remercié et ne tournera dans aucun autre Bond. Le rôle lui allait pourtant comme un gant, dans un des meilleurs films de la franchise.
Une franchise aux mille visages
James Bond est la seule série de films à connaître une telle pérennité au cinéma, tout en voyant son héros incarné par des acteurs différents, et oh combien dissemblables. Le spectateur vient voir avant tout "un Bond" et non l’acteur qui l’habite. Même si Connery garde une aura toute particulière, un modèle du genre, avec un physique et une personnalisation du rôle inégalés.Exit Connery et Lazenby, hello Sir Roger Moore. Après l’acteur écossais, celui qui fut Ivanhoé et Le Saint pour la télévision britannique demeure le plus populaire des James Bond. Il faut dire que le ton change dès "Vivre et laisser mourir" (1972), avec un humour plus appuyé (pour ne pas dire parfois lourdingue), une garde-robe plus sportive et un foisonnement de gadgets à faire pâlir un camelot. Moore tournera sept films d’affilé, tout en poursuivant une carrière parallèle. Il comptabilise autant de moutures que Connery, bien que "Jamais plus jamais" (1983), avec l’acteur écossais, ne fasse pas partie de la franchise Saltzman/Broccoli. Mais c’est une autre histoire…
La série Moore comporte un élément important, l’apparition de Christopher Lee dans le rôle de "L’Homme au pistolet d’or" (1974), Scaramanga. Lee a répété à foison que ce rôle était son préféré pour l’avoir extrait de celui de Dracula qu’il incarnait dans la franchise Hammer Films depuis 1958. Il y participait encore dans un film sorti la même année que le Bond, "Dracula vit toujours à Londres" (1974), puis reprend le rôle dans la catastrophique parodie d’Edouard Molinaro "Dracula père et fils" (1976), tourné comme pour tuer son identification au vampire.
Le pistolet d’or de Scaramanga est en bonne place dans l’exposition. Composé d’un stylo (canon), d’un briquet (chargeur), d’un étui à cigarettes (crosse), et d’un bouton de manchette (gâchette), il fut conçu par l’orfèvre Colibri. Fragile, trois exemplaires furent fabriqués, le seul encore visible étant celui de l’exposition.
Juste avant l’arrivée de Moore, et après Lazenby, Sean Connery avait repris du service dans "Les Diamants sont éternels" (1971), mais l’acteur ne renouvèlera pas l’essai. Il laisse sa place à Timothy Dalton, acteur britannique shakespearien, dans "Tuer n’est pas jouer" (1987) et "Permis de tuer" (1989), tous deux signés John Glen. Bon acteur, Dalton ne remporte pourtant pas l’adhésion des fans et les deux films furent les moins rentables de la franchise.
L’arrivée de l’Irlandais Pierce Brosnan va remettre les pendules à l’heure en 1995 avec "Goldeneye". L’acteur fait le pont entre Connery et Moore : même bonne dose d’humour, tout en dégageant une élégance naturelle, plus probante que chez l'Anglais. Ses quatre films ("Goldeneye", "Demain ne meurt jamais", "Le Monde ne suffit pas", "Meurs un autre jour") remplissent les salles, ce qui n’empêche pas Brosnan d'endosser d'autres rôles.
Il tombe la veste en 2002 et laisse la place à Daniel Craig. Il faudra attendre quatre ans (2006) pour revoir Bond à l’écran sous un jour totalement nouveau. Britannique, Craig fait craindre le pire aux fans. Sa blondeur est un sacrilège au mythe, et sa plus ou moins grande ressemblance avec le président russe Vladimir Poutine, le fait railler. "Casino Royale", signé Martin Campbell, change radicalement le ton de la série. Plus noir, plus violent, plus adulte, le film relance la franchise grâce à ce changement de cap. L’on y apprend notamment, dans le pré-générique, comment Bond s’est vu attribuer le fameux sigle 007, le double zéro étant délivré aux agents ayant le permis de tuer.
Craig s’avère le meilleur Bond, avec Connery, sur des scénarios moins simplistes. A ce jour dans quatre films ("Casino Royale", "Quantum of Solace", "Skyfall", "Spectre"), l’acteur a fait savoir que sa présence dans un cinquième opus n’était pas acquise.
Girls, girls, girls !
Les personnages récurrents sont pléthores au côté de Bond : M, chef des services secrets MI6, Q, ingénieur, pourvoyeur en armes et gadgets, Moneypenny secrétaire de M, amoureuse transit de Bond. Les méchants sont légion, Bloefeld en tête, chef de l’organisation terroriste Spectre, et ses sbires, Dr. No, Le Chiffre, Largo... Des indépendants tout autant mégalomanes prennent la relève, tels Scaramanga, Hugo Drax, Max Zorn…Mais James Bond ne serait pas Bond sans les James Bond Girls. Elles sont plusieurs dans tous les épisodes, avec une privilégiée à laquelle 007 est attaché dans chaque aventure. Elles tombent toutes dans ses bras, certaines le trahissent et parfois se rallient à sa cause.
Le modèle originel est Ursula Andress, interprète de Honney Rider dans "Dr. No". Hispano-britannique, elle est déjà actrice et a joué avec Brigitte Bardot qui en garde un très bon souvenir. Son apparition dans le premier Bond reste anthologique, vêtue d’un bikini blanc au sortir de la mer caribéenne, telle une Vénus moderne. Elle reçoit un Golden Globe pour son interprétation et la notoriété internationale. La fameuse tenue de baignade sera vendue aux enchères 41.250 livres chez Christie’s en 2001. Une reproduction exacte figure dans l’exposition.
Impossible de passer en revue toutes les Bond Girls, tant c’est un véritable défilé. Parmi les plus resplendissantes demeure l’Italienne Daniela Bianchi, Tatiana dans "Bons baisers de Russie". Magnifique beauté blonde, elle ne tournera ensuite que dans des films de seconde zone. Egalement blonde, Pussy Galor qu’interprète la britannique Honor Blackman, chef pilote de Goldfinger (Gert Froebe) et qui se ralliera à Bond. C’est une actrice émérite au cinéma et à la télévision (Caty Gale dans "Chapeau melon et bottes de cuir"), même si ses films sont secondaires, sauf "Jason et les Argonautes" (1963), où elle est Héra, épouse de Zeus.
Diana Rigg tient une place à part. Comédienne de la Royal Shakespear Compagny, elle est surtout connue pour son interprétation d'Emma Peel dans la série "Chapeau melon et bottes de cuir". Dans "Au service secret de Sa Majesté" elle se marie avec Bond à la fin du film, avant d'être tuée par des agents du Spectre.
Claudine Auger ouvre le bal des Bond Girls françaises dans "Opération tonnerre" en interprétant Domino, égérie de Largo, sous-fifre de Bloefeld, qui tombera sous le charme bondien. Carole Bouquet est Melina Havelock dans "Rien que pour vos yeux", Sophie Marceau trouble "Le Monde ne suffit pas", Eva Green envoûte le "Casino Royale", et Léa Seydou traverse "Spectre", au côté de l’italienne très francisée Monica Bellucci.
Parmi les autres James Bond Girls, citons l’actrice américaine oscarisée Halle Berry dans "Demain ne meurt jamais", où elle réédite la première apparition d’Ursulla Andress dans "Dr. No". La charmante blonde Tanya Roberts se voit voler la vedette par la redoutable Grace Jones, en May Day, garde du corps de Christopher Walken, dans "Dangereusement vôtre". Maud Adams est aussi dangereuse dans "Octopussy", Barbara Bach (épouse de Ringo Starr rencontré sur le plateau) illumine "L’Espion qui m’aimait", Britt Ekland (ex-épouse de Peter Sellers et de Rod Stewart) apparaît dans "L’Homme au pistolet d’or", et Jane Seymour dans "Vivre et laisser mourir".
Nombre d’actrices rêvent de faire partie du harem, vu comme une consécration ou une rampe de lancement vers une carrière internationale. Ce qui s’est parfois vérifié, mais pas toujours. Mille excuses à celles qui ne figurent pas dans ce palmarès, comme Jill Saint Jones dans "Les Diamants sont éternels". Mais toutes sont évoquées à La Villette par les nombreuses et magnifiques robes exposées.
Dissidence
"50 ans de style Bond" ne s’attarde que sur la franchise concoctée par Harry Saltzman et Albert Broccoli. L’exposition n’évoque à aucun moment le "Casino Royale" de 1967, signé par le quintet John Huston, Ken Hughes, Val Guest, Robert Parrish, et Joseph McGrath. Avec Peter Sellers, David Niven, Orson Welles, Deborah Kerr, Woody Allen, Ursula Andress, et même Jean-Paul Belmondo (!). Le film est une parodie loufoque sous acide, des Bond qui cartonnent dans le monde entier."Jamais plus jamais" que signe Irwin Kershner ("L’Empire contre-attaque") en 1983,est un remake d’"Opération tonnerre", où pour compléter le tableau des James Bond Girls, Kim Bassinger reprend le rôle de Domino. Ces films existent grâce à de sombres histoires de droits et ont passablement énervé le duo de producteurs de la série originelle.
L’exposition de la Grande Halle de La Villette se passe aisément de ces dissidences. Elle bénéficie d’une belle et sobre muséographie et d’un bel accrochage de pièces rares qui raviront les amateurs ou les fans. Un bémol toutefois pour le prix d’entrée (21,99 euros par adulte), un peu cher. Mais on ne détient pas un permis de tuer pour rien.
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